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DES EDITEUR S.

CE

E poëme eft un des ouvrages de M. de Voltaire qui ont excité en même temps et le plus d'enthousiasme et les déclamations les plus violentes. Le jour où M. de Voltaire fut couronné au théâtre, les fpectateurs qui l'accompagnèrent en foule jufqu'à fa maison, criaient également autour de lui: Vive la Henriade, vive Mahomet, vive la Pucelle. Nous croyons donc qu'il ne fera pas inutile d'entrer dans quelques détails hiftoriques fur ce poëme.

Il fut commencé vers l'an 1730: et jusqu'à l'époque où M. de Voltaire vint s'établir aux environs de Genève, il ne fut connu que des amis de l'auteur qui avaient des copies de quelques chants, et des fociétés où Thiriot en récitait des morceaux détachés.

Vers la fin de l'année 1755, il en parut une édition imprimée, que M. de Voltaire se hâta de défavouer, et il en avait le droit. Non-feulement cette édition avait été faite fur un manufcrit volé à l'auteur ou à fes amis, mais elle contenait un

grand nombre de vers que M. de Voltaire n'avait point faits, et quelques autres qu'il ne pouvait pas laiffer fubfifter, parce que les circonftances. auxquelles ces vers fefaient allufion étaient changées : nous en donnerons plufieurs preuves dans les notes qui font jointes au poëme. La morale permet à un auteur de défavouer les brouillons d'un ouvrage qu'on lui vole, et qu'on publie dans l'intention de le perdre.

On attribue cette édition à la Beaumelle, et au capucin Maubert, réfugié en Hollande. Cette entreprise devait leur rapporter de l'argent, et compromettre M. de Voltaire. Ils y trouvaient

Leur bien premièrement, et puis le mal d'autrui.

Un libraire, nommé Graffet, eut même l'impudence de proposer à M. de Voltaire de lui payer un de ces manufcrits volés, en le menaçant des dangers auxquels il s'exposerait s'il ne l'achetait pas; et le célèbre anatomiste - poëte Haller, zélé proteftant, protégea Graffet contre M. de Voltaire.

Nous voyons, par la lettre de l'auteur à l'académie française, que nous avons jointe à la préface, que cette première édition fut faite

à Francfort fous le titre de Louvain. Il en peu de temps après deux éditions femblables en Hollande.

parut fort

Les premiers éditeurs, irrités du défaveu de M. de Voltaire, configné dans les papiers publics, réimprimèrent la Pucelle, en 1756, y joignirent le défaveu pour s'en moquer, et plufieurs pièces fatiriques contre l'auteur. En fe décelant ainfi eux-mêmes, ils empêchèrent une grande partie du mal qu'ils voulaient lui faire.

En 1757, il parut à Londres une autre édition de ce poëme, conforme aux premières, et ornée de gravures d'auffi bon goût que les vers des éditeurs : les réimpreffions fe fuccédèrent rapidement ; et la Pucelle fut imprimée à Paris, pour la première fois, en 1759.

Ce fut en 1762 feulement que M. de Voltaire publia une édition de fon ouvrage, très-différente de toutes les autres. Ce poëme fut réimprimé, en 1774, dans l'édition in-4°, avec quelques changemens et des additions affez confidérables. C'est d'après cette dernière édition, revue et corrigée encore fur d'anciens manufcrits, que nous donnons ici la Pucelle. La Pucelle. A 3*

Plufieurs entrepreneurs de librairie, en imprimant ce poëme, ont eu foin de rassembler les variantes; ce qui nous a obligés de prendre le même parti dans cette édition. Cependant, comme parmi ces variantes il en eft quelquesunes qu'il eft impoffible de regretter, qui ne peuvent appartenir à M. de Voltaire, et qui ont été ajoutées par les éditeurs pour remplir les lacunes des morceaux que l'auteur n'avait pas achevés, nous avons cru pouvoir les fupprimer, du moins en partie.

L'impoffibilité d'anéantir ce qui a été imprimé tant de fois, et la néceffité de prouver aux lecteurs les interpolations des premiers éditeurs, font les feuls motifs qui nous aient engagés à conferver un certain nombre de ces variantes.

Il nous refte maintenant à défendre la Pucelle contre les hommes graves qui pardonnent beaucoup moins à M. de Voltaire d'avoir ri aux dépens de Jeanne d'Arc, qu'à Jean Cauchon, évêque de Beauvais, de l'avoir fait brûler vive.

Il nous paraît qu'il n'y a que deux espèces d'ouvrages qui puiffent nuire aux mœurs :

fe

1o. ceux où l'on établirait que les hommes peuvent se permettre fans fcrupule et fans honte les crimes relatifs aux mœurs, tels que le viol, le rapt, l'adultère, la féduction, ou des actions honteuses et dégoûtantes qui, fans être des crimes, aviliffent ceux qui les commettent; 2o. les ouvrages où l'on détaille certains rafinemens de débauche, certaines bizarreries des imaginations libertines.

Ces ouvrages peuvent être pernicieux, parce qu'il eft à craindre qu'ils ne rendent les jeunes gens, qui les lifent avec avidité, infenfibles aux plaisirs honnêtes, à la douce et pure volupté qui naît de la nature.

Or il n'y a rien dans la Pucelle qui puisse mériter aucun de ces reproches. Les peintures voluptueufes des amours d'Agnès et de Dorothée peuvent amufer l'imagination, et non la corrompre. Les plaifanteries plus libres dont l'ouvrage eft femé ne font ni l'apologie des actions qu'elles peignent, ni une peinture de ces actions, propre à égarer l'imagination.

Ce poëme eft un ouvrage deftiné à donner des leçons de raison et de fageffe, fous le voile de la volupté et de la folie. L'auteur peut y

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