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firait de rappeler que Rothe loue fortement Schleiermacher de nous avoir enseigné ce que nous n'oublierons plus, savoir : que la religion subjective est la première. (Pag. 1 et 2, Introduction.)

Un des plus importants dissentiments entre la théologie ancienne et la théologie moderne porte sur la manière de concevoir l'Ecriture et la révélation. Cette dernière notion avait fini par être oubliée pour être confondue avec celle de l'Ecriture et celle-ci était devenue l'expression adéquate de la révélation. Les anciens théologiens ont eu le mérite de trancher d'une manière assez heureuse, en théorie du moins, tout ce qui concerne les rapports entre la raison et la révélation spéciale. Malheureusement, guidés en ceci par une fausse notion de la religion, ils ont vu avant tout dans la révélation la communication de connaissances s'adressant à l'entendement, sous la forme d'enseignements didactiques, d'une manière immédiate et par une inspiration mécanique. La théologie moderne, après avoir sondé les Ecritures, a établi, au contraire, qu'elles nous présentent la révélation « comme une série continue et organique de faits et d'institutions historiques, auxquelles se rattachent, dans un milieu déterminé, des illuminations surnaturelles des prophètes sous les formes les plus diverses: visions, discours intérieurs par l'esprit de Dieu, moins en vue de communiquer de nouvelles connaissances religieuses, que pour annoncer à l'avance certains événements historiques. » (Pag. 24, Introd.)

L'activité divine qui révèle n'est plus alors qu'une forme spéciale de l'activité rédemptrice, en vue de préparer la rédemption, de la rendre historiquement possible. La révélation consiste en une purification, en un affermissement de la conscience religieuse, effectué d'une manière surnaturelle par Dieu.

C'est surtout quand il s'agit de déterminer comment Dieu purifie et fortifie la conscience que les hommes ont de lui, que la différence fondamentale entre les deux théologies éclate dans tout son jour. D'après les anciens théologiens fidèles, encore ici à leur notion intellectuelle de la religion et de la révélation,

le rapport entre Dieu et l'homme serait exclusivement méca

nique; Dieu se révélerait à l'homme sans que celui-ci fût, de son côté, une personne concourant à l'œuvre. A cette conception mécanique, qui réduirait la conscience à n'être plus qu'un organe atrophié et superflu, les théologiens modernes ont substitué la notion morale. La révélation doit avoir ses points de contact, ses pierres d'attente dans l'homme; essentiellement surnaturelle, elle ne peut toutefois être communiquée aux hommes que par les méthodes morales. Bien que la révélation doive s'accomplir par des procédés moraux, ce n'est pas à dire qu'elle perde en rien son caractère immédiat et surnaturel. L'essentiel c'est que Dieu accomplisse la transformation de la conscience religieuse, au moyen d'une activité qui mette en jeu, d'une manière naturelle, toutes les facultés de notre âme.

Rothe établit que la révélation doit nécessairement se composer de deux facteurs. Vu son état de péché, l'homme ne saurait parvenir à connaître Dieu par les moyens naturels. D'un autre côté il ne peut être question d'établir de nouvelles données intérieures, car ne pouvant pas avoir le concours de l'homme, elles réclameraient, de la part de Dieu, une action mécanique, magique, ce qui serait contraire à la nature morale de la révélation. Que faire done? Lorsque Dieu veut se révéler à l'homme pécheur, il doit commencer par recourir à des faits extérieurs, soit naturels, soit historiques, qui soient propres à éveiller dans la conscience la vraie idée de Dieu et cela avec évidence. Il faut insister sur ce dernier caractère. Ces événements extérieurs ne doivent pouvoir s'expliquer que par l'idée de Dieu. C'est là l'élément de la manifestation: la révélation est une manifestation de Dieu.

Mais l'expérience chrétienne et la nature des choses s'accordent à attester qu'il ne suffit pas que Dieu se manifeste pour être bien compris par l'homme. Il faut donc encore l'élément de l'illumination, de l'inspiration. Sous peine de ne pas être compris, Dieu doit accompagner la manifestation extérieure d'une action immédiate qui illumine la conscience religieuse et provoque en l'homme des connaissances intérieures permettant de recevoir la manifestation extérieure.

B

Il résulte de tout ce qui précède que le surnaturel est le trait caractéristique de la révélation. Rothe est de tous les théologiens modernes celui qui insiste le plus sur ce caractère. Cette partie de la révélation, qu'il appelle la manifestation, n'aurait pu avoir lieu sans miracle et sans prophétie.

<< Le miracle et la prophétie ne sont pas des attributs et signes extérieurs, des appendices qu'on ajoute à la révélation, des enseignes indépendantes qu'on y suspend du dehors pour nous la faire croire, mais bien des éléments constitutifs de la révélation. Ce n'est pas pour légitimer ses messagers que Dieu a fait des miracles, mais dans son propre intérêt, pour se faire voir d'une manière évidente aux hommes aveuglés par le péché. La révélation n'est pas accompagnée de miracles et de prophéties, elle consiste en miracles et en prophéties. Un fait historique est une révélation, parce qu'il implique miracle et prophétie ; qu'on retranche de la révélation les faits surnaturels (miracles), la connaissance surnaturelle (prophétie) et cela au sens strict du mot surnaturel, je cherche ce qu'il pourrait encore y avoir de surnaturel en elle. Pourquoi une révélation est-elle indispensable? Parce que le cours ordinaire de la nature ne fait pas voir Dieu avec évidence à l'homme pécheur. Il n'y a donc que des faits en dehors de ce cours ordinaire, des miracles, qui puissent suppléer à ce qu'il est hors d'état de faire lui-même. Or comme le miracle serait une image morte à lui seul, il est inséparable de l'histoire sainte. Je n'ai pas honte de le dire, je ne comprendrais pas une révélation divine dans laquelle le surnaturel, l'activité de Dieu, ne pourrait pas être constatée d'une manière grossière, parlant aux sens. Tout ce que je puis accorder, c'est que plus un acte du drame divin se trouve dans le grand courant progressif de l'idée de Dieu, plus l'élément du miracle peut rester à l'arrière-plan. » (Pag. 31.)

Tout en insistant aussi fortement que l'ancienne apologétique sur l'importance du miracle, Rothe est loin de lui faire jouer le même rôle. C'est pour la manifestation seule qu'il le croit indispensable. S'il est vrai que les premiers témoins de la révélation n'auraient pu la reconnaître comme divine sans miracle, il en est tout autrement pour nous qui avons vu passer dans la

conscience générale ce que les miracles révélateurs étaient primitivement destinés à annoncer. Ce n'est pas dans l'intérêt de la dogmatique que notre théologien admet les miracles, mais bien parce qu'il ne peut s'en passer pour expliquer certains faits de l'histoire. « Bien loin de rompre les mailles du tissu historique, ils me permettent de franchir les profondes lacunes qu'il présente. » (Pag. 40.) Bien loin de soutenir qu'on doive se dispenser d'examiner à la lumière historique les faits donnés pour miraculeux ou tenir pour suspecte toute foi qui ne reposerait pas sur les miracles, Rothe, se rendant compte des répugnances de notre génération, demande qu'on se garde de l'éloigner entièrement du christianisme, en prétendant lui imposer à toute force la foi au miracle.

Sur aucun point la différence entre l'ancienne et la nouvelle théologie n'est plus profonde et plus décisive que sur la manière de concevoir l'Ecriture et son inspiration. Ici le désaccord aboutit au scandale. Il ne s'agit pas de faire des concessions et de transiger; on se trouve en face de deux conceptions exclusives l'une de l'autre, entre lesquelles il faut décidément opter. Encore ici ce désaccord profond a sa source dans la manière de concevoir la religion et la révélation.

Ayant le sens historique fort peu développé, voyant dans la révélation éminemment une communication d'idées, de doctrines, les docteurs de l'ancienne théologie ont été rapidement con. duits à voir dans la Bible l'expression verbale des pensées divines. Ce n'est que lorsqu'elle est écrite que la parole de Dieu acquiert la fermeté désirable: la révélation divine s'accomplit donc par la composition surnaturelle d'un livre dans lequel Dieu s'explique sur son essence et sa volonté. L'Ecriture est ainsi donnée pour la parole de Dieu parce qu'on la tient pour inspirée de Dieu. Le point de vue de l'orthodoxie lui fait éprouver le besoin de posséder une source de connaissances dont l'exactitude absolue et l'infaillibilité soient garanties par son origine. En effet sans une autorité divine extérieure, préservant de toute erreur, il n'y a point d'assurance ferme dans les matières religieuses: nous devenons la proie du doute et du désespoir. La Bible est confondue avec la révélation; elle de

vient un manuel religieux infaillible dans le sens le plus étendu du mot. Or, comme elle ne peut venir exclusivement de Dieu, que si l'homme faillible n'a en rien concouru à sa formation, les écrivains sacrés doivent n'avoir été exclusivement que la main de Dieu, mais du reste entièrement improductifs quant au contenu qu'ils ont servi à écrire.

L'origine religieuse de cette théorie, qui présente la Bible comme la Parole de Dieu, est incontestable. Pris dans son sens scripturaire, le mot Parole de Dieu paraît au simple fidèle admirablement approprié pour désigner ce que la Bible est pour lui, car elle lui produit bien l'impression d'un livre dans lequel Dieu lui parle. Dès qu'on prend au contraire le terme Parole de Dieu dans son sens théologique, on ne tarde pas à s'apercevoir qu'on se met en contradiction avec l'état réel du volume. C'est ainsi qu'on a été obligé de distinguer dans l'Ecriture deux espèces d'éléments dont l'un est la Parole de Dieu à l'exclusion de l'autre. Le nom de Parole de Dieu désigne le contenu religieux et on déclare que la Bible contient la Parole de Dieu, mais n'est pas la Parole de Dieu.

Rothe s'élève expressément contre cette distinction, qui a le tort d'être arbitraire, car qui tracera la limite dans la Bible entre le côté religieux et le reste? Ensuite elle favorise l'idée que le caractère spécialement divin de la Bible consisterait surtout dans dans le contenu et non dans la forme, tandis qu'en fait la pénétration des deux est aussi intime que possible. Cette distinction part enfin de l'ancienne erreur fondamentale qui voit dans la révélation, la communication immédiate d'une doctrine religieuse formulée.

Rothe demande qu'on renonce définitivement à ce terme Parole de Dieu, pour voir simplement dans la Bible le document de la révélation. Elle demeure toujours dans un rapport très étroit avec la révélation, mais, toutefois, elle est loin de se confondre avec elle.

On arrive ainsi à une notion de l'inspiration qui s'accorde mieux avec les faits, avec l'état des documents et avec les exigences de la psychologie. «S'il est un dogme d'origine religieuse, dit Rothe, et s'appuyant sur les déclarations de la

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