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Preux chevalier et ferme catholique,

Hardi parleur, loyal et véridique,

Malgré cela pas trop mal à la cour.

EH! jour de Dieu, dit-il parlant au prince, Vous languiffez au fond d'une province, Efclave roi, par l'Amour enchaîné ! Quoi ! votre bras indignement repose! Ce front royal, ce front n'eft couronné Que de tiffus et de myrte et de rose! Et vous laiffez vos cruels ennemis Rois dans la France et fur le trône affis! Allez mourir, ou faites la conquête De vos Etats ravis par ces mutins : Le diadême est fait pour votre tête, Et les lauriers n'attendent que vos mains. Dieu dont l'efprit allume mon courage, Dieu dont ma voix annonce le langage, De fa faveur eft prêt à vous couvrir. Ofez le croire, ofez vous fecourir: Suivez du moins cette auguste amazone; C'est votre appui, c'est le soutien du trône; C'est par fon bras que le maître des rois Veut rétablir nos princes et nos lois. Jeanne avec vous chaffera la famille De cet anglais fi terrible et fi fort: Devenez homme, et fi c'eft votre fort D'être à jamais mené par une fille, Fuyez au moins celle qui vous perdit, Qui votre cœur dans fes bras amollit; Et digne enfin de ce secours étrange, Suivez les pas de celle qui vous venge. La Pucelle.

D

UN roi de France eut toujours dans le cœur (x)
Avec l'amour un très-grand fond d'honneur.
Du vieux foldat le difcours pathétique
A diffipé fon fommeil léthargique,
Ainfi qu'un ange un jour du haut des airs
De fa trompette ébranlant l'univers,
Rouvrant la tombe, animant la pouffière,
Rappellera les morts à la lumière :

Charle éveillé, Charles bouillant d'ardeur,
Ne lui répond qu'en s'écriant aux armes.
Les feuls combats à fes yeux ont des charmes.
Il prend fa pique, il brûle de fureur.

BIFNTOT après la première chaleur
De ces,transports où fon ame eft en proie,
Il voulut voir fi celle qu'on envoie
Vient de la part du Diable ou du Seigneur,
Ce qu'il doit croire, et fi ce grand prodige
Eft en effet ou miracle ou preftige.
Donc fe tournant vers la fière beauté,
Le roi lui dit, d'un ton de majefté
Qui confondrait toute autre fille qu'elle:
Jeanne, écoutez; Jeanne, êtes-vous pucelle?
Jeanne lui dit: 0 grand Sire, ordonnez
Que médecins, lunettes fur le nez,
Matrones, clercs, pédans, apothicaires,
Viennent fonder ces féminins mystères;
Et fi quelqu'un fe connaît à cela,
Qu'il trouffe Jeanne et qu'il regarde là.

A fa réponse et fage et mefurée, Le roi vit bien qu'elle était inspirée.

Or fus, dit-il, fi vous en favez tant,
Fille de bien, dites-moi dans l'inftant
Ce que j'ai fait cette nuit à ma belle;
Mais parlez net. Rien du tout, lui dit-elle.
Le roi furpris foudain s'agenouilla,
Cria tout haut miracle, et fe figna.
Incontinent la cohorte fourrée,
Bonnet en tête, Hippocrate à la main,
Vient observer le pur et noble fein
De l'amazone à leurs regards livrée : (y)
On la met nue; et monfieur le doyen,
Ayant le tout confidéré très-bien,
Deffus, deffous, expédie à la belle
En parchemin un brevet de pucelle.

L'ESPRIT tout fier de ce brevet facré,

Jeanne foudain d'un pas délibéré

Retourne au roi, devant lui s'agenouille,
Et déployant la superbe dépouille
Que fur l'Anglais elle a prife en paffant :
Permets, dit-elle, ô mon maître puissant!
Que fous tes lois la main de ta fervante
Ofe venger la France gémissante.
Je remplirai les oracles divins:
J'ofe à tes yeux jurer par mon courage,
Par cette épée et par mon pucelage,
Que tu feras huilé bientôt à Reims.
Tu chafferas les anglàifes cohortes,
Qui d'Orléans environnent les portes.
Viens accomplir tes auguftes deftins,
Viens, et de Tours abandonnant la rive,
Dès ce moment fouffre que je te fuive.

LES Courtifans autour d'elle preffés,
Les yeux au ciel et vers Jeanne adreffés,
Battent des mains, l'admirent, la fecondent.
Cent cris de joie à fon difcours répondent.
Dans cette foule il n'eft point de guerrier
Qui ne voulût lui fervir d'écuyer,
Porter fa lance et lui donner fa vie;
Il n'en eft point qui ne foit poffédé
Et de la gloire, et de la noble envie
De lui ravir ce qu'elle a tant gardé.
Prêt à partir chaque officier s'empreffe:
L'un prend congé de fa vieille maîtresse;
L'un fans argent va droit à l'ufurier;
L'autre à fon hôte, et compte fans payer.
Denis a fait déployer l'oriflamme. (z)
A cet afpect le roi Charles s'enflamme
D'un noble espoir à sa valeur égal.
Cet étendard aux ennemis fatal,
Cette héroïne, et cet âne aux deux ailes,
Tout lui promet des palmes immortelles.

DENIS voulut, en partant de ces lieux,
Des deux amans épargner les adieux.
On eût verfé des larmes trop amères,
On eût perdu des heures toujours chères.

AGNÈS dormait, quoiqu'il fût un peu tard: Elle était loin de craindre un tel départ. Un fonge heureux, dont les erreurs la frappent, Lui retraçait des plaifirs qui s'échappent. Elle croyait tenir entre fes bras

Le cher amant dont elle eft fouveraine;

Songe flatteur, tu trompais fes appas:

Son amant fuit, et faint Denis l'entraîne.
Tel dans Paris un médecin prudent
Force au régime un malade gourmand,
A l'appétit se montre inexorable,
Et fans pitié le fait fortir de table.

Le bon Denis eut à peine arraché Le roi de France à fon charmant péché, Qu'il courut vîte à fon ouaille chère, A fa pucelle, à sa fille guerrière. Il a repris fon air de bienheureux, Son ton dévot, fes plats et courts cheveux, L'anneau béni, la croffe paftorale, Ses gants, fa croix, sa mitre épiscopale: Va, lui dit-il, fers la France et ton roi; Mon œil benin fera toujours fur toi. Mais au laurier du courage héroïque, Joins le rofier de la vertu pudique. Je conduirai tes pas dans Orléans. Lorfque Talbot, le chef des mécréans, Le cœur faifi du démon de luxure, Croira tenir fa présidente impure, Il tombera fous ton robuste bras. Punis fon crime, et ne l'imite pas. Sois à jamais dévote avec courage. Je pars, adieu; pense à ton pucelage. La belle en fit un ferment folemnel; Et fon patron repartit pour le ciel.

Fin du fecond Chant.

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