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La seule religion

9.

contre nature 2, contre le sens commun3,

contre nos plaisirs, est la seule qui ait toujours été ".

10.

Toute la conduite des choses doit avoir pour objet l'établissement et la grandeur de la religion; les hommes doivent avoir en eux-mêmes des sentiments conformes à ce qu'elle nous enseigne; et enfin elle doit être tellement l'objet et le centre où toutes choses tendent, que qui en saura les principes puisse rendre raison et de toute la nature de l'homme en particulier, et de toute la conduite du monde en général.

... Ils blasphèment ce qu'ils ignorent. La religion chrétienne consiste en deux points. Il importe également aux hommes de les connaître, et il est également dangereux de les ignorer. Et il est également de la miséricorde de Dieu d'avoir donné des marques des deux.

Et cependant ils prennent sujet de conclure qu'un de ces points n'est pas, de ce qui leur devrait faire conclure l'autre. Les sages qui ont dit qu'il y a un Dieu ont été persécutés, les Juifs haïs, les Chrétiens encore plus. Ils ont vu par lumière naturelle que, s'il y a

1 « La seule religion. » 265. P. R., II.

2 « Contre la nature. » P. R. a soin d'ajouter, en l'état qu'elle est.

3 « Contre le sens commun. » P. R., et qui parait d'abord contraire au sens

commun.

4 « Qui ait toujours été. » Voir le paragraphe 5. On lit encore, page 7 du manuscrit : «La seule science qui est contre le sens commun et la nature >> des hommes est la seule qui ait toujours subsisté parmi les hommes. » Il est permis de penser qu'il y a eu des croyances plus contraires à la nature et au sens commun que le christianisme, et de le relever par d'autres titres que ne fait Pascal. Et les superstitions les plus bizarres ont été quelquefois aussi les plus contraires au plaisir de l'homme. Lucrèce nous les montre faisant verser le sang et les larmes : Tantum religio potuit suadere malorum!

5 « Toute la conduite. » Dans la Copie. P. R., 11.

«Doit avoir pour objet. » La fin du Discours sur l'Histoire universelle est de montrer qu'il en est ainsi.

7 << Ils blasphèment. » Dans la copie. Cet alinéa et le commencement du suivant manquent dans P. R.

8

<< Deux points. » Ces deux points sont Dieu d'une part, de l'autre la misère de l'homme. Cf. x, 2, et l'art. XII.

9

<< Faire conclure l'autre. » Ainsi ils nient Dieu à cause de la misère de l'homme; on ils nient la misère et la faiblesse de l'homme à cause qu'ils voient Dieu en lui.

A

1

une véritable religion sur la terre, la conduite de toutes choses 1 doit y tendre comme à son centre. Et sur ce fondement 2, ils prennent lieu de blasphémer la religion chrétienne, parce qu'ils la connaissent mal. Ils s'imaginent qu'elle consiste simplement en l'adoration d'un Dieu considéré comme grand, et puissant, et éternel; ce qui est proprement le déisme, presque aussi éloigné de la religion chrétienne que l'athéisme, qui y est tout à fait contraire. Et de là ils concluent que cette religion n'est pas véritable 3, parce qu'ils ne voient pas que toutes choses concourent à l'établissement de ce point, que Dieu ne se manifeste pas aux hommes avec toute l'évidence qu'il pourrait faire.

Mais qu'ils en concluent ce qu'ils voudront contre le déisme, ils n'en concluront rien contre la religion chrétienne, qui consiste proprement au mystère du Rédempteur, qui, unissant en lui les deux natures, humaine et divine, a retiré les hommes de la corruption du péché pour les réconcilier à Dieu en sa personne divine.

Elle enseigne donc aux hommes ces deux vérités : et qu'il y a un Dieu dont les hommes sont capables, et qu'il y a une corruption dans la nature qui les en rend indignes. Il importe également aux hommes de connaître l'un et l'autre de ces points; et il est également dangereux à l'homme de connaitre Dieu sans connaitre sa misère, et de connaitre sa misère sans connaître le Rédempteur qui l'en peut guérir. Une seule de ces connaissances fait ou l'orgueil des philosophes, qui ont connu Dieu et non leur misère, ou le désespoir des athées, qui connaissent leur misère sans Rédempteur. Et ainsi, comme il est également de la nécessité de l'homme de connaître ces deux points, il est aussi également de la miséricorde de Dieu de nous les avoir fait connaître. La religion chrétienne le fait; c'est en cela qu'elle consiste. Qu'on examine l'ordre du monde sur cela, et qu'on voie si toutes choses ne tendent pas à l'établissement des deux chefs de cette religion.

2

«La conduite de toutes choses. » Voir le fragment ci-dessus.

« Sur ce fondement. » P. R. rattache immédiatement ce qui suit au fragment, Toute la conduite des choses, etc.

3 « N'est pas véritable. » Parce qu'ils trouvent en l'homme mille misères qui

cachent Dieu, et qui semblent témoigner contre lui.

4 «Ne se manifeste pas aux hommes. » Cf. § 5, premier fragment.

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« On l'orgueil des philosophes. » Voir le paragr. 4.

11.

Si l'on ne se connaît plein de superbe, d'ambition, de concupiscence, de faiblesse, de misère et d'injustice, on est bien aveugle. Et si en le connaissant on ne désire d'en être délivré, que peut-on dire d'un homme ?... Que peut-on donc avoir que de l'estime pour une religion qui connaît si bien les défauts de l'homme, et que du désir pour la vérité d'une religion qui y promet des remèdes si souhaitables?

PREUVE.

12.

1o La religion 2 chrétienne, par son établissement': par elle-même établie si fortement, si doucement, étant si contraire à la nature. 2o La sainteté, la hauteur et l'humilité d'une âme chrétienne. 3o Les merveilles de l'Écriture sainte. - 4o JésusChrist en particulier. -5° Les apôtres en particulier. -6° Moïse et les prophètes en particulier. - 7o Le peuple juif'. — 8° Les prophéties'. 9° La perpétuité. Nulle religion n'a la perpétuité. 10° La doctrine, qui rend raison de tout'. sainteté de cette loi. 12° Par la conduite du monde 1o.

- 11° La

Il est indubitable qu'après cela on ne doit pas refuser, en consi

1 « Si l'on ne se connaît. » 17. P. R., II.

2

3

« Preuve. 4° la Religion. » 258. Ce tableau abrégé des preuves de la Religion, qui est pour nous comme une table des matières que voulait traiter Pascal, n'a pas été reproduit par P. R. dans la première édition des Pensées. Depuis on a donné, au lieu du texte, une paraphrase assez étendue, qui n'est évidemment pas de Pascal. «Par son établissement. » Sous-entendu, prouve J. C. par son établissement. 4 « Et l'humilité... » Dans la paraphrase par laquelle les éditions remplacent ce fragment, on lit : « Les philosophes païens... n'ont jamais reconnu pour vertu ce » que les chrétiens appellent humilité, et ils l'auraient même crue incompatible >> avec les autres dont ils faisaient profession. » D'un autre côté, dans l'Entretien avec Sacy, Pascal dit en parlant d'Epictete : « Il montre en mille manières ce que >> l'homme doit faire. Il veut qu'il soit humble... » Voltaire a fait ressortir cette contradiction, mais on voit qu'elle n'est pas le fait de Pascal. Voltaire. ignorait que Pascal n'a écrit ni l'un ni l'autre de ces deux passages. Seulement le second renferme bien, je crois, sa pensée, mais Pascal ne répond en aucune manière du premier. 5 « Jésus-Christ en particulier. » Voir l'art. XVII.

7

« Le peuple juif. » Voir l'art. xv.

« Les prophéties. » Voir l'art. XVIII.

8 « La perpétuité. » Voir les paragraphes 5, 6, 7.

9

« Qui rend raison de tout. » C'est-à-dire qui explique les contradictions qu'il y a en l'homme, sa grandeur et sa misère. Voir le paragr. 40, etc., et l'art. XII.

10 «Par la conduite du monde. » Ce douzième chef ne se retrouve pas dans la paraphrase des éditions, peut-être parce qu'on n'a pas bien compris les termes dont se sert Pascal. Ils s'expliquent par ce qui est dit, dans la première et dans la dernière phrase du paragr. 40, de la conduite des choses, de l'ordre du monde. Il suffit d'y

renvoyer.

dérant ce que c'est que la vie, et que cette religion, de suivre l'inclination de la suivre, si elle nous vient dans le cœur; et il est certain qu'il n'y a nul lieu de se moquer de ceux qui la suivent.

ARTICLE XII.

1.

Les grandeurs et les misères de l'homme sont tellement visibles, qu'il faut nécessairement que la véritable religion nous enseigne et qu'il y a quelque grand principe de grandeur en l'homme, et qu'il y a un grand principe de misère. Il faut donc qu'elle nous rende raison de ces étonnantes contrariétés.

Il faut que, pour rendre l'homme heureux, elle lui montre qu'il y a un Dieu; qu'on est obligé de l'aimer; que notre vraie félicité est d'être en lui, et notre unique mal d'être séparé de lui; qu'elle reconnaisse que nous sommes pleins de ténèbres, qui nous empêchent de le connaitre et de l'aimer; et qu'ainsi nos devoirs nous obligeant d'aimer Dieu, et nos concupiscences nous en détournant, nous sommes pleins d'injustice. Il faut qu'elle nous rende raison de ces oppositions que nous avons à Dieu et à notre propre bien; il faut qu'elle nous enseigne les remèdes à ces impuissances, et les moyens d'obtenir ces remèdes. Qu'on examine sur cela 2 toutes les religions du monde, et qu'on voie s'il y en a une autre que la chrétienne qui y satisfasse.

Sera-ce les philosophes 3, qui nous proposent pour tout bien les biens qui sont en nous? Est-ce là le vrai bien? Ont-ils trouvé le remède à-nos maux? Est-ce avoir guéri la présomption de l'homme que de l'avoir égalé à Dieu ? Ceux qui nous ont égalés aux bêtes", et les mahométans qui nous ont donné les plaisirs de la terre

3

1 « Les grandeurs et les misères. » 347. En titre : A P. R. [Voir vIII, 5]: commencement, après avoir expliqué l'incompréhensibilité. C'est-à-dire, après avoir fait voir qu'il y a dans l'homme une contradiction incompréhensible. Cf. viii, 5; X1, 40, etc. - P. R., 111.

2

« Qu'on examine sur cela. » C'est la onzième preuve de la religion, indiquée au paragr. 42 de l'art. XI.

3 « Les philosophes. » Les stoïques.

5

« Ceux qui nous ont égalés aux bêtes. » Les épicuriens.

« Les mahométans. » Supprimé dans P. R., ainsi que les mots même dans l'é

pour tout bien, mème dans l'éternité1, ont-ils apporté le remède à nos concupiscences?

Quelle religion nous enseignera donc à guérir l'orgueil et la concupiscence? Quelle religion enfin nous enseignera notre bien, nos devoirs, les faiblesses qui nous en détournent, la cause de ces faiblesses, les remèdes qui les peuvent guérir, et le moyen d'obtenir ces remèdes? Toutes les autres religions ne l'ont pu. Voyons ce que fera la Sagesse de Dieu.

4

N'attendez pas 2, dit-elle3, ni vérité, ni consolation des hommes. Je suis celle qui vous ai formés, et qui puis seule vous apprendre qui vous êtes. Mais vous n'êtes plus maintenant en l'état où je vous ai formés. J'ai créé l'homme saint, innocent, parfait; je l'ai rempli de lumière et d'intelligence; je lui ai communiqué ma gloire et mes merveilles. L'œil de l'homme voyait alors la majesté de Dieu. Il n'était pas alors dans les ténèbres qui l'aveuglent, ni dans la mortalité et dans les misères qui l'affligent. Mais il n'a pu soutenir tant de gloire sans tomber dans la présomption. Il a voulu se rendre centre de lui-même, et indépendant de mon secours. Il s'est soustrait de ma domination; et, s'égalant à moi par le désir de trouver sa félicité en lui-même, je l'ai abandonné à lui; et, révoltant les créatures', qui lui étaient soumises, je les lui ai rendues ennemies :

ternité, de manière que ce qui reste de la phrase ne se rapporte plus qu'à la philosophie épicurienne. La cause de cette suppression est que P. R. a intercalé ici une phrase prise d'un autre fragment (Levez vos yeux, etc., XI, 4), et qu'alors les mahométans troublaient la suite des idées.

1 « Même dans l'éternité. » Voir le chapitre 2 du Coran : « Annoncez aux vrais >> croyants qui feront de bonnes œuvres, qu'ils jouiront des grâces immenses du paradis, dans lequel coulent plusieurs fleuves. Ils y trouveront toutes sortes de fruits beaux et savoureux que Dieu leur a préparés...; ils y trouveront des femmes belles » et nettes, et demeureront dans une éternelle félicité. » Et passim. Traduction de Du Ryer, 1647.

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2 << N'attendez pas. » P. R. intercale avant ces mots un alinéa qu'on trouvera plus loin C'est en vain, 6 hommes, etc.

<< Dit-elle. » Comment est-ce que la Sagesse de Dieu nous parle? Par la voix de la Religion chrétienne.

« L'œil de l'homme. » Au lieu de dire simplement, l'homme. On frappe davantage l'esprit en l'arrêtant sur un objet sensible.

5 « Il n'était pas alors. » L'homme.

6 « Ni dans la mortalité. » Pascal distingue toujours deux sortes de misères dans la condition humaine: celle de l'intelligence, qui est l'erreur; celle de la sensibilité, qui est la souffrance et la mcrt."

7 « Et révoltant les créatures. » Il y a là deux choses d'une part, Dieu abandonne l'homme à lui-même; de l'autre, il révolte les créatures contre lui. C'est comme abandonné de Dieu qu'il se trouve dans un tel éloignement de lui; c'est

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