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Amours honnêtes de Charles VII, et d'Agnès Sorel. Siége d'Orléans par les Anglais. Apparition de St Denis, &c.

JE

E ne fuis né pour célébrer les faints: (a)
Ma voix eft faible, et même un peu profane.

Il faut pourtant vous chanter cette Jeanne
Qui fit, dit-on, des prodiges divins.
Elle affermit, de fes pucelles mains,
Des fleurs de lis la tige gallicane,
Sauva fon roi de la rage anglicane,
Et le fit oindre au maître-autel de Reims.
Jeanne montra fous féminin vifage,
Sous le corfet et fous le cotillon,
D'un vrai Roland le vigoureux courage.
J'aimerais mieux, le foir, pour mon usage,
Une beauté douce comme un mouton ;
Mais Jeanne d'Arc eut un cœur de lion :
Vous le verrez, fi lifez cet ouvrage.
Vous tremblerez de fes exploits nouveaux;
Et le plus grand de ses rares travaux
Fut de garder un an fon pucelage.

O Chapelain, (b) toi dont le violon
De difcordante et gothique mémoire,
Sous un archet maudit par Apollon,
D'un ton fi dur a raclé fon hiftoire;
Vieux Chapelain, pour l'honneur de ton art,
Tu voudrais bien me prêter ton génie:

Je n'en veux point; c'eft pour la Motte-Houdart, (c)
Quand l'Iliade eft par lui traveftie. (d)

LE bon roi Charle, au printemps de fes jours,
Au temps de pâque, en la cité de Tours,
A certain bal (ce prince aimait la danse)
Avait trouvé, pour le bien de la France,
Une beauté nommée Agnès Sorel. (e)
Jamais l'Amour ne forma rien de tel.
Imaginez de Flore la jeuneffe,

La taille et l'air de la nymphe des bois,
Et de Vénus la grâce enchantereffe,

Et de l'Amour le féduifant minois,

L'art d'Arachné, le doux chant des firènes :
Elle avait tout; elle aurait dans fes chaînes
Mis les héros, les fages et les rois.

La voir, l'aimer, fentir l'ardeur naiffante
Des doux défirs, et leur chaleur brûlante,
Lorgner Agnès, foupirer et trembler,
Perdre la voix en voulant lui parler,
Preffer fes mains d'une main careffante,
Laiffer briller fa flamme impatiente,
Montrer fon trouble, en caufer à fon tour,
Lui plaire enfin, fut l'affaire d'un jour.
Princes et rois vont très-vîte en amour.
Agnès voulut, favante en l'art de plaire,

Couvrir le tout des voiles du mystère,
Voiles de gaze, et que les cqurtifans
Percent toujours de leurs yeux malfefans.

POUR colorer comme on put cette affaire, Le roi fit choix du conseiller Bonneau, (f) Confident sûr et très-bon Tourangeau : Il eut l'emploi qui certes n'eft pas mince, Et qu'à la cour, où tout fe peint en beau, Nous appelons être l'ami du prince, Et qu'à la ville, et fur-tout en province, Les gens groffiers ont nommé maquereau. Monfieur Bonneau, fur le bord de la Loire, Etait feigneur d'un fort joli château. Agnès un foir s'y rendit en bateau, Et le roi Charle y vint à la nuit noire. On y foupa; Bonneau fervit à boire; Tout fut fans fafte, et non pas fans apprêts. Feftins des Dieux, vous n'êtes rien auprès ! Nos deux amans, pleins de trouble et de joie, Ivres d'amour, à leurs désirs en proie, Se renvoyaient des regards enchanteurs, De leurs plaisirs brûlans avant-coureurs. Les doux propos, libres fans indécence, Aiguillonnaient leur vive impatience. Le prince en feu des yeux la dévorait; Contes d'amour d'un air tendre il fefait, Et du genou le genou lui ferrait.

LE fouper fait, on eut une musique Italienne, en genre chromatique; (g) mêla trois différentes voix

On

y

Aux violons, aux flûtes, aux haut-bois.
Elles chantaient l'allégorique hiftoire
De ces héros qu'Amour avait domptés,
Et qui, pour plaire à de tendres beautés,
Avaient quitté les fureurs de la gloire.
Dans un réduit cette mufique était
Près de la chambre où le bon roi soupait.
La belle Agnès, difcrète et retenue,
Entendait tout, et d'aucuns n'était vue.

DEJA la lune eft au haut de son cours :
Voilà minuit; c'eft l'heure des amours.
Dans une alcove artiftement dorée,
Point trop obfcure, et point trop éclairée,
Entre deux draps que la Frife a tissus,
D'Agnès Sorel les charmes font reçus.
Près de l'alcove une porte eft ouverte,
Que dame Alix, fuivante très-experte,
En s'en allant oublia de fermer.

O vous, amans, vous qui favez aimer,
Vous voyez bien l'extrême impatience
Dont pétillait notre bon roi de France!
Sur fes cheveux, en treffe retenus,
Parfums exquis font déjà répandus.
Il vient, il entre au lit de fa maîtresse ;
Moment divin de joie et de tendreffe;
Le cœur leur bat; l'amour et la pudeur
Au front d'Agnès font monter la rougeur.
La pudeur paffe, et l'amour feul demeure.
Son tendre amant l'embraffe tout à l'heure.
Ses yeux ardens, éblouis, enchantés,
Avidement parcourent fes beautés.

Qui n'en ferait en effet idolâtre?

Sous un cou blanc qui fait honte à l'albâtre, Sont deux tetons féparés, faits au tour, Allans, venans, arrondis par l'Amour; Leur boutonnet a la couleur des rofes. Teton charmant, qui jamais ne reposes, Vous invitiez les mains à vous preffer, L'œil à vous voir, la bouche à vous baiser. Pour mes lecteurs tout plein de complaisance, J'allais montrer à leurs yeux ébaudis De ce beau corps les contours arrondis; Mais la vertu qu'on nomme bienséance Vient arrêter mes pinceaux trop hardis. (h) Tout eft beauté, tout eft charme dans elle. La volupté, dont Agnès a fa part, Lui donne encore une grâce nouvelle ; Elle l'anime: amour eft un grand fard,

Et le plaifir embellit toute belle.

TROIS mois entiers nos deux jeunes amans Furent livrés à ces raviffemens.

Du lit d'amour ils vont droit à la table.
Un déjeûner, reftaurant délectable,
Rend à leurs fens leur première vigueur;
Puis pour la chasse épris de même ardeur,
Ils vont tous deux fur des chevaux d'Espagne
Suivre cent chiens japans dans la campagne.
A leur retour on les conduit aux bains.
Pâtes, parfums, odeurs de l'Arabie,
Qui font la peau douce, fraîche et polie,
Sont prodigués fur eux à pleines mains

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