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la dogmatique, c'est-à-dire l'exposition scientifique de l'ensemble de la doctrine reconnue dans une église particulière.

Pour l'église évangélique l'accord avec l'Ecriture est la condition sine quâ non de la vérité des doctrines. Mais à la norme scripturaire doit s'ajouter la norme scientifique. Il faut que les dogmes répondent à toutes les exigences scientifiques, exactitude, perfection. L'église ne saurait répudier ce contrôle, car enfin ces dogmes, on ne doit jamais l'oublier, ne sont que le produit de la science plus ou moins chrétienne; ce qui rend encore ce travail de révision indispensable, c'est que les dogmes sont un produit de l'histoire. « Car enfin ce n'est que peu à peu qu'ils sont devenus ce qu'ils sont aujourd'hui. Ils sont provenus de diverses tentatives, plus ou moins heureuses, d'arriver à une formule scientifique adéquate du contenu de la foi. Après avoir été reçus souvent assez longtemps, ces essais ont fini par être mis de côté. Qui donc nous garantit que la dernière tentative sera plus complète et plus définitive que toutes celles qui l'ont précédée? Et puis, il est certain que depuis la fixation des dogmes, les méthodes scientifiques ont fait d'incontestables progrès. Pour qu'une église récusât une norme de ce genre, il faudrait qu'elle fût devenue tout à fait inintelligente et cristallisée. Il importe de voir avant tout si une doctrine ne serait pas en contradiction avec elle-même ou avec quelque autre dogme; si les notions formelles sont à la hauteur de la science; si ces dogmes ne reposent pas sur des hypothèses dont la fausseté est aujourd'hui reconnue; s'ils ne sont pas en contradiction manifeste avec des résultats auxquels sont arrivées les sciences non théologiques, sciences naturelles, astronomie, géologie, histoire. Ici il faut agir avec prudence pour bien s'assurer qu'on a réellement affaire à des résultats définitivement acquis.» (Introduction, pag. 16.)

Comme les dogmes ne sont que les formules scientifiques du sentiment chrétien des individus ou de l'église, ce troisième critère devra s'ajouter à ceux qui sont fournis par l'Ecriture et par la science. Il est indispensable de remonter jusqu'à la

source religieuse d'un dogme pour renoncer franchement à ceux qui n'en auraient aucun.

On entrevoit la haute portée de ce long travail de révision. Ce n'est que lorsqu'il aura été accompli que le procès aujourd'hui pendant entre l'ancienne et la nouvelle théologie sera définitivement jugé. Il ne peut être question de formuler une dogmatique nouvelle qu'après s'être livré à des études approfondies sur l'histoire des dogmes.

III

Ce travail préliminaire accompli, il restera à déterminer la notion de la dogmatique. Les représentants des tendances modernes ne sont pas d'accord.

Il y a d'abord les adeptes des écoles plus ou moins spéculatives qui continuent les traditions du rationalisme, en partant de l'hypothèse de l'autonomie de la raison dans le domaine religieux comme dans tous les autres. Cette tendance a donné naissance à une philosophie religieuse qui, dans la pensée de ses auteurs, serait appelée, sinon à supplanter, du moins à dominer la dogmatique proprement dite.

Le rationalisme de Kant n'est au fond que du moralisme. En prétendant se maintenir dans les limites de l'intelligence humaine, il a paru rendre un rapprochement possible entre le christianisme et la philosophie. Bien loin de nier comme le naturisme la possibilité de la rédemption, il y voit une méthode divine d'introduire la vraie religion; il reconnaît la haute valeur d'une révélation, à une condition cependant, c'est que la religion chrétienne et le moralisme poursuivent le même but et que les éléments positifs du christianisme soient subordonnés à l'élément naturel représenté par la philosophie. C'est là le point délicat. «D'abord la paix entre la religion et la philosophie ne peut se signer que sur le terrain pratique et moral. La révélation n'est qu'une simple possibilité incontestable qui ne manquera pas d'être contestée dès que la raison cessera de proclamer son incompétence dans le domaine suprasensible. En second lieu la religion est dépouillée de sa haute dignité et

de son indépendance. Elle est bien nécessaire, mais seulement pour venir au secours de l'impératif catégorique qui ne saurait rester seul; pour que le devoir moral puisse être aussi envisagé comme prescription divine. La religion ne peut ainsi renoncer à son rôle de faculté spéciale de l'esprit humain pour descendre au rang de simple auxiliaire de la morale et tout cela encore en vertu d'une faiblesse de l'humanité qui ne sait pas s'établir sur les hauteurs du moralisme pur et simple. L'homme religieux se sent élevé au-dessus des barrières naturelles de l'existence; la vie illimitée de l'esprit est ouverte à sa vue. D'après Kant, en dernière analyse, il n'y a pas d'autre vrai Dieu que la conscience; la religion consiste à se soumettre à la loi morale; elle ne nous introduit plus dans la communion avec Dieu. » (Pag. 231.)

L'erreur capitale ici est la notion de religion. Kant ne sait voir entre elle et la morale qu'une différence formelle. La religion ne s'occupe plus de ce que Dieu a fait pour l'homme, et dans l'homme: sa mission est d'être un simple auxiliaire de la morale, chargé d'amener les hommes à faire leur devoir. On comprend alors que tout ce qui en elle est dépourvu de valeur morale doive être répudié. Mais la religion a sa tâche à elle: elle est appelée à établir la communion avec Dieu. Par conséquent il faut qu'elle fournisse les preuves de ces événements historiques qui ont servi à établir la communion avec Dieu. Ce n'est plus alors faute de pouvoir s'élever sur les hauteurs du moralisme, qu'on s'approprie spirituellement les effets de l'action divine rédemptrice cette assimilation constitue la vie même de la religion. Si elle ne contemplait pas les grandes œuvres de Dieu, dans la nature et dans l'histoire, la religion serait privée de tout élan, d'enthousiasme et de vie.

Il ne peut guère être question d'une philosophie religieuse de Fichte complète et systématisée. Dans son premier système ce philosophe est athée; dans le second il se borne à voir dans le christianisme un fait religieux après n'y avoir vu, comme Kant, qu'un fait moral. Le moi doit renoncer à son autonomie en présence de Jésus-Christ qui est la révélation du divin dans la conscience.

C

La dogmatique spéculative proprement dite prétend, en modifiant seulement le point de vue général de la religion, satisfaire les besoins particuliers de la théologie, en signaler les fautes et en réparer les négligences.

Entre les mains de Schelling, la philosophie de la religion devient une dogmatique historico-métaphysique. Ce philosophe prétend restaurer la doctrine orthodoxe, mais c'est au détriment de l'idée de Dieu dont il ne donne nulle part une notion exacte. Kant, en sauvegardant l'essence morale et religieuse du christianisme, laisse la porte ouverte à une transformation de la dogmatique, tandis que Schelling, n'accusant pas l'idée chrétienne dans son essence, se borne à toucher à quelques points culminants. « Schelling débute par fixer les deux notions, nature et monde des idées, pour passer ensuite à Jésus-Christ. Dès qu'il est arrivé aux grandes catégories indispensables de fini et d'infini, il prononce la parole sacramentelle : « L'idée fondamentale du christianisme est nécessairement celle de Dieu devenu homme, Christ comme point culminant et terme du monde païen. » - Mais non, l'idée de Dieu devenu homme n'est pas l'idée première et primitive du christianisme. Et, en fût-il ainsi, comme le prétendent les orthodoxes, vous ne seriez pas encore près de vous entendre. Il faudrait en effet que cette notion fût dérivée exclusivement d'une nécessité religieuse et morale. Quant à l'idée de la domination de l'infini sur le fini dont les philosophes ont besoin, elle ne saurait être qu'un reflet accessoire de l'idée religieuse, pouvant servir à une explication générale du monde et de son développement. Les catégories du fini et de l'infini ne sauraient amener à Christ. » (Pag. 248.) Cette spéculation ne cesse de confondre le monde de la nature et celui de la morale. Tout le drame du monde se déroule entre des événements qui se passent très haut ou très bas, mais nos régions terrestres, dans lesquelles nous vivons, et qui constituent la sphère humaine et religieuse, sont d'un vide désespérant: on ne nous place pas en contact avec les forces vives qui animent le christianisme.

La méthode hégélienne appliquée au christianisme a fait illusion pendant quelque temps. On prit plaisir à restaurer l'ortho

doxie, au moyen d'une dialectique singulièrement flexible et complaisante. En lieu et place de la révélation extérieure, temporaire, particulière, miraculeuse e arbitraire des supranaturalistes, nous avons une révélation intérieure, éternelle, universelle, nécessaire. Tandis que les rationalistes avaient rejeté à la légère la notion d'incarnation, trop superficiels pour saisir sa portée, Hegel en fait le centre même du christianisme. La spéculation se flatte d'être à tous égards d'accord avec les dogmes traditionnels, qui ne se distinguent d'elle que par le seul côté formel. Bien loin de soumettre la tradition chrétienne à la critique, les hégéliens se mirent à restaurer les dogmes orthodoxes les plus problématiques et les plus scabreux. Les illusions se dissipèrent bientôt. Il fallut s'avouer que ce positivisme, ce conservatisme excessif de la philosophie nouvelle n'était qu'un vain formalisme. « On adorait l'idée qu'on construisait en partant des catégories les plus abstraites, mais on ne parvenait jamais à saisir la réalité : il n'y avait rien dans ces formules éclatantes, qui firent un instant illusion. On s'aperçut qu'on se mouvait dans un monde d'ombres chinoises qui, tout au plus, côtoyait celui de la réalité. Cette prétendue philosophie de la réalité fut condamnée à hésiter sans cesse entre un mauvais empirisme et un abstrait formalisme! Si l'histoire corrompit la philosophie, la philosophie réduisit l'histoire à n'être plus qu'une sèche nomenclature. Tout le côté moral du christianisme, qui avait été exclusivement relevé par le rationalisme, bien que d'une manière superficielle, est entièrement sacrifié. La liberté et la personnalité, bases indispensables de la moralité, disparaissent devant une impitoyable nécessité. L'homme n'est plus qu'une phase transitoire, un moment dans la grande évolution de l'absolu. Et puis, quel absolu que celui auquel tout est ainsi sacrifié! Il n'y a pas en lui la moindre ombre de personnalité. Ce n'est qu'une abstraction, qu'un être pur n'arrivant à la conscience de lui-même que dans l'homme et par son moyen.» (Pag. 42.)

Ce n'est que chez les disciples de Hegel qu'on vit éclater dans tout son jour l'hostilité profonde contre le christianisme qu avait été dissimulée d'abord par un accord apparent avec la phi

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