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doivent être grandement pris en considération. C'est ainsi qu'à la religion subjective s'en ajoute une objective: on voit naître un ensemble de formes et de représentations au moyen desquelles une piété particulière a donné une existence objective et permanente à tous les traits principaux qui la caractérisent. Naturellement la piété s'objective ainsi sous toutes ses faces; l'activité de la volonté ou l'action s'y trouve représentée auss' bien que la conscience ou la connaissance. Comme le dogme relève évidemment de la connaissance et non de la pratique, c'est ce côté-là qui doit seul nous occuper ici.

La connaissance religieuse s'objective à des degrés divers qui correspondent aux phases mêmes de son développement. La connaissance religieuse, comme toutes les autres fonctions de la personnalité en général, se développe en tout premier lieu par le côté individuel. Nous commençons par apprendre au moyen du sentiment, qui est spécifiquement différent chez chacun, plutôt que par l'entendement, qui demeure identiquement le même chez tous les hommes. Le pressentiment, le sentiment de Dieu constitue notre première connaissance religieuse. Il s'objective dans une image, dans un symbole (au sens esthétique et non ecclésiastique): la religion objective, à son premier degré, est une mythologie, Loin de prendre ce mot au sens défavorable, nous affirmons que la notion de religion, par conséquent aussi le christianisme, implique une mythologie, tout un monde appartenant à la fantaisie religieuse.

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Vient ensuite la connaissance par l'entendement, l'élément général, la connaissance réfléchie qui produit la science. La science religieuse ne peut s'objectiver que dans une forme universelle, la parole, ce qui nous donne la doctrine. Ici encore nous avons une gradation : la représentation d'abord ou la pensée incomplète qui, nous donne l'opinion religieuse; la pensée proprement dite, qui s'objective dans la thèse (le dogme). Mais tout ceci peut n'avoir lieu encore qu'à l'occasion de certains éléments déterminés de la conscience religieuse, juxtaposés et pris dans leur isolement. Lorsque tout est ramené à l'unité de façon à former un organisme nous avons le système.

Tout ce développement que nous avons suivi d'une manière

abstraite, s'accomplit concrètement dans le sein de la société piété s'objective successivement de la manière où cela vient religieuse, dans l'église. Elle naît elle-même par le fait que la d'être indiqué. Bien que l'élément mythologique soit indispensable à l'ensemble, il se montre bientôt insuffisant à lui seul. Les individus éprouvent le besoin de s'entendre dans le domaine de la connaissance. On en vient à une communauté de science dans l'église en ce que celle-ci objective les diverses connaissances individuelles en une doctrine religieuse déterminée, qu'elle proclame, sanctionne de son autorité comme l'expression adéquate de la conscience particulière de cette société religieuse et commune à tous ceux qui en sont membres. Nous obtenons alors la doctrine ecclésiastique, positive et autorisée, sans laquelle il ne saurait y avoir d'église. Nous avons d'abord les opinions religieuses qui s'objectivent dans les usages ecclésiastiques; mais comme ce premier degré est encore trop vague et trop incertain, il ne manque pas d'éclater des dissensions qui obligent l'église à s'élever à des pensées plus précises, que tous ses membres considèrent comme l'expression parfaitement adéquate de leur conscience religieuse. Ce n'est que lorsque la conscience religieuse d'une église a obtenu une expression dans de pareilles pensées que le besoin de vie en commun est pleinement satisfait. Dès l'instant où une pareille pensée est sanctionnée par l'église et présentée comme l'exposant adéquat de la conscience religieuse de ses membres elle devient un dogme. La chose ne peut avoir lieu authentiquement qu'au moyen d'une confession de foi. Les confessions de foi font seules les dogmes; mais on ne peut faire de confession de foi qu'avec des matériaux dogmatiques, avec des idées, des pensées et non avec des représentations et des opinions nécessairement trop vagues et trop indéterminées.

Ce qui constitue le dogme, ce n'est pas son contenu mais sa forme, savoir sa qualité scientifique comme pensée parlant à l'entendement et son expresse sanction par l'église. Des principes de conduite peuvent donc être aussi bien des dogmes que des articles de foi. Tout dogme suppose l'église, et comme celle-ci est divisée, une confession particulière. Tous les dog

mes d'une église spéciale, sans réserve aucune, portent l'empreinte du principe spécial qui la caractérise. Aucun d'eux ne peut être arbitrairement arraché du sol où il plonge ses racines. Depuis la séparation des églises, il n'y a plus de dogmes généraux et communs '.

Le besoin de systématiser les dogmes d'abord isolés et séparés, se fait sentir pour l'église comme pour les individus. La contradiction, du moins apparente, qu'on ne tarde pas à découvrir entre plusieurs dogmes, obligerait à elle seule à faire ce pas en avant. Ces dogmes organisés et ramenés à l'unité donnent la dogmatique. Cette tendance à systématiser se montre d'abord après que les dogmes particuliers ont été arrêtés. Elle aboutit en partie à en former de nouveaux, parce que, pour obéir aux exigences de la systématisation, il faut nécessairement transformer ou du moins modifier quelques dogmes déjà fixés. Ce fait est un indice qu'il y a une erreur quelque part: aussi l'ensemble doit-il être soumis à une manipulation dialectique nouvelle qui fasse tout rentrer dans l'unité et dans l'harmonie, car enfin la conscience religieuse spéciale qui a produit ces éléments divers est une.

La dogmatique est donc l'exposition scientifique de la doctrine officiellement reconnue dans une église particulière. Elle ne peut se borner à exposer la somme des idées qui règnent dans le sein d'une confession; il s'agit de faire ressortir le lien intérieur réunissant les diverses parties et les mettant en rapport avec le caractère fondamental qui se manifeste en elle sur le terrain intellectuel, comme l'expression d'une conscience religieuse particulière. On ne saurait se borner à montrer un simple lien logique entre les divers dogmes, en les rangeant sous des rubriques diverses comme autant de locos communes. Ce n'est là que le lent commencement de la dogmatique. Il faut signaler un lien intérieur en accusant le principe supérieur qui justement parce qu'il domine tous les détails, doit servir à les grou

♦ Le symbole des apôtres n'est nullement un ensemble de dogmes; son caractère purement historique montre déjà, à lui seul, que lors de sa rédaction l'église n'en était pas encore venue à ce point de développement où les dogmes se forment.

per de façon à constituer un organisme. Mais ce principe supérieur ne doit pas être emprunté arbitrairement à une sphère étrangère ou hostile à la dogmatique; il doit jaillir du fond même des matériaux à organiser.

Une pareille exposition des dogmes implique une appréciation qui doit être parfaitement libre. Il ne peut être question de viser à conserver ou à défendre la doctrine reçue; une appréciation faite à un pareil point de vue serait tout à fait illusoire. Malgré sa liberté, la critique dogmatique est à son tour liée en ce qu'elle doit être dogmatique, c'est-à-dire apprécier les dogmes d'après leur règle qui n'est autre que leur notion même. En d'autres termes, on ne peut admettre d'autre pierre de touche des dogmes que les principes mêmes que chaque église présente comme faisant règle pour sa doctrine, et non par exemple un système philosophique qu'elle récuse. Dès l'instant où une dogmatique fait appel à des principes de ce genre, elle cesse par le fait même d'être la dogmatique de l'église en question.

Cette notion de la dogmatique est sans contredit fort claire, et on ne saurait en dire autant de mainte idée courante sur cette branche de la théologie. C'est une discipline essentiellement positive, ou plus exactement historico-critique. Son objet lui est fourni par la doctrine ecclésiastique historiquement donnée; elle est appelée à la construire en système, tout en examinant critiquement si et dans quelle mesure elle répond à sa notion. Il est de la plus haute importance de ne pas confondre l'élément positif et l'élément critique. La dogmatique ne saurait donc être en aucune façon une discipline spéculative. Il est vrai toutefois qu'elle ne pourrait s'acquitter de sa mission sans posséder un système spéculatif, indépendant et théologique, son instrument indispensable. En effet, pour que son travail tire à conséquence, la dogmatique a absolument besoin de notions bien arrêtées, sans cela elle perd toute tenue scientifique, toute utilité didactique; ce n'est plus qu'un parlage à tort et à travers. Or, d'où la dogmatique tirerait-elle toutes ces notions indispensables, si ce n'est d'un système spéculatif?

Il n'en demeure pas moins vrai que la dogmatique n'est pas une science spéculative. Je sais parfaitement bien que les

théologiens sont fort disposés à suppléer par la dogmatique à une théologie spéculative qui leur fait défaut. Mais la dogmatique ne peut être ce supplément : aussi, ne doit-elle pas y pretendre. La confusion des deux disciplines a pour l'une et pour l'autre les plus fâcheuses conséquences: c'est la plus puissante cause de cette confusion d'idées qui attire de si vifs et légitimes reproches aux théologiens. Rien de plus indigeste, de plus faible qu'un mélange confus d'éléments positifs et d'éléments spéculatifs, surtout quand on le décore du titre de dogmatique philosophique. De même, en effet, que la théologie doit répudier tout mélange de philosophie, celle-ci à son tour ne peut consentir à se laisser traiter comme dogmatique, vu qu'elle ne voit dans le dogmatisme qu'un développement défectueux.

En dépit des grandes autorités qui soutiennent le contraire, je ne saurais non plus admettre qu'il y ait une « dogmatique biblique. » La condition indispensable pour faire une dogmatique, c'est d'avoir préalablement des dogmes. Or le dogmaticien ne saurait faire les dogmes, mais l'église seule; il doit se borner à retravailler scientifiquement ceux que l'église lui présente. Comme il n'y a pas de dogmes dans la Bible, il ne saurait donc être question d'une dogmatique biblique. La Bible renferme sans contredit un enseignement religieux, mais il n'a pas le caractère qui constitue le dogme. D'abord cet enseignement est loin d'avoir atteint le degré de développement scientifique et didactique voulu pour en faire un dogme, et en second lieu il ne porte pas le cachet de l'autorisation et de la sanction ecclésiastique positive qui en fasse l'enseignement exclusif d'une église. Qu'on parle tant qu'on voudra d'un enseignement religieux de la Bible mais non d'une dogmatique biblique. Cette terminologie ne pourrait que nuire aux études exégétiques et à la vraie dogmatique.

II

DE LA DOGMATIQUE PROTESTANTE ÉVANGÉLIQUE

A. De son principe.

EN PARTICULIER.

Il ne faut pas confondre, comme on ne le fait que trop souvent, le protestantisme évangélique, avec le

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