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cier la valeur respective de ses diverses portions comme sources historiques. C'est ainsi que l'œuvre de la critique, si volontiers suspecte, se trouve réhabilitée. Comme Schleiermacher l'a déjà remarqué, la foi la plus simple et la critique la plus impitoyable se trouvent ne plus former qu'une seule et même chose. Car enfin il n'est personne qui, désireux de croire des vérités divines, soit disposé à accepter à leur place des erreurs anciennes ou nouvelles, étrangères à la foi ou lui appartenant en propre. En s'élevant contre la critique inspirée par le scepticisme, on oublie qu'il en est une autre inhérente à la piété évangélique et découlant de la plénitude de la foi. Il ne s'agit en tout ceci ni de juger le saint volume, ni de nous placer au-dessus de lui, mais simplement de faire effort pour apprendre à le bien comprendre. On ne sait que trop, par les cris d'alarme qu'elle a arrachés à bien des gens, que la critique historique est incompatible avec la théorie traditionnelle de l'inspiration. Grâce à la manière dont il a été compris par la théologie moderne, le principe formel est devenu le principe tutélaire appelé à maintenir la vie dans le protestantisme, en lui prêtant l'élasticité qui convient à tout ce qui est vivant. Grâce au principe formel de l'Ecriture, compris d'une manière large et spirituelle, l'église peut se maintenir constamment d'accord avec les sciences profanes qui ne cessent de progresser.

La question de la canonicité des écrits sacrés se présente alors sous un nouveau jour. Pour les anciens théologiens, la canonicité et l'autorité de l'Ecriture dérivent de l'inspiration; pour les théologiens modernes la question est purement historique; ils se demandent quelles conditions les écrits sacrés doivent remplir pour être norme et ensuite s'ils les remplissent. « Or l'Ecriture ne peut être norme que parce qu'elle contient tous les documents historiques sur la révélation, parce qu'elle fait elle-même partie des événements qu'elle documente. Des témoignages de ce genre sont des sources historiques d'une espèce spéciale, ils constituent les sources historiques d'une espèce spéciale: les sources historiques proprement dites. Cela tient à ce qu'elles nous font vivre au milieu des faits auxquels

elles rendent témoignage; qu'elles sont pénétrées de l'esprit qui les a animées, et qu'elles tiennent ainsi pour nous la place de témoins immédiats. Il est évident que pour être témoin dans ce sens-là, un écrit doit avoir été composé par une personne ayant pris part aux faits qu'elle raconte ou les ayant vus de très près. Il résulte de là que tous les écrits ne sont pas documents au même degré ; c'est par la critique historique seule que la position de chacun peut être déterminée. La question de canonicité est donc un problème purement historique qui ne peut être tranché que par des considérations internes et externes.» (Introduction, pag. 87.).

Il résulte de tout ce qui précède que la question de canonicité demeure toujours ouverte; que la Bible est loin d'être un code, un manuel de maximes et de recettes infaillibles sur une foule de sujets; qu'elle ne saurait trancher en dernier ressort les controverses scientifiques. Ce n'est pas à dire que la Bible perde son autorité normative, car seule elle peut décider ce qu'il est nécessaire de savoir pour être sauvé, mais elle ne fait pas consister le savoir salutaire dans la connaissance exacte d'une doctrine religieuse précise. « Dieu soit loué, la Bible est mieux qu'un catéchisme ou qu'une dogmatique. Il faut nous y habituer; ce n'est pas un système dogmatique qu'elle entend dérouler à nos yeux, mais un monde nouveau dans lequel nous contemplons Dieu se mouvant et vivant. Nous pouvons adopter à cet égard la belle parole d'Adolphe Monod: « L'Ecriture sainte, c'est le ciel parlé sur la terre1. » Jésus est si peu un

'L'auteur aurait citer la pensée suivante de Vinet qui exprime exactement le même point de vue que le sien....« Nul doute que celui qui a fait la Bible, n'eût pu donner en sa place un symbole, et le plus parfait de tous les symboles.... Mais pourquoi l'aurait-il donné? Pour que l'homme ne fût point obligé d'entrer immédiatement et par tout son être en rapport avec lui? Pour que la précision rigoureuse et la concentration des idées de la religion, le dispensât de faire, dans cette étude, aucun usage de sa conscience? Pour que rien ne mît à l'épreuve sa droiture et sa candeur? Pour qu'il reçût tout fait le vrai sens de la Bible et qu'il ne s'employât pas à le déterminer? En un mot, pour qu'il restât passif là où il importe le plus que son activité, sa liberté, se déploient et que sa responsabilité soit engagée? Dieu soit loué de ce qu'il n'en est pas ainsi, et de ce que tout homme est à la fois capable et obligé de trouver, à travers toutes ces phases, à

prédicateur, comme on se l'imagine volontiers, que lorsqu'il prononce des maximes, comme dans le sermon sur la montagne, il leur enlève le caractère didactique et doctrinal, au moyen de l'ardeur de ses sentiments. Tout dans le document de la révélation est informe et fragmentaire, cela aussi est providentiel, s'il y a quelque chose qui le soit. Dieu a voulu nous mettre en demeure de nous approprier un tableau de la révélation à la suite d'une sérieuse application du cœur..... Il ne s'agit pas de faire de la Bible un arsenal pour la dogmatique, mais de respirer jour et nuit dans son atmosphère, de se placer constamment sous son saint regard. Ce n'est que lorsque nous aurons cessé de la traiter comme un manuel de dogmatique, pour contempler en l'Ecriture le drame de la révélation se déroulant d'une manière vivante que nous pourrons éprouver pour elle cette confiance absolue que le chrétien évangélique désire si ardemment pouvoir lui accorder. » (Introduction, pag. 70.)

On le voit, il règne entre l'ancienne et la nouvelle théologie une profonde différence pour tout ce qui tient à la manière de comprendre l'Ecriture. Sur aucun point nous n'avons cherché à l'atténuer. Et cependant il faut prendre garde de s'exagérer les contrastes. Au fond on diffère moins quant au but que quant aux moyens. De part et d'autre on professe un égal respect pour l'Ecriture; on la donne comme une autorité. Seulement, pour les uns, il s'agit d'une Bible code et manuel dogmatique, inspiré d'une manière directe et immédiate; pour les autres, d'un document historique qui n'est inspiré qu'indirectement, parce que ses auteurs l'ont été eux-mêmes; les uns reconnaissent à l'Ecriture une autorité dogmatique, les autres ne

travers tous ces faits, à travers toutes ces personnalités dont se compose la Bible, cette vérité générale et éternelle qui ne se présente à lui dans la Bible qu'avec un caractère en quelque sorte occasionnel, sous la forme d'une application et toujours mêlée à quelque événement ou à quelque vie! Dieu soit béni de ce que son livre n'a pas la clarté d'un symbole, de ce qu'on n'est pas forcé de le bien comprendre, et de ce qu'on peut donner plusieurs sens à sa Parole! Dieu soit loué d'avoir laissé une part à notre activité dans l'acquisition de la foi, et de ce que, voulant que notre croyance fût une action, il n'a pas ajouté à la Bible, suffisante pour les cœurs simples, le dangereux appendice d'un symbole....

peuvent y voir qu'une autorité morale et religieuse; les uns lui rendent le culte de la lettre, les autres celui de l'esprit.

<< On peut affirmer hardiment que le cœur de l'homme qui croit à la révélation prend, à l'égard de la Bible, exactement l'attitude de l'orthodoxe le plus renforcé. Son respect pour elle comme devant un sanctuaire, son adoration dans son temple, ne sont ni moins sincères, ni moins profonds, ni moins vifs que ceux de l'âme la plus simple qui adore, sans soupçonner qu'il puisse en être autrement, la dictée verbale et immédiate du Saint-Esprit.» (Introduction, pag. 95.)

Il semble donc qu'on pourrait s'entendre, si jamais les hommes placés à un point de vue inférieur, avaient su se rendre compte du point de vue qui dépasse le leur!! si le littéralisme et le matérialisme pouvaient comprendre le spiritualisme. Il importe de ne point se faire d'illusions; pour passer de l'une des convictions à l'autre, il faut une conversion; aussi longtemps qu'elle n'a pas eu lieu, le littéraliste est condamné à voir un danger pour l'autorité de l'Ecriture dans cette manière nouvelle de la concevoir, exactement comme l'homme naturel voit les intérêts de la morale compromis par la doctrine du salut gratuit, ou le catholique croit le christianisme incompatible avec la liberté d'allures du protestant.

Ce qui achève de dérouter le représentant de l'ancienne théologie, c'est que celle-ci se trouve compromise dans l'ensemble et dans les détails par cette manière nouvelle de concevoir la Bible et son autorité. Celle-ci n'étant plus un recueil de formules inspirées, un code de lois, il faut renoncer à considérer les dogmes comme puisés directement dans la Bible, sans le secours d'aucun facteur humain. On voit alors se dresser l'épouvantail de l'histoire des dogmes qui partage, avec la conception spirituelle de l'Ecriture, le privilége de scandaliser les représentants des anciennes idées. Et cependant s'il est au monde une chose hors de tout doute, c'est bien le fait que les dogmes ont une histoire. Nous arrivons ici au point fondamental qui nous donne la clef des différences profondes qui séparent l'ancienne théologie de la nouvelle : la manière différente de conce

voir la religion. Les deux semblent s'accorder à mettre la révélation au premier rang; ce n'est toutefois qu'en apparence. Pour l'ancienne théologie, la révélation est éclipsée par l'Ecriture qui est censée son expression adéquate. L'Ecriture à son tour cède le pas à la dogmatique traditionnelle qui passe pour être son expression la plus fidèle. Ne se doutant pas de la moindre distinction à établir entre la religion et la théologie, on arrive ainsi à une notion objective de la religion; par là on entend l'ensemble des principes, des doctrines, des enseignements sur Dieu et sur l'homme qu'il faut admettre et croire pour être chrétien.

La théologie moderne procède tout autrement. Pour elle la religion est primitivement une piété subjective; la religion subjective est la première, l'objective n'est que la dérivée. Sans doute pour que la conscience humaine devienne religieuse, conscience du divin, il faut une excitation au moyen d'une objectivité extérieure qui n'est autre que la révélation naturelle ou surnaturelle. Mais cette révélation objective, qui a son document historique dans la Bible, n'est pas encore la religion objective. Avant que celle-ci puisse naître, il faut de toute nécessité qu'il y ait quelque chose de religieux qui demande à être objectivé, et c'est là la religion subjective ou la piété, c'est-à-dire la détermination de la personnalité par Dieu. La religion objective n'est que la forme que la piété subjective se donne en s'objectivant dans le domaine du sentiment, de la volonté et de l'entendement. Le dogme est la formule scientifique qu'une église particulière sanctionne en la présentant comme l'exposant adéquat de la conscience religieuse de ses membres sur un point donné.

Il résulte de cette définition que le dogme est une œuvre éminemment humaine. Il ne saurait être confondu ni avec la révélation, ni avec les données scripturaires : c'est un travail de seconde main, un produit de la réflexion chrétienne, cherchant à se rendre intellectuellement compte des expériences que la conscience chrétienne a faites au contact de la révélation et de l'Ecriture. Les dogmes organisés et ramenés à l'unité donnent

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