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Au-lieu d'amis, Jeanne, la lance en main,

Fondait vers lui fur fon âne divin..

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CHANT X X I.

ARGUMENT.

Pudeur de Jeanne démontrée. Malice du diable. Rendezvous donné par la préfidente Louvet au grand Talbot. Services rendus par frère Lourdis. Belle conduite de la difcrète Agnès. Repentir de l'âne. Exploits de la Pucelle. Triomphe du grand roi Charles VII.

MON cher lecteur fait par expérience

Que ce beau dieu qu'on nous peint dans l'enfance,
Et dont les jeux ne font pas jeux d'enfans,

A deux carquois tout à fait différens :
L'un a des traits, dont la douce piqûre
Se fait fentir fans danger, fans douleur,
Croît par le temps, pénètre au fond du cœur,
Et vous y laiffe une vive bleffure.

Les autres traits sont un feu dévorant

Dont le coup part et brûle au même inftant.

Dans les cinq fens ils portent le ravage,

Un rouge vif allume le vifage,

D'un nouvel être on fe croit animé,
D'un nouveau fang le corps eft enflammé,
On n'entend rien; le regard étincelle.
L'eau fur le feu bouillonnant à grand bruit,
Qui fur fes bords s'élève, échappe et fuit,
N'eft qu'une image imparfaite, infidelle,
De ces défirs dont l'excès vous poursuit.

PROFANATEURS indignes de mémoire, Vous qui de Jeanne avez fouillé la gloire, Vils écrivains, qui du mensonge épris Falfifiez les plus fages écrits,

Vous prétendez que ma Pucelle Jeanne
Pour fon grifon fentit ce feu profane;

Vous imprimez qu'elle a mal combattu, (a)
Vous infultez fon fexe et fa vertu.
D'écrits honteux compilateurs infames,

Sachez qu'on doit plus de refpect aux dames;
Ne dites point que Jeanne a fuccombé :
Dans cette erreur nul favant n'est tombé,
Nul n'avança des fauffetés pareilles.
Vous confondez et les faits et les temps,
Vous corrompez les plus rares merveilles ;
Respectez l'âne et fes faits éclatans;
Vous n'avez pas fes fortunés talens,

Et vous avez de plus longues oreilles.
Si la Pucelle, en cette occafion,
Vit d'un regard de fatisfaction

Les feux nouveaux qu'inspirait sa personne,
C'eft vanité qu'à fon fexe on pardonne,
C'eft amour-propre, et non pas l'autre amour.

POUR achever de mettre en tout fon jour De Jeanne d'Arc le luftre interniffable, Pour vous prouver qu'aux malices du diable, Aux fiers transports de cet âne éloquent, Son noble cœur était inébranlable, Sachez que Jeanne avait un autre amant. C'était Dunois, comme aucun ne l'ignore; C'eft le bâtard que fon grand cœur adore.

On peut d'un âne écouter les difcours,
On peut fentir un vain défir de plaire;
Cette paffade, innocente et légère,
Ne trahit point de fidèles amours.

C'EST dans l'hiftoire une chofe avérée,
Que ce héros, ce fublime Dunois,
Etait bleffé d'une flèche dorée,
Qu'Amour tira de fon premier carquois.
Il commanda toujours à fa tendreffe ;
Son cœur altier n'admit point de faiblesse,
Il aimait trop et l'Etat et le roi,
Leur intérêt fut fa première loi.

O Jeanne! il fait que ton beau pucelage
De la victoire eft le précieux gage:
Il respectait Denis et tes appas;
Semblable au chien courageux et fidèle,
Qui réfiftant à la faim qui l'appelle,
Tient la perdrix et ne la mange pas.
Mais quand il vit que le baudet célefte
Avait parlé de sa flamme funefte,
Dunois voulut en parler à fon tour.
Il eft des temps où le fage s'oublie.

C'ETAIT, fans doute, une grande folie
Que d'immoler sa patrie à l'Amour.

C'était tout perdre ; et Jeanne encor honteuse D'avoir d'un âne écouté les propos,

Réfiftait mal à ceux de fon héros.

L'amour preffait fon ame vertueuse ;
C'en était fait, lorfque fon doux patron
Du haut du ciel détacha fon rayon ;

Ce rayon d'or, fa gloire et fa monture,
Qui transporta fa béate figure

Quand il chercha, par fes foins vigilans,
Un pucelage aux remparts d'Orléans.

Ce faint rayon frappant au sein de Jeanne,
En écarta tout fentiment profane.

Elle cria Cher bâtard, arrêtez,

Il n'est pas temps, nos amours font comptés :
Ne gâtons rien à notre deftinée;

C'eft à vous feul que ma foi s'eft donnée;
Je vous promets que vous aurez ma fleur.
Mais attendons que votre bras vengeur,
Votre vertu, fous qui le breton tremble,
Ait du pays chaffé l'ufurpateur.

Sur des lauriers nous coucherons enfemble.

A ce propos le bâtard s'adoucit;

Il écouta l'oracle et fe foumit.

Jeanne reçut fon pur et doux hommage,
Modeftement; et lui donna pour gage
Trente baisers chaftes, pleins de pudeur,
Et tels qu'un frère en reçoit de sa fœur.
Dans leurs défirs tous deux ils fe continrent,
Et de leurs faits honnêtement convinrent.

Denis les voit, Denis très-fatisfait,

De fes projets preffa le grand effet.

LE

preux Talbot devait cette nuit même Dans Orléans entrer par ftratagême ;

Exploit nouveau pour fes Anglais hautains, Tous gens fenfés, mais plus hardis. que fins.

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