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métaphysique de l'idéalisme, il ne se serait pas borné à l'insinuer, alors surtout qu'il publiait une seconde édition de son ouvrage. Il n'aurait pas suffi pour ménager la transition entre deux points de vue si opposés d'indiquer cette réserve : « Cependant le présent volume n'a pas été commencé sous la claire inspiration de cette méthode (empirisme moral?) qui se dé. gage de la spéculation métaphysique et n'y dessine que peu à peu son vrai caractère. » Nous n'admettons pas qu'il s'agisse en tout ceci d'un logogriphe. Et jusqu'à ce que le sphinx, si sphinx il y a, ait livré le mot de l'énigme, nous persisterons à nous ranger à une interprétation plus charitable. « Publiée en 1848, la première édition était épuisée depuis longtemps, dit M. Secrétan, mais l'auteur en différait la réimpression dans l'espoir toujours ajourné d'une révision fondamentale A la fin, sentant l'entreprise supérieure à ses forces, il se résigne à reproduire avec de simples améliorations de détail un travail dont la pensée reste actuelle, quoique la forme en ait quelque peu vieilli. (Préf. V.)

Actuelle est peu décisif. Ce langage, qui n'est plus celui de la foi enthousiaste, n'exclut pas des modifications profondes. Nous n'en persistons pas moins à croire que l'opposition n'est pas aussi grande que certaines personnes veulent bien le dire.

intelligible des thèses qu'obscurcissent les éléments conservés de la théologie métaphysique. Une vraie foi religieuse ne peut aussi que gagner à cette séparation (Année phil., pag. 179.)

Il est juste de tenir également compte des déclarations récentes de M. Secrétan, en réponse à la critique de M. Renouvier : ..... Je m'incline sous plusieurs de vos critiques, devant d'autres j'hésite et je me tais.... »

Vous repoussez absolument la métaphysique et ne voulez laisser subsister que la morale, tandis que moi, brûlant encore des anciens feux, possédé d'un besoin dont le criticisme aura peine à sevrer l'esprit, le besoin de remonter aux principes des choses, je tente d'asseoir au moins une croyance métaphysique sur le fondement de la certitude morale. M. Renouvier se défend à son tour de l'accusation de vouloir sevrer l'esprit humain du besoin de remonter aux principes des choses. » Aussi n'est-ce point ce que tente le criticisme. Il diffère en cela du positivisme, qu'il exclut les principes inintelligibles, c'està-dire contradictoires, et ceux-là seulement. Les autres, il les laisse abordables à la science, à l'hypothèse, à la foi, selon leurs espèces (Voir La critique philosophique, janvier 1873.)

Si l'auteur avait abandonné le point de vue de la Philosophie de la liberté, il n'aurait pas négligé de nous en avertir en publiant sa seconde édition. Quoi qu'il en soit, s'il y avait quelque ombre de mystification en tout ceci, ce serait à l'usage exclusif des disciples ingénus de la onzième heure, dont le nombre irait, parait-il, en augmentant sensiblement, plutôt au loin qu'au près. M. Secrétan a le cœur trop bon pour réserver de si cruelles déceptions à ses adeptes. Quant à nous, nous demandons pardon à l'auteur de nous être arrêté si longtemps à cette hypothèse suggérée par un ami, plus équitable peut-être que prudent.

M. Secrétan est un esprit trop riche en ressources pour ne pas trouver moyen de concilier sa plus récente définition de la philosophie, la « science de ce qu'on ne peut pas savoir,» avec des déclarations comme les suivantes que nous trouvons encore dans sa seconde édition : « L'idéal de la philosophie n'est autre chose que l'intelligence parfaite, l'intelligence des choses telles qu'elles sont réellement. La philosophie doit donc comprendre l'essence du principe universel et comprendre toutes choses comme découlant du principe universel et conformément à sa nature. Elle expliquera les choses particulières telles qu'elles sont pour le principe universel, car c'est là leur vérité vraie et la philosophie doit nous enseigner la vérité vraie... la philosophie ne peut consentir à aucune émancipation de ses provinces. Elle est une ou elle n'est pas. Le principe de l'être et le principe de la connaissance se confondent nécessairement en elle. Son altier programme est l'explication universelle par le principe universel; rien de plus, rien de moins. » (L'Idée, leçon 1re, pag. 10.)

Mais il est grand temps de s'arrêter. La critique a peut-être déjà dépassé ses droits. Du reste, à côté de déclarations faites pour inquiéter, on en trouve d'autres d'un genre assez différent. On aime, dans ces jours où les études métaphysiques sont peu en honneur, à entendre le penseur qui le premier dans nos contrées fixa sur elles l'attention du public répéter « qu'il ne désertera pas sans combat le drapeau de la philosophie; » si l'auteur met peut-être trop de complaisance à faire dire par

certains esprits satisfaits « que la philosophie n'est qu'une poésie sur le retour, le dernier roman de la jeunesse, » on aime à lui entendre dire « mais une métaphysique, il nous la faut, tout notre être en a besoin; il nous la faut surtout pour tirer les conséquences du principe moral, qui nous la suggère elle-même. »

Enfin on est tout heureux de retrouver en M. Secrétan, non pas le philosophe spéculant comme une locomotive lancée à toute vapeur et allégée du mécanicien, mais l'homme, lorsque, acceptant hardiment le reproche de mysticisme, il s'écrie: « Je ne crois pas que saint Paul, que saint François, que sainte Thérèse, que Fénelon, que Pascal aient menti, ni qu'ils n'aient fait que rêver. Et s'ils ont rêvé la substance de leurs rêves est quelque part. Les soupirs de Thomas de Kempen, les larmes du peintre de Fiezole, les paroles de leur Maître à tous, ont une douceur pénétrante où l'art n'atteint pas. C'est la nature, c'est une autre nature, c'est la vraie nature. Les philosophes, les critiques en dissertent comme l'aveugle des couleurs. Ils ne sauraient nier l'inspiration, mais où en cherchent-ils l'origine? Leurs explications sont plus merveilleuses que le miracle luimême. Les ennemis de la superstition connaissent la plante qui se nourrit de sa propre séve, l'eau qui remonte audessus de sa source, le levier qui soulève des fardeaux sans point d'appui. Ceux qui n'admirent pas ces belles inventions sont des mystiques, ce qui dit tout. » (Préf. XLIV, L'Histoire.) Voilà des faits enfin et non plus des formules. En les recueillant précieusement, on se sent pris de mauvaise humeur contre soi-même, contre l'ingrat milieu dans lequel cet ouvrage capital a vu le jour, contre les amis et les adversaires de l'auteur, contre les critiques attardés surtout qui ont laissé paraître la seconde édition de la Philosophie de la liberté avant d'avoir, sous leurs coups redoublés, contraint M. Secrétan lui-même à dégager de ses propres mains le diamant de la gangue sous laquelle l'œil ordinaire a tant de peine à le reconnaître. Ne nous demandez pas trop ce qu'est devenu le philosophe : je ne sais qu'une chose, le chrétien nous reste. Pourquoi, après s'être essayé à restaurer les édifices du passé, n'aurait-il pas, lui aussi,

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à porter sa pierre pour l'édifice à venir encore si peu avancé? Pourquoi M. Secrétan, suivant d'illustres errements, soit dans l'antiquité, soit dans les temps modernes, ne nous donnerait-il pas un second système 1?

VI

Ce qui précède aura suffisamment fait comprendre combien il importe de séparer la cause du christianisme authentique et primitif des formes qu'il a revêtues sous la main des docteurs: amis ou adversaires sont souvent arrivés à le compromettre, quand ils ne l'ont pas exploité. Il est de mode aujourd'hui d'exiger de ceux qui renoncent aux orthodoxies du passé qu'ils veuillent bien à leur tour formuler un système de leur façon qui réponde aux exigences légitimes des contemporains. Nous n'avons rien à objecter, à condition toutefois qu'on se prête soi-même à rendre l'évolution possible. Comment peut-il être question de vous donner une dogmatique nouvelle alors que vous en êtes encore à douter de la convenance de renoncer aux anciennes? Nous serions en mesure de vous en présenter une toute rédigée, qu'elle demeurerait sans effet, nulle et non avenue. L'interprétant fatalement de votre point de vue inférieur, vous n'en saisiriez ni le sens, ni la portée. La dogmatique est en effet la forme scientifique que revêt la vie chrétienne; or complétement étrangers à cette

Mais il faudrait préalablement que notre auteur se rendit à la sollicitation bienveillante de M. Renouvier. Le chrétien, chez M. Secrétan, entraîne le philosophe hors de ses voies naturelles. Nous voudrions le convier à une œuvre qu'il serait digne d'entreprendre, et capable de mener à bonne fin. Ce serait de tracer les limites de la foi religieuse et de la philosophie rationnelle de la philosophie non pas exacte, apodictique et sans inductions, telle qu'on la voulait autrefois vainement, mais appuyée sur ce minimum de croyance pour lequel on a le droit d'invoquer ou d'espérer l'universalité du consentement humain. La tentative serait sérieuse, de la part d'un croyant de la double croyance. De tout autre, elle serait mal venue. Mais jusque-là, la philosophie religieuse est exposée à n'être qu'un amas de thèses d'origine diverse, artificiellement et péniblement combinées, qui s'affaiblissent ou se corrompent les unes les autres par le rapprochement. Pag 148.)

manière nouvelle de sentir l'évangile, comment pourriez-vous goûter, comprendre ce qui en serait la systématisation, la forme scientifique? C'est donc en tout premier lieu à une étude approfondie de l'histoire des dogmes, comme préparation indispensable à la dogmatique, que doivent être conviés les hommes qui parmi nous prennent la théologie au sérieux. « La dogmatique, dit Baur, est le système des dogmes résultant du développement historique antérieur et constituant, à un moment donné, le contenu de la foi chrétienne. La dogmatique est donc le résultat de l'histoire des dogmes, le sédiment en quelque sorte que le fleuve de l'histoire dépose dans son cours comme autant d'îlots représentant à un moment donné la vérité permanente, pour être plus tard dissous par la marche du fleuve et devenir à leur tour de l'histoire ancienne. En effet, chaque résultat définitif en apparence doit être à son tour le moment, l'ingrédient d'un développement nouveau. La dogmatique n'est donc qu'une partie de l'histoire des dogmes: elle s'en distingue en ce que le courant incessant qui constitue le fleuve de l'histoire des dogmes paraît, à la conscience subjective, s'être définitivement arrêté et qu'il a l'air de n'avoir coulé exclusivement que pour produire cette espèce de précipité définitif qu'on appelle la dogmatique d'une époque. La dogmatique, en vue de fixer son point de vue, ne peut s'empêcher de se placer dans le courant de l'histoire des dogmes. Mais si elle se plonge dans le courant, c'est en se livrant à d'incessants efforts en vue de l'arrêter, autant que possible, ou du moins pour arriver à la claire conscience de ce qu'il y a de persistant au milieu du changement, afin de dégager l'élément substantiel et permanent du sein de la conscience empirique qui varie sans cesse. Plus la dogmatique réussit à se faire une position à part, mieux elle remplit sa mission: se laisse-t-elle, au contraire, entraîner par le courant incessant de l'histoire des dogmes, elle est absorbée. Moins on admet dans une dogmatique de vérités généralement reçues, moins elle répond à sa notion. Les vérités généralement reçues faisant partie de la conscience religieuse d'une époque constituent donc la base de la dogmatique de cette époque. La mission de la dogmatique

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