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Morgante demande à Margutte s'il eft chrétien

ou mahométan.

Efe egli crede in Crifto o in Maometto.
Rifpofe allor Margutte, per dir tel' tofto:
Io non credo più al nero che al azzurro;
Ma nel cappone o leffo o voglia arrofto,

Ma fopra tutto nel buon vino ho fede

Or quefte fon' trè virtù cardinale,

La gola, il dado, el' culo come io t'o detto.

Vous remarquerez, s'il vous plaît, que le Crefcembeni, qui ne fait nulle difficulté de ranger le Pulci parmi les vrais poëmes épiques, dit, pour l'excufer, qu'il était l'écrivain de fon temps le plus modefte et le plus mefuré ; il più modello e moderato fcrittore. Le fait eft qu'il fut le précurfeur du Boyardo et de l'Ariofte. C'eft par lui que les Roland, les Renaud, les Olivier, les Dudon furent célèbres en Italie, et il eft prefque égal à l'Ariofte pour la pureté de la langue.

On en a fait depuis peu une très-belle édition coľ licenza di fuperiori. Ce n'est pas moi affurément qui l'ai faite; et fi notre Pucelle parlait auffi imprudemment que ce Margutte, fils d'un prêtre turc et d'une religieuse grecque, je me garderais bien de l'imprimer.

On ne trouvera pas non plus dans Jeanne les mêmes témérités que dans l'Ariofte; on n'y verra point un St Jean qui habite dans la lune, et qui dit :

Gli fcrittori amo, e fo il debito mio,

Che al voftro mondo fu fcrittore anche io;
E ben convenne al mio lodato Cristo
Rendermi guiderdon d'un fi gran forte, &c.

Cela eft gaillard; et St Jean prend-là une licence qu'aucun faint de la Pucelle ne prendra jamais. Il femble que Jefus ne doive fa divinité qu'au premier chapitre de St Jean, et que cet évangélifte l'ait flatté. Ce difcours fent un peu fon focinien. Notre auteur discret n'a garde de tomber dans un tel excès.

C'est encore pour nous un grand fujet d'édification, que notre modeste auteur n'ait imité aucun de nos anciens romans, dont le favant Huet, évêque d'Avranches, et le compilateur l'abbé Langlet ont fait l'histoire. Qu'on se donne feulement le plaifir de lire Lancelot du Lac, au chapitre ci- intitulé: Comment Lancelot coucha avec la royne, et comment le fire de Lagant la reprint ; on verra quelle eft la pudeur de notre auteur, en comparaison de nos auteurs antiques.

Mais quid dicam de l'hiftoire merveilleuse de Gargantua, dédiée au cardinal de Tournon?

On fait que le chapitre des Torches-cul eft un des plus modeftes de l'ouvrage.

Nous ne parlons point ici des modernes ; nous dirons feulement que tous les vieux contes imaginés en Italie, et mis en vers par la Fontaine, font encore moins moraux que notre Pucelle. Au refte, nous fouhaitons à tous nos graves cenfeurs les fentimens délicats du beau Monrofe; à nos prudes, s'il y en a, la naïveté d'Agnès, et la tendreffe de Dorothée; à nos guerriers, le bras de la robuste Jeanne ; à tous les jéfuites, le caractère du bon confeffeur Bonifoux ; à tous ceux qui tiennent une bonne maison, les attentions et le favoir-faire de Bonneau.

Nous croyons d'ailleurs ce petit livre un remède excellent contre les vapeurs qui affligent en ce temps-ci plufieurs dames et plufieurs abbés ; et quand nous n'aurions rendu que ce service au public, nous croirions n'avoir pas perdu notre temps.

La pudeur paffe et l'amour feul demeure,

Son fendre Amant l'embraffe tout à l'heure.

Chant 12

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