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tre; ou en se soumettant en tout1, manque de savoir où il faut juger.

2.

Si on soumet tout 2 à la raison, notre religion n'aura rien de mystérieux ni de surnaturel. Si on choque les principes de la raison, notre religion sera absurde et ridicule.

Saint Augustin3. La raison ne se soumettrait jamais si elle ne jugeait qu'il y a des occasions où elle se doit soumettre. Il est donc juste qu'elle se soumette quand elle juge qu'elle se doit soumettre".

3..

La piété est différente de la superstition. Soutenir la piété jusqu'à la superstition, c'est la détruire. Les hérétiques nous reprochent cette soumission superstitieuse. C'est faire ce qu'ils nous reprochent'...

« Ou en se soumettant en tout. » Les superstitieux. Cf. 2 et 3. Le rapprochement de ces passages montre que c'est ici une pensée qui se rapporte à la querelle du jansénisme. Pascal ne veut pas qu'on se soumette à croire, sur l'autorité du pape, des évêques, et de la Sorbonne, que les cing propositions sont dans Jansénius. C'est là, suivant lui, le cas de douter, ce n'est pas celui de se soumettre. Le titre Soumission, qu'on trouve dans le manuscrit, indique bien quelle est la question qui préoccupe Pascal; c'est de marquer à la soumission ses limites. Il se sert ici du pyrrhonisme contre l'autorité, comme ailleurs contre la philosophie.

2 « Si on soumet tout. » 213. P. R., v.

3 << Saint Augustin. » 406. P. R., v. On lit dans une lettre de saint Augustin à Consentius (Ep. cxx, 3): « Que la foi doive précéder la raison, cela même est un >> principe raisonnable [ rationnel]. Car si ce précepte n'est pas raisonnable, il est >> donc déraisonnable; ce qu'à Dieu ne plaise! Si donc il est raisonnable que, pour >> arriver à des hauteurs que nous ne pouvons encore atteindre, la foi précède la » raison, il est évident que cette raison telle quelle qui nous persuade cela pré

» cède elle-même la foi. »

« Qu'elle se doit soumettre. » P. R. complète la pensée de Pascal : « et qu'elle »> ne se soumette pas, quand elle juge avec fondement qu'elle ne doit pas le faire. >> P. R. ajoute naïvement: « Mais il faut prendre garde à ne pas se tromper. » Là est en effet la difficulté pour des sectaires, qui prétendent être à la fois orthodoxes et indépendants. Pascal, attaqué dans la liberté de sa conscience, passe du côté de la raison, qu'il maltraitait si fort. Il disait ailleurs (VIII, 1): « Humiliez-vous, raison >> impuissante! taisez-vous, nature imbécile!» Et maintenant il veut que la raison juge quand elle doit se soumettre, c'est-à-dire qu'il lui remet tout dans la main." 5 « La piété. 398. P. R., v.

6 « Nous reprochent. » C'est-à-dire reprochent aux catholiques.

; « C'est faire ce qu'ils nous reprochent. » P. R. complète la pensée, qui est la sienne « C'est faire ce qu'ils nous reprochent que d'exiger cette soumission dans » les choses qui ne sont pas matière de soumission. » Par exemple dans la question de savoir si les propositions condamnées comme extraites du livre de Jansénius sont dans ce livre.

Il n'y a rien1 de si conforme à la raison que ce désaveu de la raison 2.

Deux excès: exclure la raison, n'admettre que la raison.

4.

La foi dit bien" ce que les sens ne disent pas, mais non pas le contraire de ce qu'ils voient. Elle est au-dessus, et non pas contre.

5.

Si j'avais vu un miracle 5, disent-ils, je me convertirais. Comment assurent-ils qu'ils feraient ce qu'ils ignorent ? Ils s'imaginent que cette conversion consiste? en une adoration qui se fait de Dieu comme un commerce et une conversation telle qu'ils se la figurent. La conversion véritable consiste à s'anéantir devant cet être universel qu'on a irrité tant de fois, et qui peut vous perdre' légitimement à toute heure; à reconnaître qu'on ne peut rien sans lui, et qu'on n'a rien mérité de lui que sa disgrâce. Elle consiste à connaître qu'il y a une opposition invincible 1o entre Dieu et nous; et que, sans un médiateur, il ne peut y avoir de commerce.

6.

Ne vous étonnez pas 14 de voir des personnes simples croire sans

1 « Il n'y a rien. » 244. P. R., v.

2 « Ce désaveu de la raison. » P. R. ajoute « dans les choses qui sont de foi, >> et rien de si contraire à la raison que le désaveu de la raison dans les choses qui > ne sont pas de foi. >>

3 « Deux excès. » 469. P. R. fait rentrer cette pensée dans la précédente. — On lit encore, page 463 du manuscrit : « Ce n'est pas une chose rare qu'il faille re>> prendre le monde de trop de docilité. C'est un vice naturel comme l'incrédulité, >> et aussi pernicieux. Superstition. » C'est de ce vice que Port Royal prétendait se garantir en refusant d'obéir à l'autorité à laquelle obéissait tout ce qui était catholique. Mais les protestants parleront comme Pascal, et les incrédules comme les protestants.

4 « La foi dit bien. » 409. P. R., v.

5 « Si j'avais vu un miracle. » 483. P. R., vi.

6 « Ce qu'ils ignorent. » Ils ignorent ce que c'est que de se convertir.

7 « Que cette conversion consiste. » Cette phrase, très-négligée et très-mal faite, a été corrigée par P. R. en ces termes : « Ils s'imaginent qu'il ne faut pour cela » que reconnaître qu'il y a un Dieu; et que l'adoration consiste à lui tenir de cer>> tains discours, tels à peu près que les païens en faisaient à leurs idoles. >>

8 << La conversion véritable consiste. » Pour se convertir ainsi, il faut être touché jusqu'au fond du cœur ; et comment peut-on s'engager à être ainsi touché ? Voilà le sens de Pascal.

9

10

« Et qui peut vous perdre.» Toujours cette idée de damnation.

Qu'il y a une opposition invincible. » Que cette religion du jansénisme est triste et farouche !

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raisonnement. Dieu leur donne l'amour de soi et la haine d'euxmêmes. Il incline leur cœur à croire. On ne croira jamais d'une créance utile et de foi, si Dieu n'incline le cœur; et on croira2 dès qu'il l'inclinera. Et c'est ce que David connaissait bien, lorsqu'il disait : Inclina cor meum3, Deus, in testimonia tua.

7.

Ceux qui croient sans avoir lu les Testaments, c'est parce qu'ils ont une disposition intérieure toute sainte, et que ce qu'ils entendent dire de notre religion y est conforme. Ils sentent qu'un Dieu les a faits. Ils ne veulent aimer que Dieu ; ils ne veulent hair qu'euxmêmes. Ils sentent qu'ils n'en ont pas la force d'eux-mêmes; qu'ils sont incapables d'aller à Dieu; et que, si Dieu ne vient à eux, ils ne peuvent avoir aucune communication avec lui. Et ils entendent dire dans notre religion qu'il ne faut aimer que Dieu, et ne haïr que soi-même : mais qu'étant tous corrompus, et incapables de Dieu, Dieu s'est fait homme pour s'unir à nous. Il n'en faut pas davantage pour persuader des hommes qui ont cette disposition dans le cœur, et qui ont cette connaissance de leur devoir et de leur incapacité.

8.

Ceux que nous voyons chrétiens' sans la connaissance des prophéties et des preuves ne laissent pas d'en juger aussi bien que ceux qui ont cette connaissance. Ils en jugent par le cœur', comme les autres en jugent par l'esprit. C'est Dieu lui-même qui les incline à croire; et ainsi ils sont très-efficacement persuadés.

8

« De soi. » C'est-à-dire de lui-même.

ragraphe suivant.

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2 « On ne croira jamais... et on croira... » C'est la doctrine de la grâce efficace. 3 « Inclina cor meum. » Cf. x, 4.

« Ceux qui croient. » 481. P. R., VI.

3 « Haïr qu'eux-mêmes. » Jésus-Christ a commandé d'aimer le prochain comme soi-même. Il n'a donc pas commandé de se haïr.

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6 « Ceux que nous voyons chrétiens. » 483. P. R., VI.

« Ils en jugent par le cœur. » Cf. le dernier fragment du paragraphe ↑ de l'article VIII.

8 « Qui les incline. » Cf. 6.

9

« Très-efficacement persuadés. » Ici un paragraphe barré : « On répondra que > les infidèles diront la même chose; mais je réponds à cela que nous avons des » preuves que Dieu incline véritablement ceux qu'il aime à croire la religion chré>> tienne, et que les infidèles n'ont aucune preuve de ce qu'ils disent et ainsi nos > propositions étant semblables dans les termes, elles diffèrent en ce que l'une est >> sans aucune preuve, et l'autre est solidement prouvée. Ce que Pascal a substitué à cela est moins long et plus net. Ceux qu'il aime! Dieu aime donc les uns, et non pas les autres!

J'avoue bien qu'un de ces chrétiens qui croient sans preuves n'aura peut-être pas de quoi convaincre un infidèle qui en dira autant de soi. Mais ceux qui savent les preuves de la religion prouveront sans difficulté que ce fidèle est véritablement inspiré de Dieu, quoiqu'il ne pût le prouver lui-même. Car Dieu ayant dit1 dans ses prophètes (qui sont indubitablement prophètes 2) que dans le règne de JésusChrist il répandrait son esprit sur les nations, et que les fils, les filles et les enfants de l'Église prophétiseraient, il est sans doute que l'esprit de Dieu est sur ceux-là, et qu'il n'est point sur les autres.

ARTICLE XIV.

4

1.

Nous sommes plaisants de nous reposer dans la société de nos semblables. Misérables comme nous, impuissants comme nous, ils ne nous aideront pas ; on mourra seul; il faut donc faire comme si on était seul; et alors, bâtirait-on des maisons superbes, etc. "? On chercherait la vérité sans hésiter; et si on le refuse, on témoigne estimer plus l'estime des hommes, que la recherche de la vérité.

1 « Car Dieu ayant dit. » Cette fin manque dans P. R.

2 « Qui sont indubitablement prophètes. » C'est ce qu'il établira ailleurs. Voir l'article xvIII. Ce qui a fait supprimer ce passage, c'est sans doute qu'indépendamment de toute prophétie, s'il est prouvé que la religion chrétienne est divine, il est assez prouvé par cela même que ceux qui la croient ont l'esprit de Dieu.

3 « Et que les fils, les filles. » Joël, 11, 28. Cf. article VIII, 4.

4 « Nous sommes plaisants. » 63. P. R., vIII. P. R. a mêlé ce fragment, en l'altérant, avec le fragment XI, 8. Ces deux morceaux n'ont entre eux aucun rapport, et M. Cousin a fait sentir toute l'incohérence du texte de P. R. (p. 144).

S «Ils ne nous aideront pas. » Dans ce qui est la fin et la difficulté de la vie, dans la mort. Jamais ce lieu commun de la philosophie antique, que la vie n'est qu'une préparation à la mort, n'avait abouti à une argumentation aussi décisive et aussi pressante: On mourra seul; il faut donc faire comme si on était seul. On se sent comme détaché de la vie et de l'action en entendant ces paroles l'esprit qui a fait la Trappe est là tout entier. Revenons à nous, écoutons la vraie sagesse; elle nous dit que, s'il est bon d'avoir la mort présente à la pensée, ce n'est pas pour ap-. prendre à vivre le moins possible, c'est au contraire pour prendre garde de ne pas mourir sans avoir vécu, c'est-à-dire sans avoir agi; et qu'il faut agir non-seulement pour soi, mais pour ses semblables. Aimez-vous les uns les autres. Il ne faut donc pas faire comme si on était seul.

« Des maisons superbes, etc. » C'est-à-dire se soucierait-on de rien faire de ce qui est pour la réputation, pour l'opinion?

...

Voilà ce que je vois1 et ce qui me trouble. Je regarde de toutes parts, et ne vois partout qu'obscurité. La nature ne m'offre rien qui ne soit matière de doute et d'inquiétude. Si je n'y voyais rien qui marquât une Divinité, je me déterminerais à n'en rien croire. Si je voyais partout les marques d'un Créateur, je reposerais en paix dans la foi 2. Mais, voyant trop pour nier, et trop peu pour m'assurer', je suis dans un état à plaindre, et où j'ai souhaité cent fois que, si un Dieu la soutient‘, elle le marquât sans équivoque; et que, si les marques qu'elle en donne sont trompeuses, elle les supprimât tout à fait; qu'elle dit tout ou rien, afin que je visse quel parti je dois suivre. Au lieu qu'en l'état où je suis, ignorant ce que je suis et ce que je dois faire, je ne connais ni ma condition, ni mon devoir. Mon cœur tend tout entier à connaître où est le vrai bien, pour le suivre. Rien ne me serait trop cher pour l'éternité...

Je vois la religion chrétienne' fondée sur une religion précédente, et voici ce que je trouve d'effectif3. Je ne parle pas ici des miracles de Moïse, de Jésus-Christ et des apôtres, parce qu'ils ne paraissent pas d'abord convaincants, et que je ne veux que mettre ici en évidence tous les fondements de cette religion chrétienne qui sont indubitables, et qui ne peuvent être mis en doute par quelque personne que ce soit...

10

Je vois donc des foisons de religions en plusieurs endroits du

1 « Voilà ce que je vois. » Dans la Copie. P. R., ibid. P. R. rattache ce fragment à celui qui précède par une transition empruntée à la fin du fragment x1, 8. Mais ce qui suit est encore l'expression d'un doute inquiet et pénible, tandis qu'à la fin du fragment x1, 8, Pascal se présente comme tenant enfin les marques de Dieu.

2 « Je me reposerais en paix dans la foi. » Il disait seulement tout à l'heure, je me déterminerais à ne rien croire, et non pas, comme ici, je me reposerais, parce qu'il ne peut concevoir l'état de l'âme qui ne croit rien comme un repos.

3 « Et trop peu pour m'assurer. »> Plusieurs fois déjà nous l'avons entendu exprimer cette idée. Cf. xxII, 4.

4 « Si un Dieu la soutient. » Il parle de la nature.

5 « Tout ou rien. » Voilà bien l'esprit absolu de Pascal.

6

« Pour l'éternité. » Qu'il gagnera en suivant la religion, si la religion est vraie.

« Je vois la religion chrétienne.» 335. Manque dans P. R. Les éditions (II,

XVII, 9) donnent ce premier alinéa détaché du reste.

8 « D'effectif. » C'est-à-dire de positif, de concluant.

9

« Je vois donc. » P. R., vIII. P. R. rattache immédiatement ceci au fragment ci-dessus. Mais alors la transition est bien brusque, et on passe tout d'un coup d'une aspiration pleine de trouble et de tourment à une conclusion très-tranquille. 10

Des foisons de religions. » P. R., des multitudes. Cette trivialité qu'ils effacent peut seule égaler le dédain que ces religions inspirent à Pascal.

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