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Mais notre auteur ne semble pas avoir fait cette distinction entre contraire et contradictoire, il admet que Dieu peut réaliser l'un et l'autre dans le monde, sans s'expliquer sur ce qui concerne sa personne. «La contradiction logique, dit-il, n'implique donc pas impossibilité réelle, car tout ce que nous connaissons repose sur la contradiction logique. Le monde est et n'est pas. (Pag. 408, l'Idée '.)

Pourquoi donc Dieu s'est-il réalisé d'une façon plutôt que d'une autre? Aucun motif ne peut, ne doit l'avoir décidé. Si

absolument absolue, le Dieu force aveugle, le Dieu hasard, et celui de l'ancienne théologie. Nous ne mettons, quant à nous, ni la loi, ni la raison au-dessus de Dieu, nous les mettons en Dieu, dans ses conceptions éternelles. Dieu est la loi même, et la raison même, comme le dit Fénelon; l'univers créé est le symbole et la réalisation de ses conceptions. (P. Garreau, pag. 58.)

D

1 << La liberté absolue n'est pas soumise à la raison, dit M. Secrétan; elle est le principe de la raison. Dieu est l'auteur de notre raison; c'est nous et non pas lui qui sommes soumis à l'empire de la raison. Admettons ceci encore est-il que nous sommes soumis à cet empire pour définir Dieu, aussi bien que dans toute autre de nos fonctions intellectuelles; or, nous avons beau assouplir les lois de la raison et les étendre jusqu'à l'absolu, nous cessons de leur étre fidèles quand nous assemblans des attributs contradictoires en un même sujet. M. Secrétan veut distinguer entre la contradiction dans les propositious et la contradiction dans les choses. (Pag. 408.) Mais pour exemples réels de contradiction dans les choses, il cite des cas où les attributs assemblés ne sont pas affirmés sous le même rapport. C'est ce qui n'a jamais fait difficulté. Il y a d'autres contradictions que cela dans la théologie, savoir des contradictions qui peuvent s'énoncer en propositions contradictoires; par exemple : Les événements de ce monde se réalisent successivement pour la connaissance de Dieu. Les événements de ce monde sont tout présents pour la connaissance de Dieu. Il faut admettre nécessairement la première, si l'on croit à la réalité de la succession; et la seconde est imposée par la thèse de l'absolu. Quand on dit avec M. Secrétan (pag. 411), « la pluralité, la succession, même infinie, qu'un tel but (le but de Dieu dans la création) peut embrasser, sont renfermées dans l'unité simultanées de ce vouloir (du vouloir de Dieu). Dieu a tout vu, il a tout prévu, sans cela il n'aurait pas tout voulu »; quand on ajoute que les limitations mêmes qu'exige la liberté humaine sont comprises dans l'acte absolu de la volonté divine, on admet indubitablement des propositions contradictoires, on affirme à la fois et sous le même rapport la succession et l'éternité toute-présente, le tout numérique absolu et l'indéfinité, et l'on revient au panthéisme théologique; car, en un conflit de vérités contraires, qu'on ne saurait jamais assembler que fictivement, la vérité de Dieu doit l'emporter sur la vérité de l'homme.» (Année philosophique, pag. 147.)

donc l'absolue liberté s'est constituée amour plutôt que haine, c'est par un acte purement arbitraire. Nous l'avons tous échappé belle! Si Dieu s'est constitué amour, c'est que l'affaire a bien tourné, c'est par suite d'un heureux coup de dé. L'univers a attrappé le bon numéro à cette immense loterie! Voilà donc que sous le nom de liberté absolue on place sur le trône de l'univers l'arbitraire, le hasard, le fatum, un autre nom pour la nécessité1! C'est M. Secrétan lui-même qui se charge de nous dire que ce ne sont là que deux noms différents pour

L'être est libre, dit M. Secrétan, on peut se demander d'où vient la liberté de l'être..... L'être qui existe par lui-même ne tient évidemment la liberté que de lui-même, c'est-à-dire qu'il se la confère. Absolu, il se donne la liberté. » S'il se la donne, it ne l'avait donc pas l'absolu n'est pas libre; qu'on nous explique alors comment il prend l'initiative de se conférer la liberté? Mais voyez ici l'escamotage, pour parler la langue un peu rude parfois de M. Secrétan. « L'être absolu, cause de sa propre liberté, la possède pleinement, sans limitation, puisque nous ne trouvons rien dans son idée qui puisse la limiter: Il est absolue liberté. » Pardon, si on vous suit pied à pied, il est seulement absolu et se fait absolue liberté. Comment? Par vouloir? avec intention? Non, car vouloir, c'est être déjà libre; avoir une intention, c'est tendre à un but. Comment donc, encore un coup? Par hasard, ou par nécessité? Que M. Secrétan choisisse. -« La formule suprême enfin est celle-ci : Je suis ce que je veux. C'est la bonne... L'idée de liberté absolue est ce qu'il y a de plus grand, malgré ce qu'elle a nécessairement de paradoxal et d'impossible Tels sont les fruits de la dialectique, les meilleurs, les plus savoureux. Remarquez que le vide s'est fait peu à peu, et que l'absolu est resté seul, non-seulement sans intelligence, sans amour, sans bonté, sans justice, mais même sans liberté. Aussi vous en convenez : « L'idée suprême ne doit pas être celle d'un être possible, mais d'un étre supérieur au possible. Dites d'un étre impossible; osez écrire le mot et proposez cette métaphysique, au nom de l'évidence et du raisonnement, à la raison humaine! Mais la raison humaine sera vengée, car vous détruisez bientôt votre échafaudage de vos propres mains. (P. Garreau, pag. 48 et 49.) La liberté absolue est chose acquise, l'absolu se l'est donnée, autrement elle lui eût fait une nature, et il eût été nécessairement l'absolument libre, ce qui implique contradiction; il n'aurait pu dès lors ni se diminuer ni se détruire, ce qui aurait limité son caractère d'absolu. Qu'est-ce donc que l'absolu pur? C'est un désert sans fin, une nuit éternelle ! Le professeur de Lausanne a négligé de nous apprendre comment le premier éclair y a brillé. Le dilemme cependant n'est pas de ceux qui se puissent rompre. Dieu s'est-il donné, oui ou non, la liberté librement? Si oui, il était donc libre avant de l'être, si non, il n'était rien qu'une force aveugle, quelque chose de moins que le caprice, le hasard! M. Secrétan a rejoint Sylvain Maréchal : Le hasard est un mot, Dieu qu'est-il autre chose? (Ibidem.)

désigner une seule et même chose. « Une volonté sans motif serait aveugle et se confondrait avec la fatalité. Peu importe que l'on considère ce qui existe comme résultant d'une fatalité absolue ou d'une volonté purement arbitraire, ces deux points de vue contradictoires en apparence ne se distinguent en réalité que par une circonstance indifférente. Dans le premier cas, on suppose que ce qui existe en fait ne peut absolument pas être autrement qu'il n'est, dans le second, on suppose que ce qui existe pourrait être également bien de toute autre manière. Mais ces deux extrêmes se ressemblent en ceci, qu'ils n'expliquent réellement rien ni l'un ni l'autre. On peut les affirmer, on ne les comprend pas, et ils ne donnent aucune satisfaction à la pensée. La liberté agissant sans motif ne s'appelle plus la liberté mais le hasard, le hasard n'est qu'un nom de l'ignorance. » (Pag. 428'.) Nous comprenons maintenant pourquoi Dieu est appelé le miracle; il n'a rien en lui de nécessaire; c'est par l'effet d'un miracle qu'il s'est réalisé amour. Rien n'y manque, pas même le suprême coup de dé dont nous parlions tout à l'heure; c'est M. Secrétan lui-même qui nous le déclare: « Une contingence suprême enveloppe et domine toutes les nécessités. » (Pag. 447.)

Il serait possible que notre auteur tînt en réserve une réponse par laquelle il prétendrait éluder toutes nos objections. Je ne me lasse de vous répéter, pourrait-il dire, que l'absolue liberté est incompréhensible; à quoi bon tant insister pour savoir comment tout en est sorti? Il est clair que je ne puis vous l'expliquer. - Nous accordons bien qu'on se refuse à nous dire à priori comment tout a dû sortir de l'absolue liberté. Mais ce n'est pas là la question débattue. Nous sommes exclusivement au point de vue des faits et non pas à celui des idées; nous désirons savoir comment tout est sorti à posteriori de

<< La liberté agissant sans motif, dit M. Secrétan, ne s'appelle plus la liberté, mais le hasard. Tournez quelques pages: Une cause qui agit par un motif inhérent à sa nature n'est pas libre. » En d'autres termes : n'est pas libre qui agit sans motif; n'est pas libre qui agit avec un motif inhérent à sa nature. Qui donc est libre? C'est ainsi que, lorsqu'on a progressé en plein paradoxe, on est condamné à se détruire de ses propres mains. (P. Garreau, pag. 61.)

la liberté absolue. Il ne suffit pas de se dire dispensé de donner une réponse sous prétexte que l'absolue liberté est elle-même inexplicable. On entend expliquer l'univers entier par l'absolue liberté : si celle-ci est à son tour incompréhensible, le monde l'est à plus forte raison. A quoi bon alors prétendre expliquer toutes choses au moyen d'un premier principe qui est lui-même incompréhensible? « Nous devons définir Dieu, nous dit-on, par la liberté absolue, parce que l'absolue liberté est la plus haute conception dont nous soyons capables. » (Pag. 341.) Mais pardon, bien loin d'être la plus haute des conceptions, elle n'est pas même une conception, puisque vous êtes le premier à la déclarer incompréhensible. << En réalité, dites-vous ailleurs, nous ne savons pas ce qu'elle est, quoique nous soyons obligés de l'affirmer. » (Pag. 421.) Il est vrai qu'on ajoute en guise d'apologie : « Lorsque nous savons ce qui rend l'absolu incompréhensible, nous l'avons compris. >> (Pag. 375.) Pardon, vous entendez dire apparemmment que vous avez compris pourquoi il est incompréhensible, ce qui est autre chose. « Dans notre système, dites-vous, la doctrine de la liberté absolue coupe court à toutes les questions sur l'essence divine.» (Pag. 457.) Soit; mais notez bien que du même coup elle coupe court à tout système, à toute philosophie, à commencer par celle de la liberté absolue. En effet, c'est vous qui nous l'avez dit : « L'idée de l'être absolu doit devenir le principe de la science: de la possibilité de concevoir cette idée dépend la possibilité de la science, au sens plein et entier de ce mot, qui signifie connaître ce qui est tel qu'il est. (Pag. 374.) » Du moment où le principe qui doit rendre les choses compréhensibles est incompréhensible à son tour, ce qui est n'est pas compris et la science n'existe pas. Comment ne pas se rappeler ici ce qui a été dit à l'occasion d'un des ancêtres philosophiques de M. Secrétan? « Il est dans les habitudes de Dun Scott d'ajouter à l'obscurité des problèmes dont la solution présente des difficultés jugées insurmontables. » Il est vrai que M. Secrétan devient tout à coup réservé et modeste : « La philosophie positive, nous dit-il, ne s'occupe que des rapports du monde et de Dieu dans son rapport avec

le monde. » (Pag. 457.) Vraiment? mais il nous semblait que, avant tout, vous aviez prétendu nous montrer comment Dieu avait commencé par se faire lui-même, par passer de l'antécédent au conséquent, en sortant de sa liberté absolue? Quel autre sens pourraient donc avoir des formules comme celle-ci : « Je suis ce que je veux. » Dieu est ce qu'il veut, il est ce qu'il lui plaît d'être; l'être parfait est celui-là seul qui se donne à lui-même la perfection. » (Pag. 463.)

M. Secrétan a bien prévu qu'on pourrait lui poser cette question indiscrète sur laquelle nous insistons, car il déclare : « Si l'on nous demandait ce que l'absolue liberté doit faire pour se réaliser, cette question nous jetterait dans un certain embarras. » (Pag. 479.)

Eh bien! nous sommes de bonne composition; nous n'allons pas jusqu'à demander ce que Dieu devait faire, nous nous déclarons satisfaits si l'on constate à posteriori ce qu'il a fait.

M. Secrétan n'a pas seulement prévu qu'on pourrait insister sur ce point: il doit avoir reconnu lui-même la légitimité de cette exigence, puisqu'il a cherché à y satisfaire. Nous avons indiqué la seule solution logique qui découle de tout le système : l'absolu est sorti de son état d'indétermination au moyen d'un heureux coup de hasard. Il nous reste à indiquer encore deux solutions qui sont de M. Secrétan lui-même.

<< Partant, dit-il, de la base que je posais tout à l'heure l'identité fondamentale des notions d'être, de force et de volonté, la théologie spéculative s'arrête un moment à l'idée abstraite de l'être infini. Cette volonté, encore sans objet, pareille au tourment du génie qui n'a pas encore trouvé la forme et le verbe révélateur, cette expansion infinie, dont l'explosion du salpêtre offre un symbole et dont nous trouvons comme un reflet dans l'explosion du courroux, quelques penseurs chrétiens semblent y voir la substance identique de Dieu et du monde. Dieu se constitue comme Dieu par l'intelligence de ce désir et de ce pouvoir; il le possède, il en dispose et, sans péril pour l'unité de la personnalité absolue qu'il se donne éternellement, il peut, s'il lui plaît, en se déployant, se prolonger, pour ainsi dire,

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