Page images
PDF
EPUB

duit absolu et exclusif de l'activité personnelle. Alors en effet le péché actuel ne peut entraîner culpabilité si sa présence est amenée par quelque chose autre que la propre détermination. Mais nous nions justement que pour qu'il y ait culpabilité, l'individu doive être la cause absolue et exclusive du fait. Le concours ne doit sans doute pas faire défaut, mais il suffit. A la vérité, l'homme n'est pas responsable en tant qu'il ne peut empêcher le péché originel de se traduire avec puissance en dispositions et en actes mauvais mais il est responsable en tant qu'il peut réagir contre cette puissance. Si donc le pécheur, malgré toute son activité formelle, considéré au point de vue réel, se laissait complétement déterminer par le principe dominant l'état duquel son péché procède, le péché actuel ne serait plus qu'une forme particulière sous laquelle le péché originel se manifesterait nécessairement il n'entraînerait pas culpabilité. Mais nous nions précisément que, quand il commet le péché actuel, l'homme soit complétement déterminé par la disposition innée. Appuyé sur les déclarations de l'apôtre (Rom. VII), nous prétendons que, quoique privé de la liberté réelle, le pécheur n'est cependant déterminé que conditionnellement, vu qu'il serait déterminé tout autrement par le péché originel s'il ne réagissait pas contre lui. Il aboutirait alors, toujours avec nécessité à l'endurcissement, à se poser comme Dieu en face de Dieu. Il ne pourrait plus être l'objet que d'une rédemption mécanique, tandis que St. Paul admet en dehors de la rédemption des degrés divers de moralité et de corruption. La rédemption ne peut avoir lieu selon lui que lorsque, à la suite d'une vraie réaction contre la puissance du péché, le salut est recherché intérieurement et saisi quand il est offert.

On ne saurait donc dire que la responsabilité relative soit équivalente à l'absence de responsabilité. Bien au contraire, celle-ci conserve toute sa réalité ou mieux encore elle ne devient vraie que lorsque, débarrassée de toute fiction, elle correspond d'une manière vivante à la réalité.

La nécessité d'une réconciliation générale n'est-elle pas rendue incertaine par l'admission de cette responsabilité relative? Il semble qu'il doive en être ainsi. Il est en effet toujours pos

sible que chaque individu, bien qu'il soit hors d'état d'échapper à la puissance du péché une fois introduit par Adam, puisse dans tout le cours de son existence réagir contre lui d'une façon telle à n'y consentir jamais, le sachant et le voulant, à se maintenir ainsi à l'abri de culpabilité proprement dite. Cette possibilité ne peut être constatée dès qu'on ne veut pas enlever à la responsabilité, chez les descendants d'Adam, ce qui la constitue. La nécessité de la réconciliation ne deviendrait dans ce cas incertaine que si la généralité de la culpabilité devenait par ce fait problématique. Mais ne devient-elle pas problématique du moment, où de ce point de vue, la nécessité ne saurait être prouvée et qu'il faut se borner à affirmer la réalité? Après tout, nous ne sommes pas dans une autre position que celle dans laquelle nous nous trouvons, lorsque nous disons que, si Adam n'avait pas péché, un Sauveur n'aurait pas été nécessaire. Si donc il n'y a pas moyen d'expliquer comment Adam a donné son consentement aux desseins de Satan, la nécessité de ce consentement ne peut être prouvée. Dirons-nous que l'universalité de la culpabilité cesse d'être certaine parce que sa nécessité demeure inexplicable? C'est ici qu'on peut avancer en preuve le fait que nul homme ne peut s'excuser, que la conscience de chacun le déclare responsable.

Il est bien vrai que la circonstance que toutes les consciences donnent leur assentiment, semble indiquer d'une façon frappante qu'il ne s'agit pas là d'un fait arbitraire, mais d'une vraie nécessité. Toutefois cette explication est justement une illusion logique qui ne peut être surmontée autrement que par chaque conscience individuelle. Il résulte de tout cela qu'on ne peut avancer aucune preuve inductive proprement dite pour établir l'universalité de la culpabilité. Voilà pourquoi St. Paul n'a jamais entrepris d'en donner une. A divers égards, la génėralité de la culpabilité est une hypothèse; l'expérience objective ne suffit pas pour l'établir, mais sa vérité est prouvée par la conscience de chaque individu. Chacun sait en effet que ce n'est pas sans son consentement qu'il a été placé dans l'état de péché où il se trouve. Ce n'est que dans ce sens, et dans ce sens seulement, qu'on peut dire avec Augustin: non inviti tales sumus.

Reste à savoir si Dieu ne paraît pas injuste quand il exécute sur les descendants d'Adam la sentence portée contre lui, du moment où on ne peut les considérer comme des coupables de naissance ayant pris part à sa transgression.

La sentence portée contre Adam a été la mort. Pour lui donc la mort corporelle a été la conséquence et la punition de son péché. La maxime pélagienne: Adamus sive peccaret, sive non peccaret, moriturus fuisset, à laquelle se rattachent des hommes comme Schleiermacher, Néander, Steudel, est expressément contredite par les enseignements de St. Paul, et de l'Ecriture en général.

Le péché n'est pas seulement dans un rapport subjectif avec la mort, comme si celle-ci n'était une conséquence du péché que quant aux douleurs et aux frayeurs qui l'accompagnent. Le rapport est objectif, de sorte que par suite du péché l'homme est soumis à la séparation de l'âme et du corps par la décomposition de ce dernier, quoique la puissance douloureuse et malfaisante de la mort réside dans le péché. (1 Cor. XV, 56.)

La mort, toutefois, n'est pas la conséquence ni le châtiment du péche actuel des individus ; c'est un état de mort provoqué non point par l'activité des individus, mais immédiatement donné par la transgression d'Adam. (Rom. V, 15.) Pour le premier homme donc la mort se présente comme une punition, pour les descendants elle n'est qu'un mal naturel auquel ils se trouvent soumis, non point par suite de leur péché personnel, mais comme une conséquence de la transgression d'Adam.

Admet-on que tous les hommes ont réellement pris part à la transgression d'Adam, Dieu ne peut plus être considéré comme injuste pour avoir réalisé contre eux tous la menace faite à Adam. Mais les résultats auxquels nous sommes arrivés nous interdisent cette solution. La justice de Dieu paraît donc mise en question, en tant qu'elle ne doit faire à chacun que suivant ses mérites et ses démérites.

Toutefois nous ne devons pas nous laisser tromper par cette apparence, si nous réfléchissons que le cas est le même quand il s'agit de ceux qui parviennent à la vie éternelle par la justice de Christ. Il ne peut pas plus être question de mérite

pour ceux-ci que de démérite pour les adultes et pour les enfants qui meurent par suite du péché d'Adam. Bien qu'aucun des fidèles n'ait été obéissant comme Christ, ils n'en seront pas moins traités comme justes à cause de lui. C'est là le décret objectif de Dieu qui trouve sa réalisation subjective chez ceux qui croient. Ce décret paraît tout à fait incompréhensible du point de vue d'une conception tout à fait légale de la justice divine. En effet au point de vue légal nul ne peut avoir part à un bien qu'il ne lui ait été promis par la loi à la suite d'un acte particulier. De sorte que l'attitude qu'une personne prend à l'égard de la loi ne peut profiter à une autre. De ce point de vue-là, la mort venant sur toute la race par suite du péché d'Adam parait également un fait incompréhensible. Dans l'autre cas, c'était la grâce; dans celui-ci, c'est la colère, qui paraît aller trop loin. Néanmoins il ne résulte pas encore de cela que Dieu soit injuste. C'est tout simplement que la notion de justice, telle qu'elle se forme au point de vue strictement légal, n'est plus applicable dès qu'il s'agit de désigner la conduite de Dieu à l'égard des qualités morales de l'homme. Dieu n'est pas plus injuste, quand il traite en justes à cause de Christ ceux qui ne le sont pas, que quand il fait venir la mort sur tous les descendants d'Adam exactement comme s'ils avaient péché.

Quand il s'agit de Dieu, la justice c'est sa rectitude, c'est-àdire qu'il se comporte conformément à la position qu'il prend. Cette justice crée la loi et rétribue. Elle ne se manifeste pas seulement dans la punition, mais aussi dans le pardon : elle se montre dans la justification en ce qu'elle justifie non pas celui qui accomplit des œuvres, d'ailleurs insuffisantes, mais l'homme qui s'approprie par la foi la justice de Christ. (Rom. III, 26.) Toutefois elle n'en demeure pas moins en complète harmonie avec la sagesse et l'amour de Dieu (Rom. XI, 33), de sorte que toute répartition et toute crise a rapport au souverain bien. Mais nous ne saurons jamais à priori ni comment le mal cessera d'être actif d'une manière permanente dans le monde, ni comment le souverain bien doit être amené. Il est en tout cas certain que le point de vue strictement légal ne suffit point pour apprécier les dispensations divines. La chose ne peut avoir lieu

que du point de vue de la révélation en Christ. Ceux qui entrent avec lui en communauté de foi, le reconnaissent comme l'initiateur personnel de la grâce et de la vie, comme la source d'un salut auquel, dans aucune circonstance, ils n'auraient eu droit, du point de vue légal. Mais si cette expérience ne doit pas être avant la fin d'une certitude inébranlable, un fait historique nous en présente un type. Par un seul homme la mort est venue sur tous les hommes. Il est certain qu'au point de vue légal, strict, c'est là une dispensation providentielle injustifiable. Ce fait qui manifeste l'insuffisance du point de vue légal, doit contribuer à nous donner la pleine et entière certitude que nous aurons part à la vie éternelle à cause d'un seul qui a été réellement juste. C'est là le point de vue auquel il faut se placer pour bien comprendre la pensée de St. Paul. (Rom. V, 12.) Or de ce point de vue-là on n'est nullement intéressé à admettre une culpabilité de naissance chez les descendants d'Adam. Il ne s'agit pas en effet de montrer que Dieu est juste en faisant mourir tous les hommes par suite de la transgression d'Adam, parce que tous y ont pris part, mais bien de constater une dispensation divine incontestable, bien que du point de vue strictement légal elle demeure incompréhensible.

« PreviousContinue »