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christianisme protestant beaucoup plus étendu que l'église évangélique. Le caractère essentiel de la foi chrétienne c'est une communion réelle de l'homme avec Dieu, amenée par Jésus de Nazareth, comme celui qui sauve du péché. La foi évangélique protestante est une espèce de ce genre; elle se distingue par un principe formel et par un principe matériel. Le principe matériel, qui est avant tout non pas celui de la dogmatique mais celui de la piété protestante, consiste en ceci. On reconnaît que la piété a son origine et sa source dans la justification de l'homme pécheur devant Dieu, sans aucun mérite de sa part, par pure grâce et exclusivement par la foi en Christ. Il va sans dire que ce principe devient nécessairement celui de l'enseignement religieux et de la dogmatique. Par le principe formel de l'autorité de l'Ecriture qui est aussi avant tout et immédiatement celui de la piété, on affirme ce qui suit: la piété protestante est essentiellement formée, déterminée, produite par la sainte Ecriture; elle demeure constamment sous sa discipline, elle est en constant rapport avec la Bible dont elle se nourrit, dans l'atmosphère de laquelle elle a la vie, le mouvement et l'être, comme ce fut le cas chez les réformateurs. L'importance pratique de ce principe est incalculable: l'Ecriture devient pour l'enseignement l'autorité absolue et unique.

N'est-il pas étrange que le protestantisme ait ainsi deux principes? Faut-il en conclure qu'il manque d'unité intérieure? Ces difficultés disparaissent dès qu'on comprend que les deux principes sont inséparables, qu'ils s'appellent, se soutiennent et se complètent, tandis que chacun d'eux abandonné à lui-même serait nécessairement faible. Il n'est pas difficile de prouver qu'ils tiennent l'un à l'autre d'une façon inséparable. Ainsi au point de vue historique le principe matériel semble décidément avoir le pas; toutefois il suffit d'y regarder d'un peu près pour voir qu'il implique immédiatement l'autre. L'église évangélique a sans doute pour base l'expérience personnelle que les réformateurs ont faite de la justification par la foi; mais il est tout aussi certain qu'ils ont été amenés à faire cette expérience par leur retour à la sainte Ecriture qu'ils avaient de nouveau com

prise. Dès le début ils ont eu pleine et entière conscience que les choses se passaient ainsi.

Nous arrivons à un résultat identique en consultant la nature même des choses. L'église évangélique conduit l'individu à Christ; cela fait, elle lui laisse le soin de croire ou de ne pas croire. Mais pour qu'elle puisse agir ainsi, il faut que ce Christ, avec lequel chaque homme est appelé à régler immédiatement tout ce qui concerne son salut, soit donné d'une manière réelle et objective, c'est-à-dire sous une forme authentique, attestée, et qui existe pour chacun d'une manière parfaitement indépendante; de sorte que le pécheur n'ait besoin ni d'une autorité humaine, ni d'un troisième terme venant s'interposer entre lui et Christ. Ce document authentique, clair, pouvant se comprendre par lui-même indépendamment de tout interprète, n'est autre que l'Ecriture que Luther se plaisait à appeler la chair de Christ. Les deux principes sont donc unis d'une façon tellement intime qu'au fond ils n'en forment qu'un seul qui peut être formulé comme suit: La piété évangélique a sa source et son origine dans la justification par la foi en Christ, tel que le pécheur a appris à le connaître personnellement dans la sainte Ecriture d'une manière authentique. Il faut donc se garder de mettre le principe formel sur l'arrière-plan dans l'intérêt du principe matériel. Celui-ci n'y gagnerait rien et l'autre, dans son isolement, perdrait toute consistance. Primitivement ce principe. formel ne le cède point en dignité au principe matériel, et il est tout à fait contraire à l'histoire de prétendre, comme on le fait souvent, que le principe matériel est venu le premier tandis que l'autre n'est venu s'y adjoindre que plus tard, d'une manière tout à fait extérieure. On y aurait été conduit par le besoin de posséder, dans les controverses contre les catholiques, une autorité irréfragable en faveur de la doctrine nouvelle qu'on s'était du reste formée exclusivement au moyen du seul principe matériel. Tout au contraire comme ce n'est que par l'usage de l'Ecriture que les réformateurs en sont venus à saisir avec une clarté parfaite ce qui constituait le principe matériel, ils ont eu dès le début pleine conscience du rapport intime qui régnait entre les deux.

B. Des sources de la dogmatique protestante. La dogmatique consistant en deux éléments, l'un historique, l'autre critique, il faut nécessairement puiser à des sources différentes. Nous parlerons ailleurs de ce qui concerne les sources de l'élément critique. Pour ce qui est des dogmes qui doivent être considérés comme ecclésiastiques, nous avons une distinction à faire. Il s'agit d'abord de constater le véritable état de la dogmatique, d'établir ce qui doit passer comme dogme, et ensuite d'en faire une exposition aussi claire et exacte que possible. Les livres symboliques peuvent seuls établir l'état de la dogmatique. Pour la seconde partie de sa tâche le théologien doit recourir, soit à ses propres ressources scientifiques, soit à la tradition scientifique de l'église évangélique. La tradition dogmatique se trouve dans les écrits des réformateurs, dans ceux des dogmaticiens évangéliques, particulièrement des plus anciens, antérieurs à la révolution théologique du XVIIIe siècle.

Voici une difficulté pour la dogmatique. Il faut recourir à des sources réformées et à des sources luthériennes, tant pour ce qui concerne les symboles que pour ce qui regarde la tradition scientifique; mais, au fait, l'accord est si profond entre les deux églises que les points de différence, en controverse, sont tout à fait relégués au second plan. Quand il y a opposition entre les deux dogmatiques, la mission du théologien consiste justement à constater ce qu'il y a de défectueux dans la conception des deux églises pour s'élever ensuite à une synthèse faisant prévaloir un point de vue supérieur.

Il est incontestable que les luthériens et les Suisses ont eu un point de départ différent; qu'ils n'ont pas eu entièrement la même tendance ni poursuivi le triomphe d'intérêts identiques. Néanmoins ces tendances diverses s'appelaient les unes les autres et devaient se compléter: aussi sans s'accorder complétement, concoururent-ils au même but. Il est résulté de là que, quoique différentes l'une de l'autre, les deux églises ne diffèrent pas par les principes. Il y a incontestablement une différence entre la piété des deux confessions, mais elle n'est pas spécifique, c'est-à-dire elle ne peut être ramenée à une notion claire et précise comme le prouvent surabondamment les inutiles

tentatives qui ont été faites dans ce sens. Il est d'autant plus aisé de mettre à profit les documents divers des deux églises, qu'aucune d'elles n'est arrivée à une systématisation complète et définitive des dogmes particuliers. La liberté est si grande à cet égard dans les deux confessions qu'on a pu mettre en avant ce paradoxe: Methodus est arbitraria.

C. De la systematisation de la dogmatique protestante. La tradition scientifique étant ici fort vague, les dogmaticiens modernes ont d'autant plus de liberté pour se laisser guider exclusivement par la nature même de l'objet. La conscience du fidèle protestant se représente la réelle communion avec Dieu comme provenant essentiellement de la foi en Christ libérateur du péché. Il y a donc deux faces dans cette conscience religieuse. En remontant à la rédemption comme à sa cause, elle proclame expressément le manque de communion avec Dieu, la conscience de la séparation d'avec Dieu, le sentiment du péché. D'un autre côté cette conscience protestante affirme tout aussi positivement que la séparation d'avec Dieu a pris fin de fait dans le fidèle; que la communion avec le Créateur est rétablie au moyen d'une rédemption divine, partant par conséquent de Dieu, en vertu de son amour; c'est là le sentiment de la grâce. Comme pour comprendre le sentiment du péché il faut deux autres notions: celle de Dieu et celle de l'homme, la première partie de la dogmatique se subdivise nécessairement en théologie proprement dite, anthropologie, doctrine du péché. La seconde grande partie se subdivise en une branche objective, le Sauveur et son œuvre objective, sotérologie; puis, en une branche subjective, la réalisation de la communion avec Dieu par la foi, sotériologie.

C'est dans la seconde subdivision de la première grande partie qu'on est appelé à montrer comment la conscience évangélique s'est formée sous l'action de la Parole de Dieu. L'usage est cependant de faire précéder le tout d'une bibliologie ou d'un article sur les sources de la connaissance religieuse. Cette tractation part de la supposition que la piété est primitivement une connaissance des objets religieux qui doit pénétrer du dehors en l'homme sous forme d'enseignement. Il s'agit avant tout de

savoir où peuvent se trouver d'une manière authentique ces théorèmes religieux surnaturels que l'entendement humain ne peut connaitre par lui-même.

Cette méthode entraîne les plus fâcheuses conséquences. On est conduit à faire entrer tout ce qui regarde la révélation dans la bibliologie; et tout ce qui concerne l'Ecriture est traité en partie dans ce chapitre, en partie à l'occasion des moyens de grâce. C'est pour ce dernier article qu'il faut réserver tout ce qui concerne la Parole de Dieu. Elle doit être considérée en effet comme un moyen de grâce, comme un organe spécial pour la communication du Saint-Esprit, afin d'amener l'homme à s'approprier subjectivement la rédemption objective offerte en Jésus-Christ. C'est à ce titre-là que l'Ecriture se fait connaître à la conscience comme sainte, comme Parole de Dieu.

Cette ancienne tractation n'est pas seulement inadmissible au point de vue scientifique, elle implique une manière fausse de comprendre les rapports de la piété évangélique et de la Bible. Twesten a dit excellemment : « On ne saurait soutenir que la foi à la sainte Ecriture soit pour la conscience chrétienne le fondement de toutes les autres convictions. » Il faudrait alors que la conscience chrétienne eût cessé d'être aujourd'hui ce qu'elle était quand le Nouveau Testament fut composé et même à l'époque de la réformation. Bien loin en effet d'être présentée comme fondamentale par les confessions de foi du XVIe siècle, la doctrine de l'Ecriture n'y est traitée qu'en passant. Elle est plutôt à son tour une partie constitutive des convictions chrétiennes, qui est autant soutenue par elles qu'elle contribue à son tour à les soutenir. Il est parfaitement certain que dans le sein du protestantisme évangélique la sainte Ecriture est un moyen essentiel pour faire naître la foi en Christ. Toutefois, aucun chrétien évangélique ne pourra dire qu'il ait été amené personnellement à la foi en Christ par la croyance en la divinité de la Bible et que par conséquent celle-ci soit la base de l'autre et doive passer avant elle. Bien au contraire, quiconque se comprend lui-même reconnaîtra qu'il est parvenu en une fois et à la fois à croire au Sauveur et à la Bible, autant qu'il peut être question d'une croyance en l'Ecriture.

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