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sez en un mot qu'il y a en Dieu une nature. Au lieu alors de prétendre tout faire sortir d'une volonté qui ne veut rien, vous confesserez que tous les attributs du Dieu vivant ont éternellement existé en lui, qu'ils se sont équilibrés et pondérés. Alors aussi il vous faudra renoncer à une des plus malheureuses conceptions de la spéculation moderne, qui prétend prendre au sens positif cette formule Dieu est cause de lui-même; Dieu s'est fait, formé, et développé tout comme nous. Cette catégorie ne saurait, dans son application au principe premier, avoir qu'une portée négative: Dieu n'est causé par rien '. Dès qu'on prétend admettre un procès en Dieu, on vient se briser contre une idée qui devrait s'imposer au plus grand philosophe comme à sa blanchisseuse et à sa cuisinière: si le bon Dieu est, il a toujours été ce qu'il est : il n'a pu se faire comme un de nous. On a beau dire qu'il ne s'agit que d'un simple procès logique et non d'un devenir dans le temps, on n'est pas pour cela plus avancé. Certes ils savaient ce qu'ils faisaient ces théologiens si volontiers régentés par les philosophes, quand ils se sont touaurait d'intelligence que dans la réflexion. « L'acte primitif par lequel l'être se pose lui-même ne peut pas être une réflexion, c'est nécessairement une énergie pure et directe, un vouloir. Donc, dans le pur vouloir de notre philosophe, il n'y a pas d'intelligence, puisque celle-ci ne se rencontre que dans la réflexion. L'intelligence est la forme du moi dont la pure énergie de la volonté est le fond. Oui, dans votre système, mais n'oublions pas qu'en tout cas ce fond y est inintelligent. (P. Garreau, pag. 52.)

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C'est bien ainsi que Descartes l'entendait: Vous dites que Dieu est la cause de soi-même. Mais parce que ci-devant quelques-uns ont inal interprété ces paroles, il me semble qu'il est à propos de les éclairer, en leur donnant l'explication suivante: être la cause de soi-même, c'est-à-dire être pour soi, ou n'avoir pas d'autre cause de soi-même que sa propre essence, que l'on peut dire en être la cause formelle. (Tom. IV, pag. 309.)

Pour M. Secrétan, la liberté absolue est, au contraire, la cause formelle et réelle de Dieu. On voit que si Descartes admet une liberté absolue en Dieu, ce n'est pas précisément pour en faire le même usage que le philosophe vaudois.— Descartes dit encore: « C'est en Dieu une même chose de vouloir, d'entendre et de créer, sans que l'un précède l'autre. • Etre par soi n'a aucun sens, dit à son tour M. Garreau (pag. 46), si on prend cette locution à la lettre ; le à se doit être ramené à son sens traditionnel. Descartes l'a compris comme la tradition; toute autre interprétation est un défi à la raison et le premier pas d'un mysticisme plein de dangers ou d'un scepticisme irrémédiable. »

jours bornés à connaître Dieu dans ses rapports avec le monde, et non dans sa dernière essence, en lui-même.

Mais nous serions-nous peut-être rendu coupable d'une étrange inadvertance? Il nous semble entendre M. Secrétan, un peu courroucé, nous le reprocher vertement. Pour qui me prenez-vous donc, dit-il, que vous osiez mettre sur mon compte des contradictions si flagrantes? A défaut de bienveillance, la simple prudence aurait dû vous engager à y regarder à deux fois. Avant de se permettre de critiquer la spéculation, il conviendrait de se livrer à quelques efforts pour la comprendre, si tant est qu'on en soit capable. Triomphez tant qu'il vous plaira avec vos pareils des faciles avantages que paraît vous assurer votre petite dialectique bourgeoise. Si la chose était nécessaire, un seul mot suffirait pour rallier à ma doctrine tous les hoinmes compétents; ce mot le voici : cette liberté absolue est la liberté absolue d'un être virtuellement intelligent et moral, personnel. Voilà qui suffit amplement pour dissiper les contradictions fantastiques que vous prenez plaisir à m'imputer, en soutenant à l'envi que je fais tour à tour l'absolue liberté intelligente et inintelligente, morale et non morale.

A l'œuvre donc encore une fois, puisqu'on nous y convie: tâchons d'arracher son dernier mot à ce dogmatisme qui, malgré ses allures si tranchantes, se dérobe quand on le prend au mot et se transforme en son contraire: voyons si nous réussirons à tenir notre Protée. On ne saurait user de trop de précautions quand on se trouve en présence du paradoxe 1et du sophisme incarnés, qui ont à leur dévotion un esprit fort riche en res

sources.

La liberté absolue impliquerait tous les attributs divins parce qu'elle serait la liberté d'un être virtuellement intelligent,

Voulez-vous savoir jusqu'où va le paradoxe et l'impossible? Lisez ! « Etre, c'est vouloir son existence, laquelle consiste à être voulu telle est la substance. Vivre, c'est se vouloir, vouloir la substance. Etre libre, c'est vouloir sa propre vie, se faire vouloir. » Ainsi ce principe premier, suprême, vouloir, a lui-même besoin d'être fait ! SE FAIRE VOULOIR? Pesez bien ces termes. Où nous arrêteronsnous? Faudra-t-il encore se faire, faire vouloir? Et de même, à l'infini? La logique l'ordonne, c'est votre souveraine, obéissez. » (P. Garreau, pag. 51.)

moral, personnel, etc. En d'autres termes précisément parce qu'elle est la liberté absolue, c'est-à-dire la possibilité de tout, la liberté renfermerait tout.

Mais à quel titre, je vous prie, la liberté absolue renfermet-elle, implique-t-elle tous ces attributs? Dans l'état de simple et nue possibilité, j'imagine, puisque nous sommes toujours dans la sphère de la pure essence? Or comment ces qualités, intelligence, attributs moraux, peuvent-ils affecter l'action d'une volonté, d'une simple volition dont ils doivent procéder, puisque celle-ci a mission de tout déterminer, en sortant de son indétermination? Comment la liberté pure en se déterminant, au moment où elle se détermine, pourra-t-elle être affectée par le possible qu'elle implique, mais qu'elle n'a pas encore posé et qu'elle peut poser comme il lui plaira? Elle le peut, direzvous sans doute, parce qu'elle les implique, justement parce qu'elle est la liberté absolue, la possibilité de tous les possibles.

Eh bien, soit! l'absolue liberté, au moment où elle sort de son indétermination, est affectée par l'intelligence, les attributs moraux qu'elle est occupée à poser. Voilà pourquoi elle agit avec l'intelligence. Mais une liberté absolue qui, à l'instant même où elle sort de son indétermination, est affectée par l'intelligence et divers attributs moraux, est-elle encore absolue comme vous le prétendez?— Sans contredit, répondrez-vous, puisqu'elle est libre, entièrement libre à leur égard. C'est elle qui les fait librement, qui les pose absolument dans ce moment même : et elle peut poser, affirmer celui qui lui plaît, ce qu'elle veut. De sorte que ces attributs exerceraient de l'influence sur la liberté absolue, non pas comme attributs réels, existants, puisque nous sommes encore dans la sphère de l'essence, mais comme attributs possibles. Ainsi la liberté absolue impliquerait non la réalité mais la nue possibilité des attributs, intelligence, qualités morales. C'est à ce titre seulement que ces derniers l'affecteraient. Qu'est-ce à dire ? Sinon ceci : l'absolue liberté, au moment où elle pose, fait les possibles, est intelligente et morale, c'est-à-dire qu'elle ne pose que les possibles intelligents et moraux qu'elle veut bien poser à son gré. Je vous l'accorde,

elle n'est pas tenue de réaliser celui-ci plutôt qu'un autre, toutefois elle ne peut sortir de la série des possibles compris dans la notion d'intelligence et de moralité. Mais cette notion de moralité ou d'intelligence, allez-vous dire sans doute, c'est la liberté absolue elle-même qui la fait, qui la détermine: elle est donc libre, absolument libre à son égard. Pardon : elle n'est absolument libre que si elle agit sans intelligence et sans moralité; si elle agit avec intelligence et moralité, force lui est de tenir compte de ces possibilités intelligibles et morales, impliquées dans le fait qu'elle agit d'une façon intelligente et morale. Ce seraient, si vous tenez à vos symboles, « les explosions du salpêtre et du courroux, mais les explosions d'un salpêtre intelligent et moral.

On comprend qu'il serait de la plus haute importance pour M. Secrétan d'échapper à cette conséquence qui introduit un élément de détermination dans l'essence divine. Il n'y a pour cela qu'à nous répondre que l'intelligence et les attributs moraux ne sont contenus, impliqués dans l'absolue liberté qu'à l'état exclusivement formel, comme nue possibilité et non pas même comme virtualité. Le chêne est virtuellement dans le gland: placez celui-ci dans les circonstances voulues, il ne manquera pas de vous donner un chêne. Ce n'est pas ainsi que l'intelligence et les attributs moraux sont impliqués dans l'absolue liberté. Ils y sont impliqués ni plus ni moins comme pure et une possibilité, exactement comme la statue de marbre (enfant, guerrier, ou femme) est impliquée dans le bloc duquel le sculpteur la dégagera. Aucun de ces personnages n'est virtuellement impliqué dans le bloc, celui-ci est indifférent à l'égard de toutes ces formes; le sculpteur, dans l'espèce, l'absolue liberté, tirera de son sein ce qu'elle voudra, ce qu'il lui plaira de donner pour de l'intelligence ou des attributs moraux. Aurions-nous enfin le dernier mot du système?

Dans ce cas il ne nous resterait qu'une observation très simple à présenter. Sans contredit la nue possibilité de poser l'intelligence et les attributs moraux ne saurait en rien affecter, déterminer, restreindre la liberté absolue. Mais n'est-ce pas un étrange abus de langage de soutenir que la liberté absolue im

plique l'intelligence et les attributs moraux qui en sont les faces diverses, alors qu'on entend dire uniquement qu'elle possède l'absolue et pleine possibilité de déterminer ce qui sera intelligent et moral, en dehors de tout élément d'intelligence et de moralité, non-seulement effectives, mais même virtuelles, qu'elle a justement mission de créer? Il ne fallait pas dire qu'elle implique l'intelligence et la moralité, mais la nue possisibilité de poser ce qui sera intelligent et moral, et c'est fort différent. Nous nous retrouvons alors en face de la liberté absolue qui n'implique virtuellement la possibilité de rien de déterminé, ni intelligence, ni moralité, mais la nue possibilité de tout. Ici il ne peut plus être question de l'explosion d'un salpêtre ou d'un courroux intelligent et moral, mais d'une explosion indéterminée, pure et simple, sans qualificatif aucun, dont les résultats seront l'intelligence et la moralité. Encore un coup, que peut-il y avoir d'intelligent et de moral dans les évolutions d'une volonté qui ne veut rien, qui agit sans motif et dont les ébats capricieux doivent avoir pour effet de poser l'intelligence et les attributs moraux de Dieu ?

Quelque adepte incorrigible de la Philosophie de la liberté s'écriera peut-être: mais que peut-il y avoir au monde d'intelligent et de moral si ce n'est la liberté absolue qui décide à son gré ce qui est moral et intelligent? La pétition de principe serait par trop naïve. Une telle volition indéterminée sans quelque chose qui veuille, et renfermant exclusivement la nue possibilité de l'intelligence et de la morale, ne pourrait avoir quelque chose d'intelligent et de moral que s'il était déjà concédé que de tels ébats capricieux puissent avoir pour résultat de poser, de créer l'intelligence et la morale. Or c'est là ce que nous ne saurions accorder; c'est là le point débattu, je ne dirai pas entre M. Secrétan et nous, mais entre notre auteur et la raison générale. Cette volition ne pourrait être tenue pour intelligente et morale que si elle contenait déjà virtuellement l'intelligence et la moralité. Or c'est là ce que notre philosophe ne peut décidément accorder, puisqu'il tient avant tout à ce que la liberté primitive soit absolument libre, pleinement indépendante de toutes les déterminations intelli

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