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conscience chrétienne la plus spontanée, c'est bien celui de l'inspiration de la Bible. Ce dogme n'est qu'une tentative de formuler l'impression que le fidèle éprouve au contact de la sainte Ecriture, soit spontanément, soit à la suite de la réflexion. C'est l'expérience de tout chrétien évangélique, que la Bible est nonseulement un moyen de grâce, mais un moyen de grâce indispensable. La sainte Ecriture est un moyen unique de l'activité divine; on sent en elle l'action de forces surnaturelles et divines se déployer avec une fraîcheur, une spontanéité à nulle autre comparable, une vraie incarnation des vertus salutaires et de la vérité dans toute leur pureté et plénitude. Quiconque possède le sens des choses religieuses doit avoir fait cette expérience. En un mot, la Bible se légitime comme le livre religieux par excellence. (2 Tim. III, 16,17.) »

Voilà le fait capital que les théologiens chrétiens, ceux de la nouvelle comme ceux de l'ancienne école, proclament à l'envi. Mais comment l'expliquer? Comment en rendre compte? La réponse établit ici une profonde différence entre les deux tendances. << L'orthodoxie prétend faire provenir l'Ecriture exclusivement de l'activité divine, tandis que sa parfaite humanité s'impose à nous tout aussi impérieusement. Bien loin de nous donner la clef du problème, la théorie de l'inspiration plénière en a méconnu la vraie nature pour se lancer dans l'aventureux et l'inexplicable. Et tout cela en pure perte, car le but poursuivi avec tant de peine est inévitablement manqué.

« Il y a ici deux faits, dit Rothe, que les plus intrépides défenseurs de la plénière ne sauraient méconnaître, bien qu'ils les scandalisent fort: le texte actuel, produit du travail critique des siècles, ne saurait être verbalement inspiré ; il n'existe pas d'exégèse officielle, authentique. Notre Bible devrait être faite tout autrement qu'elle ne l'est pour jouer le rôle qu'on prétend lui imposer. Qu'on songe aux tours de force, aux violences que, pendant des siècles, les théologiens ont dû se mettre sur la conscience pour soutenir leur théorie!... » Tout s'explique au contraire dès qu'on fait porter l'inspiration non plus sur les écrits, sur le livre, mais sur les auteurs. Nos livres sacrés sont

dus à la plume d'hommes qui ont été inspirés en qualité d'organes de la révélation, mais ils ne sont pas les produits directs des inspirations elles-mêmes. A la rigueur donc, il ne peut être question d'une inspiration des livres, mais seulement de leurs auteurs. Les écrits n'ont pas été inspirés directement et spécialement, mais indirectement et d'une manière plus ou moins intense, suivant le plus ou moins d'aptitude des écrivains seuls inspirés.

On le voit, les deux théories s'excluent décidément l'une l'autre. La théorie orthodoxe admet une inspiration directe des écrits par l'activité de l'esprit, sans le concours de l'illumination habituelle de leurs auteurs. Les modernes ne voient dans l'inspiration des écrits qu'une conséquence tout à fait naturelle de l'illumination des auteurs. Les livres ne sont inspirés que pour les raisons suivantes : ils proviennent d'hommes qui sont éclairés par le Saint-Esprit, agissant dans la conversion et la sanctification, et ayant de plus reçu des inspirations particulières comme agents, organes de la révélation, mais pas dans le moment où ils ont écrit. Il faut donc distinguer avec beaucoup de soin entre l'illumination des personnes et l'inspiration des écrits. La première, partie essentielle de la sanctification, est habituelle, permanente, la seconde, accidentelle et momentanée. La doctrine ecclésiastique se fonde sur ce dernier fait, la théorie moderne sur le premier. (Pag. 70.)

Les conséquences de ces deux conceptions opposées sont fort différentes. L'infaillibilité de la Bible est le corollaire inévitable de la théorie traditionnelle, en vue du quel celleci a été imaginée. D'après la théologie moderne, non-seulement la Bible ne se prétend pas infaillible, mais elle renferme, dit Rothe, des erreurs manifestes, même dans les matières religieuses. Par exemple il est certain qu'en faisant un usage scientifique du Nouveau-Testament, on peut arriver à une notion parfaitement exacte de l'oeuvre et de la personne du Sauveur. Mais le fait qu'il y a plusieurs christologies dans l'Ecriture ne permet pas d'affirmer à priori qu'aucune erreur ne s'est glissée dans les renseignements des auteurs parlant sur la personne et sur l'œuvre du Sauveur. La même observa

tion s'applique à la Bible entière. Elle n'est pas un livre absolument à l'abri de toute erreur; mais elle est un instrument parfaitement suffisant pour arriver à une connaissance infaillible de la révélation, puisqu'elle possède tous les moyens nécessaires pour se corriger elle-même.... L'infaillibilité de la Bible repose sur l'effet d'ensemble qu'elle produit, en tant qu'elle se corrige elle-même dans les détails. » (Pag. 8, Introduction.)

Est-ce à dire que l'activité normative de la Bible soit donc compromise? Nullement ! pourvu qu'on sache comprendre que le titre de document historique suffit à tous égards pour l'établir. L'infaillibilité qu'enseigne l'orthodoxie courante est immédiate; elle réside dans les différents livres et versets. Ce n'est au contraire qu'à la suite d'un travail scientifique qu'on arrive à celle qui est admise par la théologie moderne. L'une est absolue, l'autre est relative. Il en est de même de la valeur normative de l'Ecriture.

<< Toutes les difficultés que l'ancienne dogmatique a accumulées autour de l'Ecriture disparaissent en quelque sorte d'ellesmêmes, dit Rothe, dès qu'on voit dans le saint volume, non pas le document historique de la révélation, mais le document historique sur la révélation. Ce n'est pas un manuel d'enseignement que Dieu nous a communiqué sur la révélation, mais ce qu'on appelle une source historique, un document duquel seul l'historien sait fort bien qu'il peut tirer la vérité. Un document est lui-même partie intégrante de la chose qu'il fait connaître. Considérée historiquement la Bible n'est pas autre chose que l'ensemble des documents qui nous sont parvenus sur ce fait historique que nous appelons la révélation. A ce titre, la Bible est un produit historique de la révélation. Voilà jusqu'à quel point et dans quel sens on peut dire qu'elle ne fait qu'un avec la révélation. Seule, elle nous met en contact direct avec la révélation, de sorte que, par son moyen, nous pouvons puiser à la source immédiate et nous trouver, pour l'essentiel, placés sur le pied d'égalité avec les témoins immédiats de la révélation. En qualité de document, en effet, elle nous plonge au milieu des faits, elle nous les reproduit et nous les représente

dans le sens littéral du mot. C'est là l'essentiel quand il s'agit de son action religieuse tout à fait particulière. Voilà pourquoi chaque fidèle isolément doit puiser ses connaissances religieuses immédiatement à la source de l'Ecriture, tandis que l'église doit se contenter de venir à son aide en prêchant l'Evangile. Cela fait comprendre pourquoi le protestantisme considère la Bible comme l'éducatrice journalière de toute vraie piété et exige qu'il en soit fait un usage général. La sainteté et la divinité particulière du volume proviennent de ce qu'il est le document de la révélation. C'est de là aussi qu'il tire sa haute dignité; aussi pour lui assurer une plus haute position n'y a-t-il qu'un seul moyen, présenter une notion plus relevée de la révélation. C'est là ce que nous avons fait. »

En ne voyant dans la Bible qu'un simple document historique, on ne renonce pas à lui reconnaître une infaillibilité relative. On possède en elle un instrument parfaitement suffisant pour arriver à une connaissance infaillible de la révélation, spécialement de Christ. Sans être sous ce rapport à l'abri de toute erreur, même dans les matières religieuses, elle est essentiellement infaillible. Aucune de ces erreurs toutefois n'aurait pu rendre à priori impossible dans le sein de l'humanité le dévelopment régulier, historique de la conscience religieuse et particulièrement de la conscience chrétienne conformément à cette révélation. En insistant fortement sur ce point, Rothe est convaincu d'exprimer le sentiment de tous les chrétiens : « Quand on croit à la révélation, dit-il, quand on possède le sentiment d'être racheté en Christ, on doit ou affirmer cette infaillibilitélà, ou renoncer à sa foi en la révélation et tenir pour mensongères les expériences de salut qu'on a faites par son moyen. En effet la révélation ne doit pas être un simple météore destiné à disparaître sans laisser de traces, mais une révélation qui soit une causalité divine provoquant tout un développement historique pour la rénovation de l'humanité. Pour cela elle doit être de toute nécessité accompagnée d'un témoignage fidèle, sur lequel on puisse se reposer et qui fasse luimême partie intégrante de la révélation. Sans cela nous n'aurions plus rien qui nous en garantit l'exacte connaissance

pendant le cours de son activité historique, ni rien qui nous permit de la rétablir en cas d'altération. Et toutefois le déploiement des bienheureux effets de la révélation dépend incontestablement de la connaissance qu'on en a. Voilà pourquoi, quand on croit à la révélation, on ne peut s'empêcher, pour être conséquent, de postuler à priori qu'elle soit accompagnée d'un témoignage essentiellement authentique et de s'en remettre avec confiance à la Providence qui ne peut avoir manqué de prendre des mesures pour la formation et la conservation d'un pareil document. Dirons-nous au contraire que la Bible ne nous donne pas pour l'essentiel une connaissance exacte de la révélation? Il faut alors renoncer à croire, nonseulement que nous possédons la révélation et que nous en jouissons, mais qu'il y ait jamais eu une révélation, un christianisme authentique. Une chose demeure en effet certaine. La Bible nous montre une conception primitive du christianisme; elle nous fait voir avec certitude comment il a été originairement compris au moment où il a accompli son entrée dans le monde comme fait historique. Si la conception biblique n'est pas essentiellement la vraie, celle-ci n'a jamais existé et par conséquent n'a pu parvenir jusqu'à nous. En d'autres termes, la révélation a eu lieu sans conséquence aucune, et partant, sans but aucun. Si le commentaire que les apôtres nous ont laissé de la révélation en Christ n'est pas exact pour l'essentiel, la rédemption ne peut avoir produit ses effets historiques dans l'humanité, car son activité dépendait de la réception dans notre conscience religieuse de la vraie image de Christ, seul moyen de rendre la révélation efficace. Nous ne sommes donc pas ra-chetés, le vrai christianisme n'existe pas et n'a jamais existé. Le croyant doit donc postuler l'infaillibilité (au sens indiqué) et de la prédication des prophètes et de celle des apôtres. L'Ecriture doit être à son tour au bénéfice de cette infaillibilité puisque n'étant qu'une forme particulière de leur prédication elle doit participer aux qualités de celle-ci. » (Pag. 83, Introduction.)

La Bible étant avant tout un document historique, le théologien doit prendre à son égard l'attitude d'un historien, appré

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