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nes ou juives, sur ce qui est vrai et saint? Or ce n'est qu'au contact de la révélation que peut s'éveiller en nous le sens du vrai, du saint et l'amour pour eux. En proportion où la révélation réveille nos besoins religieux nous acquérons aussi conscience de sa divinité.

III

LA SAINTE ÉCRITURE.

La révélation devant préparer historiquement la rédemption et devenir historique, ne peut être un simple météore; il faut qu'elle devienne d'abord et qu'elle se fixe ensuite au moyen d'un document authentique. Hors de ces conditions-là la révélation ne saurait atteindre son but. Il faut de plus que dès son apparition elle soit bien comprise pour l'essentiel. Nous ne disons pas d'une manière absolue, pure et complète, car l'humanité pécheresse à laquelle elle est destinée ne peut s'élever là que lentement, péniblement, graduellement. C'est un nouvel argument en faveur d'un document authentique qui permette de contempler les détails dans l'ensemble, et qui nous fasse autant que possible vivre dans le milieu où la révélation a primitivement pris naissance. Il faut qu'elle produise sur tout notre être, intelligence, volonté, les mêmes impressions qu'elle a produites sur ceux qui l'ont reçue pour la première fois. Tout cela ne peut avoir lieu qu'au moyen, d'un document qui soit lui-même partie intégrante des faits qu'il relate; qui nous fasse sentir de toutes parts les saintes et vivifiantes influences d'un monde supérieur où règnent les puissances surnaturelles, la présence immédiate de Dieu et du ciel. Comme il s'agit non d'enseignement religieux ou de dogmes, mais de piété chrétienne, il faut que nous vivions et respirions dans le milieu où elle a pris naissance. C'est à ces divers besoins que la sainte Ecriture est appelée à répondre. Sa mission lui confère la plus haute position et la plus grande importance d'abord après la révélation, avec laquelle, comme nous l'avons déjà vu, il im

porte toutefois beaucoup de ne pas la confondre. Cette position place la Bible infiniment plus haut que si on en faisait un manuel d'enseignement, un code religieux rédigé sous les yeux de l'autorité divine.

Le besoin de rétablir le christianisme primitif, de le distinguer de la tradition aurait dû conduire les réformateurs à voir dans la Bible, avant tout, un document historique, le seul document authentique de la révélation. On ne peut pas dire que ces idées leur aient été étrangères, mais au XVIe siècle on n'était pas généralement porté à considérer les questions religieuses sous le point de vue historique. Le protestantisme primitif distingue, il est vrai, entre la Parole de Dieu et la sainte Ecriture (voir Heppe, Dogmatik des deutschen Protestanlismus im 16. Jahrhundert, pag. 251), mais cela ne tire pas à conséquence, parce que d'autre part on voit dans l'Ecriture l'expression adéquate et absolue de la Parole de Dieu. Il ne leur vient jamais à l'esprit de se demander si la Bible ne renfermerait peut-être pas des éléments accessoires qui n'auraient pas droit à être considérés comme Parole de Dieu.

Le seul fait qui leur importe dans cette distinction c'est de pouvoir présenter comme Parole de Dieu l'Evangile prêché conformément à l'Ecriture. On méconnait ici entièrement la nature de la révélation; la Bible est présentée sous un faux jour; on exagère la valeur de l'élément doctrinal; on méconnaît que la révélation est, en tout premier lieu, un ensemble de faits historiques, une histoire surnaturelle, continue, dans la trame de l'histoire naturelle. La Bible cesse d'être un document historique, pour devenir un manuel d'enseignement religieux; le document sacré devient un code sacré; aussi, tout en protestant en principe, on est de fait ramené au légalisme. Peu à peu la distinction entre la Parole de Dieu et l'Ecriture, dont on n'avait pas saisi les conséquences, fut oubliée et on en vint, d'un accord unanime, à formuler ainsi leurs rapports: scripturam proprie Dei verbum esse.

Telle était la conséquence logique, inévitable, à laquelle on ne pouvait manquer d'aboutir dès qu'on voyait dans la révélation éminemment une communication d'idées, de doctrines.

La Bible devient alors l'expression verbale des pensées divines; ce n'est que lorsqu'elle est écrite que la Parole acquiert la fermeté désirable; le contenu et la forme du langage se tiennent d'une façon indissoluble; conséquemment l'activité révélatrice de Dieu doit avoir nécessairement porté sur le fait de la mise par écrit en un mot la révélation divine s'accomplit par la composition surnaturelle d'un livre dans lequel Dieu s'explique sur son essence et sur sa volonté.

C'est assez dire que la doctrine orthodoxe donne la sainte Ecriture pour la Parole de Dieu parce qu'elle la tient pour inspirée de Dieu. Tout son point de vue lui fait éprouver le besoin d'avoir une somme de connaissances dont l'exactitude absolue et l'infaillibilité soient garanties par son origine. Sans une autorité divine extérieure, préservant de toute erreur, il n'y a point d'assurance ferme dans les matières religieuses: nous devenons la proie du doute et du désespoir. La Bible étant confondue avec la révélation pour en faire un manuel religieux infaillible dont on a besoin, bien qu'elle s'y prête si peu, on déclare qu'elle vient absolument de Dieu; qu'elle est infaillible dans le sens le plus étendu du mot. Pour la faire venir exclusivement de Dieu, on est amené à exclure pour sa formation le concours de toute causalité humaine qui ne manquerait pas de rendre possible l'introduction d'un élément d'erreur. Et comme il est cependant évident que la Bible a été écrite par des mains humaines, il faut que l'homme soit réduit à n'avoir été exclusivement que la main de Dieu, mais du reste entièrement improductif quant au contenu qu'il a servi à écrire.

Voilà ce que l'ancienne théologie entendait par inspiration. Dieu lui-même était conçu comme auctor primarius de la Bible; les hommes devenaient de simples instruments mécaniques de l'activité du Saint-Esprit. Au fond les auctores secundarii ne sont pas les vrais auteurs; ils ne sont que des scribes, des plumes dont se sert le seul véritable auteur, le Saint-Esprit. Et ils se sont prêtés à tout cela non pas dans un état extatique, mais calmes, le sachant et le voulant. Ils n'ont été actifs ni pour le fond, ni pour la forme à lui donner, mais pour le simple

travail de l'écriture: ils ont été exclusivement passifs, comme le secrétaire écrivant sous la dictée d'un autre. Peu importe qu'ils aient ou non compris ce qu'ils écrivaient; car ces paroles leur ont été inspirées, non pas ad sciendum, mais ad scribendum. Il va sans dire que tout leur a été inspiré, qu'ils le sussent ou non d'ailleurs, car des hommes écrivant sous la dictée ne peuvent faire des distinctions de ce genre. Comme la pensée ne saurait être conçue séparée des mots appropriés pour la rendre, cette inspiration a dû être verbale. Or, comme une bonne dictée ne peut se faire sans une bonne ponctuation, les points voyelles du texte hébreu ne doivent pas seuls être inspirés, mais encore les signes de ponctuation. Malheureusement pour la théorie que ces diverses exigences, d'ailleurs parfaitement logiques, font éclater de toutes parts, il ne nous a pas été conservé une ponctuation authentique du texte sacré.

L'accord est ici parfait entre les luthériens et les réformés. On ne saurait en être surpris, puisque cette théorie est l'inévitable conséquence du point de vue fondamental commun à toute l'ancienne théologie. Quant aux différences de style et autres qui sont telles qu'un même objet est présenté différemment par divers auteurs, on déclare, en dépit de toute analogie, que celui qui dictait s'est accommodé au style et au caractère de son secrétaire. Cette théorie est toute d'une pièce. Quand on prétend réduire l'inspiration à une simple assistance, ou en admettre des degrés divers, on ne modifie pas la conception, on la change du tout au tout.

Une pareille Bible doit nécessairement être infaillible en tout et partout il ne reste qu'à mettre sur le compte de l'accommodation les imperfections du grec du Nouveau-Testament, quand on n'a pas le courage avec Hollaz de les nier.

La Bible devient un moyen de grâce non pas seulement naturel, mais encore surnaturel. Elle possède une efficace intrinsèque, inhérente, essentielle, indépendante du bon usage qu'on en fait et des dispositions morales de ceux sur lesquels elle agit. C'est que le Saint-Esprit qui l'a composée continue d'être incarné en elle. C'est à tort, dit Hollaz, que la Bible est rangée parmi les écritures, cum sit mens, consilium, sapientia Dei.

On n'entreprend pas de démontrer toutes les qualités qu'on attribue à la Bible: elle doit se légitimer elle-même comme Parole de Dieu. Etant l'autorité suprême, elle ne saurait être prouvée par rien. On en appelle donc au témoignage interne du Saint-Esprit dont quiconque entre en contact avec elle, dans les conditions voulues, ne manque pas de faire l'expérience; le témoignage du Saint-Esprit n'est autre que l'expérience immédiate qu'on fait de l'efficace de la Sainte-Ecriture comme surnaturelle.

Par une étrange inconséquence, ils n'en font pas moins valoir les arguments rationnels ou critères (soit internes soit externes), tirés de la crédibilité des témoins qui résulte de leur bonne foi, de leur illumination, de leur caractère en général, en vertu des miracles qui légitiment leur mission. Les théologiens, argumentant ainsi, oublient leur théorie de l'inspiration: qu'importent des qualités de ce genre? et comment des écrivains, qui ne doivent avoir été que de simples copistes écrivant sous dictée, les auraient-ils possédées ?

Les anciens dogmaticiens ont été plus heureux, lorsque, tout en admettant que les preuves rationnelles peuvent établir l'origine divine de la Bible, ils distinguent cette foi humaine de la foi divine, reposant sur le témoignage du Saint-Esprit et communiquant la conversion personnelle et efficace. La première est suffisante pour attirer l'attention des hommes et les amener à faire l'expérience de la seconde, tout en servant à dissiper les doutes des fidèles dans les heures de tentation.

Cette théorie de l'Ecriture forme un tout qui ne manque pas de conséquence; il ne peut être question de la tempérer ou de la modifier, c'est à prendre ou à laisser; tout compromis est impossible sit ut est aut non sil.

Ce dernier argument, tiré du témoignage du Saint-Esprit, qu'on invoque en faveur non-seulement du contenu, mais de la forme de l'Ecriture, montre bien que les anciens théologiens ont puisé cette doctrine à une source religieuse. Du moment où l'autorité de la Bible serait prouvée par autre chose que par elle-même, par la raison et par l'Eglise, cette autre chose lui deviendrait supérieure. Aussi est-ce là l'argument

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