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tienne a pu guérir ces deux vices, non pas en chassant l'un par l'autre, par la sagesse de la terre, mais en chassant1 l'un et l'autre, par la simplicité de l'Évangile. Car elle apprend aux justes, qu'elle élève jusqu'à la participation de la Divinité même, qu'en ce sublime état ils portent encore la source de toute la corruption, qui les rend durant toute la vie sujets à l'erreur, à la misère, à la mort, au péché 2; et elle crie' aux plus impies qu'ils sont capables de la grâce de leur Rédempteur. Ainsi, donnant à trembler à ceux qu'elle justifie, et consolant ceux qu'elle condamne, elle tempère avec tant de justesse la crainte avec l'espérance par cette double capacité qui est commune à tous, et de la grâce et du péché, qu'elle abaisse infiniment plus que la seule raison ne peut faire, mais sans désespérer; et qu'elle élève infiniment plus que l'orgueil de la nature, mais sans enfler faisant bien voir par là qu'étant seule exempte d'erreur et de vice, il n'appartient qu'à elle et d'instruire et de corriger les hommes.

5

Qui peut donc refuser à ces célestes lumières de les croire et de les adorer? Car n'est-il pas plus clair que le jour que nous sentons en nous-mêmes des caractères ineffaçables d'excellence? Et n'est-il pas aussi véritable que nous éprouvons à toute heure les effets de notre déplorable condition? Que nous crie donc ce chaos et cette confusion monstrueuse, sinon la vérité de ces deux états, avec une voix si puissante, qu'il est impossible de résister?

4.

Nous ne concevons' ni l'état glorieux d'Adam, ni la nature de

1 << Mais en chassant. » Ce style ressemble à ces instruments de précision dont se servent les sciences exactes; touché de cette plume, rien ne reste vague et confus. La pensée saute aux yeux, pour ainsi dire.

2 « Au péché. » Gradation toute chrétienne; le péché est le dernier terme, et pire que la mort.

. « Et elle crie. » Les impies sont si loin et si sourds, que pour eux il faut crier.

4 « Mais sans enfler. » On est confondu de la netteté et de la vivacité des impressions que ce langage porte avec soi.

« Qui peut donc refuser. » P. R. (111) donne à part cet alinéa comme une pensée détachée. Combien il est ici mieux à sa place! L'émotion contenue dans ce qui précède, émotion puisée aux sources les plus profondes de la piété chrétienne, a besoin d'éclater et de s'épancher dans cette exclamation.

6 << Que nous crie donc. » Cf. VIII, 4: « Qu'est-ce donc que nous crie cette » avidité et cette impuissance? » Et plus haut : « Quelle chimère est-ce donc que l'homme, quelle nouveauté, quel chaos! » etc.

7 « Nous ne concevons. » Dans la Copie. Manque dans P. R.

son péché, ni la transmission qui s'en est faite en nous. Ce sont choses qui se sont passées dans l'état d'une nature toute différente de la nôtre, et qui passent notre capacité présente. Tout cela nous est inutile à savoir pour en sortir; et tout ce qu'il nous importe de connaître est que nous sommes misérables, corrompus, séparés de Dieu, mais rachetés par JÉSUS-CHRIST; et c'est de quoi nous avons des preuves admirables sur la terre. Ainsi les deux preuves1 de la corruption et de la rédemption se tirent des impies, qui vivent dans l'indifférence de la religion, et des Juifs, qui en sont les ennemis irréconciliables.

5.

Le christianisme 2 est étrange! Il ordonne à l'homme de reconnaître qu'il est vil, et même abominable; et lui ordonne de vouloir être semblable à Dieu. Sans un tel contre-poids, cette élévation le rendrait horriblement vain, ou cet abaissement le rendrait horriblement abject.

La misère persuade' le désespoir, l'orgueil persuade la présomption. L'incarnation montre à l'homme la grandeur de sa misère, par la grandeur du remède qu'il a fallu.

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5

6.

Non pas un abaissement qui nous rende incapable du bien, ni une sainteté exempte du mal.

1

« Ainsi les deux preuves. » P. R., XXVIII. Bossut, II, xvII, 44. Ainsi est dans le sens de par exemple. P. R. a fait précéder cette phrase des lignes suivantes, qui ont pour objet de la préparer et de l'expliquer, et qui nous dispensent d'un commentaire « Les impies, qui s'abandonnent aveuglément à leurs passions sans con» naître Dieu, et sans se mettre en peine de le chercher, vérifient par eux-mêmes ce ⚫ fondement de la foi qu'ils combattent, qui est que la nature des hommes est dans » la corruption. Et les Juifs, qui combattent si opiniâtrément la religion chrétienne, » vérifient encore cet autre fondement de cette même foi qu'ils attaquent, qui est que. Jésus-Christ est le véritable Messie, et qu'il est venu racheter les hommes, et les > retirer de la corruption et de la misère où ils étaient; [ils le vérifient] tant par » l'état où on les voit aujourd'hui, et qui se trouve prédit dans les prophéties, » que par ces mêmes prophéties qu'ils portent et qu'ils conservent inviolablement » comme les marques auxquelles on doit reconnaître le Messie. Ainsi les preuves, » etc. Du reste, cette pensée se retrouvera ailleurs, xx, 5, entourée de plusieurs autres qui se rapportent toutes à ces deux dogmes, corruption et rédemption.

2 « Le christianisme. » 412. P. R., III.

3

4

<< La misère persuade. » 393. P. R., III. P. R. ne donne que la seconde phrase.

« L'orgueil. » Il fallait dire, ce semble, la grandeur. L'orgueil ou la présomption, c'est la même chose.

<< Non pas un abaissement. » 265. P. R., III. P. R. écrit: « On ne trouve pas » dans la religion chrétienne un abaissement, » etc. Cf. le paragraphe 3.

Il n'y a point de doctrine plus propre à l'homme que celle-là, qui l'instruit de sa double capacité de recevoir et de perdre la grâce, à cause du double péril où il est toujours exposé, de désespoir ou d'orgueil.

7.

Les philosophes 2 ne prescrivaient point des sentiments proportionnés aux deux états 3. Ils inspiraient des mouvements de grandeur pure, et ce n'est pas l'état de l'homme. Ils inspiraient des mouvements de bassesse pure, et ce n'est pas l'état de l'homme. Il faut des mouvements de bassesse, non de nature, mais de pénitence; non pour y demeurer, mais pour aller à la grandeur. Il faut des mouvements de grandeur, non de mérite', mais de grâce, et après avoir passé par la bassesse.

8

8.

Nul n'est heureux comme un vrai chrétien, ni raisonnable, ni vertueux, ni aimable '.

10

Avec combien peu d'orgueil un chrétien se croit-il uni à Dieu ! avec combien peu d'abjection s'égale-t-il aux vers de la terre! La belle manière 11 de recevoir la vie et la mort, les biens et les maux!

9.

Incompréhensible 12. -Tout ce qui est incompréhensible ne laisse pas d'être. Le nombre infini 13. Un espace infini1, égal au fini.

13

1 « Il n'y a point de doctrine. » 405. P. R., III.

2 « Les philosophes. » 481. P. R., III.

3 « Aux deux états. » De grandeur et de bassesse.

4

« De grandeur pure. » Dans l'école stoïcienne.

5 <<< De bassesse pure. » Dans l'école épicurienne.

6 « Et ce n'est pas l'état de l'homme. » C'est la même condamnation, il la pro

nonce dans les mêmes termes. P. R. a tort de les changer.

7 << Non de mérite. » C'est-à-dire qui partent, non du sentiment de notre mérite; mais de la confiance en la grâce.

8

« Nul n'est heureux. » 414. P. R., III.

9

« Ni aimable.» Pascal a-t-il été ce vrai chrétien, le plus heureux des hommes,

e plus raisonnable, le plus aimable? Qu'on lise sa vie écrite par sa sœur.

10 « Avec combien peu d'orgueil. » 202. P. R., III.

11

« La belle manière. » Cette phrase manque dans les éditions.

12

« Incompréhensible. » 323. P. R., IV. P. R. supprime le premier alinéa. Le mot incompréhensible indique une première objection contre le dogme, qui est qu'il est incompréhensible. Pascal répond: Tout ce qui est incompréhensible, etc.,

13

14

« Le nombre infini. » Mais il n'y a pas de nombre infini. Voir x, 1.

« Un espace infini. Supposez un espace qui s'étende à l'infini, mais en se

Incroyable que Dieu s'unisse à nous. Cette considération n'est tirée que de la vue de notre bassesse. Mais si vous l'avez bien sincère2, suivez-la aussi loin que moi, et reconnaissez que nous sommes en effet si bas, que nous sommes par nous-mêmes incapables de connaître❜ si sa miséricorde ne peut pas nous rendre capables de lui. Car je voudrais bien savoir d'où cet animal', qui se reconnaît si faible, a le droit de mesurer la miséricorde de Dieu, et d'y mettre les bornes que sa fantaisie lui suggère. L'homme sait si peu ce que c'est que Dieu, qu'il ne sait pas ce qu'il est lui-même : et, tout troublé de la vue de son propre état, il ose dire que Dieu ne peut pas le rendre capable de sa communication! Mais je voudrais lui demander si Dieu demande autre chose de lui, sinon qu'il l'aime en le connaissant ; et pourquoi il croit que Dieu ne peut se rendre connaissable et aimable à lui, puisqu'il est naturellement capable d'amour et de connaissance. Il est sans doute qu'il connaît au moins qu'il est', et qu'il aime quelque chose. Donc s'il voit quelque chose dans les ténèbres où il est, et s'il trouve quelque sujet d'amour parmi les choses de la terre, pourquoi, si Dieu lui donne quelques

rétrécissant toujours, comme certains espaces asymptotiques, de manière qu'en additionnant les portions successives de cet espace, la mesure en puisse être représentée par la série indéfinie 1 +++, etc. La limite de cette série sera 2; en d'autres termes, la mesure de cet espace sera toujours moindre que 2; ou, suivant les expressions dont se servent les mathématiciens, elle ne deviendra égale à 2 qu'à l'infini. Il y aura donc là un espace infini égal à un espace fini qui serait mesuré par 2. Mais l'espace asymptotique, s'étendant à l'infini, n'est qu'une conception abstraite de l'entendement, sans réalité dans la nature.

1 Incroyable que Dieu. Seconde objection. P. R. met en titre, Il n'est pas incroyable, etc., puis commence ainsi : « Ce qui détourne les hommes de croire qu'ils » soient capables d'être unis à Dieu n'est autre chose que la vue de leur bassesse.» 2 « Mais si vous l'avez bien sincère. » P. R., Mais s'ils l'ont, etc.

<< Incapables de connaître. On voit très-bien là comment Pascal prétend faire servir le scepticisme à la foi. Nous avons si peu de raison, que nous ne pouvons pas même savoir ce qui est suivant la raison.

• « D'où cet animal. » P. R., cette créature.

5 « A le droit de mesurer. » Quand nous découvrons dans la nature quelque force nouvelle et inconnue, nous ne prétendons pas mesurer à priori ce qu'elle peut faire. Pourquoi donc le prétendons-nous à l'égard de Dieu? N'est-ce pas que la mesure des forces de la nature paraît tout à fait indépendante de l'idée que nous avons d'elles, car elles se manifestent tout à fait en dehors de nous. Au contraire, nous trouvons Dieu en nous, dans notre raison, dans les conceptions métaphysiques de cause, de substance, d'infini. Dès lors, nous sommes tentés naturellement de mesurer son essence à la mesure de nos idées, puisque c'est par nos idées qu'il y a un Dieu pour nous.

6 « Et tout troublé. » Que cela est vif et dédaigneux !

7

• Qu'il cornaît au moins qu'il est. » C'est le principe de Descartes.

rayons de son essence 1, ne sera-t-il pas capable de le connaître et de l'aimer en la manière qu'il lui plaira se communiquer à nous? Il y a donc sans doute 2 une présomption insupportable dans ces sortes de raisonnements, quoiqu'ils paraissent fondés sur une humilité apparente, qui n'est ni sincère, ni raisonnable, si elle ne nous fait confesser que, ne sachant de nous-mêmes qui nous sommes, nous ne pouvons l'apprendre que de Dieu.

ARTICLE XIII.

3

1.

La dernière démarche de la raison, c'est de connaître qu'il y a une infinité de choses qui la surpassent. Elle n'est que faible", si elle ne va jusqu'à connaître cela. Que si les choses naturelles la surpassent, que dira-t-on des surnaturelles?

6

5

Il faut savoir douter où il faut, assurer où il faut et se soumettre où il faut'. Qui ne fait ainsi n'entend pas la force de la raison. Il y en a qui faillent contre ces trois principes, ou en assurant tout' comme démonstratif, manque de se connaitre en démonstration; ou en doutant de tout', manque de savoir où il faut se soumet

1

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Quelques rayons de son essence. » Donner à l'homme quelques rayons n'est pas une expression juste pour dire faire arriver jusqu'à lui ces rayons.

2

<< Sans doute. » Dans le sens primitif et naturel de l'expression, sans aucun certainement.

doute,

3 « La dernière démarche. » 247. P. R., v.

4

« Elle n'est que faible. » C'est-à-dire Ce n'est qu'une raison faible, si, etc.

5 «Que si les choses naturelles. » Les choses naturelles surpassent quelquefois notre raison en ce sens qu'elle ne peut pas les expliquer; mais elles sont toujours à sa portée en ce sens qu'il lui appartient de les reconnaître, et de s'assurer de ce qu'elles sont.

6 « Il faut savoir. » 161. En titre, Soumission. P. R., v.

7 « Douter où il faut, » etc. Pascal avait écrit d'abord : « Il faut avoir ces trois qua»lités, pyrrhonien, géomètre, chrétien soumis; et elles s'accordent et se tempè» rent, en doutant où il faut, en assurant où il faut, en se soumettant où il faut. » Il semble avoir trouvé cette expression de pyrrhonien trop forte, et s'être corrigé lui-même comme P. R. aurait pu le corriger.

8 << Ou en assurant tout. » Les dogmatiques, les philosophes.

9

« Ou en doutant de tout. » Les incrédules ou les hérétiques.

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