Page images
PDF
EPUB

solutions nouvelles. Nous ne voulions que poser le problème. Peut-être trouvera-t-on qu'il n'y a de notre part aucune précipitation', si on veut bien se rappeler que les mêmes causes qui font réclamer une solution en Allemagne agissent aussi depuis longtemps chez nous. Les Allemands, dans leur générosité bien connue, vont même jusqu'à reconnaître que c'est à la frivolité parisienne que revient l'honneur d'avoir, dans ces dernières années, ranimé les controverses christologiques qui avaient été un peu perdues de vue. Aujourd'hui, amis et adversaires s'accordent sur un point: l'absolue nécessité de prendre au sérieux l'humanité de Christ dans toute l'étendue du terme. On est sûr de partir d'un axiome admis par tous en disant que la spéculation christologique qui prend nécessairement pour point de départ la base historique, a pour devoir strict de la respecter, c'est-à-dire de ne rien enseigner qui contredise ce que les évangiles nous disent de l'humanité de Jésus. Celui-là donc qui respectant toutes les données aura su concilier la divinité et l'humanité aura trouvé la christologie de l'avenir.

Signalons une heureuse circonstance qui permet de bien augurer des controverses actuelles. On est tout heureux de voir qu'en replaçant la question sur le terrain historique, empirique, amis et adversaires sont revenus, sans s'en douter, aux traditions apostoliques les plus authentiques. S'il est un fait bien manifeste, quoique trop longtemps oublié, c'est que les écrivains du Nouveau Testament s'accordent pour prendre le problème, non par en haut, mais par en bas. Ils partent tous de leurs expériences personnelles; ils s'appuient sur les effets salutaires qu'ils ont éprouvés au contact de la riche personnalité du Sauveur. L'accord remarquable.qui règne à cet égard entre les apôtres suffirait à lui seul pour montrer que l'esprit qui animait les disciples de Jésus était étranger à cette haute métaphysique dans laquelle se complaisaient les pères grecs, en

Nous sommes même devancés par des pays qui jusqu'à présent ne se sont pas distingués par la moindre témérité en fait de théologie. L'année dernière, l'idée d'une incarnation successive de Dieu en Christ a fait son apparition dans le discours d'ouverture du président de l'assemblée générale de l'église presbytérienne des Etats-Unis.

vrais fils de Platon et d'Aristote. Saint Paul qui n'avait pas vu Jésus des yeux du corps, prend cependant un fait historique pour point de départ de sa christologie: la résurrection de Jésus par laquelle il a été pleinement déclaré fils de Dieu en puissance. (Rom. I, 4.) L'apòtre saint Jean, auquel on prête volontiers des préoccupations spéculatives, est très explicite à cel égard. Il éprouve le besoin d'insister sur ce qu'il a vu, touché, entendu, et cela non par l'esprit, mais au moyen des organes des sens ce qui était dès le commencement, ce que nous avons ouï, ce que nous avons vu de nos propres yeux, ce que nous avons contemplé, et que nos propres mains ont touché de la parole de vie... cela dis-je, que nous avons vu et ouï, nous vous l'annonçons. (1 Jean I, 1.)

Assurément ce n'est pas là ce qui préoccupe avant tout les hommes qui, en défendant les anciennes formules, se croient les plus fidèles champions des enseignements apostoliques. Il ne serait pas impossible que ces nouvelles vues christologiques parussent anti-chrétiennes à bien des personnes; qu'on leur reprochât de faire disparaître le surnaturel et de rendre singulièrement compréhensible le mystère de la divinité de Christ. Il serait aisé de répondre qu'il restera bien toujours assez de côtés incompréhensibles dans le problème pour satisfaire tout besoin légitime. Quant à ceux qui éprouveraient des scrupules à voir un peu plus clair, même quand la psychologie, la raison, l'Ecriture se réunissent pour dissiper les ténèbres, il faudrait renoncer à les satisfaire, et ne tenir nul compte de leurs protestations. S'il est en effet un devoir pressant, dans ces jours où l'incrédulité et la superstition travaillent à renverser toute religion spirituelle, c'est de dégager la cause du vrai surnaturel chrétien, d'un certain besoin de merveilleux, de magie et de fantaisie inhérent à la nature humaine. Cette tendance ne croit trouver sa pleine et entière satisfaction que dans l'admission des thèses les plus contradictoires, les plus impossibles, ne se doutant pas qu'elles sont parfois comme l'ombre funeste que la faiblesse humaine a projetée sur des questions souvent plus simples qu'on ne peut se résigner à l'admettre. On s'imagine adorer sérieusement, tandis qu'en réalité on demeure à la porte,

les yeux fermés, prosterné devant le voile qui cache le mystère et empêche de pénétrer dans le saint des saints.

Les protestants qui estiment faire œuvre méritoire en s'élevant avec force contre la raison chrétienne la plus respectueuse et la plus soumise, ne se doutent pas qu'ils sont redevables, non à leurs livres symboliques, mais en bonne partie aux grands peintres des siècles passés de ces idées christologiques populaires qu'ils défendent avec tant d'ardeur. « Ne lisez-vous pas dans ce regard, disait un jour un homme d'esprit en nous faisant admirer un enfant Jésus, chef-d'œuvre de je ne sais plus quel artiste, ne lisez-vous pas dans ces yeux que c'est bien là celui qui a créé le monde et qui le gouverne?» Cette remarque nous frappa beaucoup, car elle sortait de la bouche d'un docteur hégélien, très orthodoxe d'ailleurs quand il consentait à se mouvoir dans la sphère de la représentation. Serait-il trop tôt pour faire comprendre au peuple chrétien, resté enfoncé dans un docétisme plus commode qu'évangélique, que ces représentations sont fausses et par conséquent nuisibles à la vraie foi? Tout en nous élevant avec raison contre la théologie romaine, qui, après avoir absorbé l'humanité dans la divinité, a été forcément conduite à imaginer le culte de la Vierge, persisterons-nous indéfiniment à nous contenter d'un docétisme protestant qui pour être plus raffiné n'en est pas moins faux? La question de l'antechrist est de nouveau à l'ordre du jour parmi nous. Serait-il hors de propos de rappeler que ce titre si mal porté a désigné primitivement, non pas des hérétiques contestant la préexistence personnelle et consciente de Christ, mais bien ceux qui insistaient sur sa divinité au point de méconnaître sa vraie humanité?

Saint Jean dénonce comme antechrist non pas le penseur qui mettra en doute quelque thèse sur le Logos, mais bien celui qui contestera la réelle humanité de Christ, tant le fait concret historique dont il a été témoin lui paraît capital : Tout esprit qui confesse que Jésus-Christ est venu en chair, st de Dieu. Et tout esprit qui ne confesse point que JésusChrist est venu en chair, n'est point de Dieu; or tel est l'esprit de l'antechrist. (1 Jean IV, 2.)

Pour quiconque ne se paie pas de phrases et aime à aller au fond des choses, la situation peut être caractérisée d'un seul mot: absence à peu près complète d'intérêt pour les problèmes théologiques, non-seulement dans les rangs du public en général, mais même chez les hommes qui semblent être particulièrement appelés à s'occuper de ce genre d'études. L'importation anglaise, qui trop longtemps a pourvu à nos besoins, a presque entièrement cessé; les traductions allemandes, qui le plus souvent sont demeurées incomprises, ne servant guère qu'à défrayer la polémique, n'ont pas augmenté; les productions originales toujours rares le sont devenues plus que jamais. Quoi d'étonnant que les recueils périodiques destinés à tenir au courant de ce qui se passe cessent leur publication les uns après les autres? La Revue théologique de Paris a dû disparaître de la scène comme avait déjà fait celle de Strasbourg; semblables au messager des récits antiques, nous sommes restés seuls pour raconter le désastre.

Tel paraît être, à l'heure présente, le dernier mot d'un mouvement théologique qui promettait cependant quelque chose à son début, il y a vingt-cinq ans. Les hommes qui ne peuvent se résigner à admettre que tout soit fini sans retour sont mis en demeure de rechercher comment et pourquoi en si peu de temps, les plus belles espérances ont abouti à des résultats si peu réjouissants. Le moment de dire à chacun son fait n'est cependant pas venu: la plaie est encore trop récente; à quoi bon l'irriter inutilement en promenant la sonde dans toutes les directions? Si tant est qu'elle daigne s'occuper de cette époque si ingrate, l'histoire n'aura pas de peine à démêler les causes nombreuses et complexes, individuelles et générales, religieuses, ecclésiastiques, sociales même qui ont concouru à replonger en peu de temps dans le sommeil le plus profond une génération qui se croyait enfin arrivée à la vie théologique, à l'âge de la majorité en religion et en philosophie. Il suffira, pour le moment, de rappeler le fait général qui domine toute la situation.

XII

Les plus indifférents et les plus distraits ne l'auront pas oublié c'est par le renouvellement de l'apologétique qu'on a été conduit, dans nos pays, à tenter une transformation de la théologie. C'était vers 1848: les Etudes sur Blaise Pascal avaient déjà paru en partie dans le Semeur. Tout ce qu'il y avait d'hommes intelligents dans le Réveil avaient saisi la portée de l'évolution qui était en train de s'accomplir. On était décidément fatigué des allures étroites, grêles et mesquines de l'apologétique anglaise qui, transportant l'esprit mercantile dans les plus hautes sphères, avait ramené la solution des problèmes les plus profonds à une simple question de doit et d'avoir, au moyen de sa méthode des évidences externes ; aussi se portaiton en foule vers une apologétique à la fois nouvelle et vivante, profonde et populaire, éminemment scripturaire, qui avait enfin su retrouver les vraies lettres de créance de l'Evangile. Il faut avoir vécu à cette heure-là pour savoir combien les espérances étaient vives, générales; quel entrain et quelle confiance enlevaient les cœurs des hommes qui se sentaient emportés vers un magnifique avenir. Le Réveil semblait à la veille de porter ses plus beaux fruits. Comment n'aurait-on pas été plein de confiance, de foi, et de reconnaissance? Dès les premiers essais on se trouvait introduit au cœur même des questions les plus profondes, les plus palpitantes on tenait entre les mains une clef qui devait ouvrir toutes les portes, une méthode pratiquée par tous les grands docteurs dans toutes les époques où l'église avait été réellement vivante et conquérante. Alors qu'on pouvait se rendre le témoignage d'aimer sincèrement la vérité, comment aurait-on craint de s'égarer en se conformant à ce précepte du Maitre: Si quelqu'un veut faire la volonté de mon Père, il connaitra de la doctrine, savoir, si elle est de Dieu, ou si je parle de moi-même ? N'avait-on pas trouvé enfin la vraie définition de la foi soigneusement distinguée de la créance? « C'est le cœur qui sent Dieu, et non la raison. Voilà ce que c'est que la foi: Dieu sensible au cœur, non à la raison. » On avait dès le début trouvé une méthode allégeant

« PreviousContinue »