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Le lendemain le bâtard généreux

Vint près du lit du beau couple amoureux: Je fens, dit-il, que je fuis inutile

Aux doux plaifirs que vous goûtez tous deux : Il me convient de fortir de la ville;

Jeanne et mon roi me rappellent près d'eux;
Il faut les joindre, et je fens trop que Jeanne
Doit regretter la perte de fon âne.

Le grand Denis, le patron de nos lois,
M'a cette nuit préfenté fa figure:

J'ai vu Denis tout comme je vous vois ;
Il me prêta fa divine monture,

Pour fecourir les dames et les rois :
Denis m'enjoint de revoir ma patrie.
Grâces au ciel, Dorothée eft fervie,
Je dois fervir Charles fept à fon tour.
Goûtez les fruits de votre tendre amour:
A mon bon roi je vais donner ma vie ;
Le temps me presse, et mon âne m'attend,

SUR mon cheval je vous fuis à l'inftant,
Lui répliqua l'aimable la Trimouille.
La belle dit: C'eft auffi mon projet ;
Un défir vif dès long-temps me chatouille

De contempler la cour de Charles fept,
Sa cour fi belle, en héros fi féconde,
Sa tendre Agnès, qui gouverne fọn cœur,
Sa fière Jeanne, en qui valeur abonde.
Mon cher amant, mon cher libérateur,
Me conduiraient jufques au bout du monde.
Mais fur le point d'être cuite en ce lieu,
En récitant ma prière fecrète,

Je fis tout bas à la Vierge un beau vœu
De vifiter fa maifon de Lorette,

S'il lui plaifait de me tirer du feu.
Tout auffitôt la mère du bon DIEU
Vous députa fur votre âne célefte;
Vous me fauvez de ce bûcher funefte;
Je vis par vous; mon vœu doit se tenir,
Sans quoi la Vierge a droit de me punir.

VOTRE difcours eft très-jufte et très-fage,
Dit la Trimouille; et ce pélerinage
Eft à mes yeux un devoir bien facré :
Vous permettrez que je fois du voyage.
J'aime Lorette, et je vous conduirai.
Allez, Dunois, par la plaine étoilée,
Fendez les airs, volez aux champs de Blois ;
Nous vous joindrons avant qu'il foit un mois.
Et vous, Madame, à Lorette appelée,
Venez remplir votre vœu fi pieux;

Moi j'en fais un digne de vos beaux yeux:
C'eft de prouver à toute heure, en tous lieux,
A tout venant, par l'épée et la lance,
Que vous devez avoir la préférence
Sur toute fille ou femme de renom,
Que nulle n'eft et fi fage et fi belle.
Elle rougit. Cependant le grifon
Frappe du pied, s'élève fur fon aile,
Plane dans l'air, et laissant l'horizon,
Porte Dunois vers les fources du Rhône.

LE Poitevin prend le chemin d'Ancône (c) Avec fa dame, un bourdon dans la main,

Portant tous deux chapeau de pélerin,
Bien relevé de coquilles bénies.

A leur ceinture un rofaire pendait

De beaux grains d'or, et de perles unies:

Le paladin souvent le récitait,
Difait Ave: la belle répondait

Par des foupirs, et par des litanies
Et je vous aime était le doux refrain
Des oremus qu'ils chantaient en chemin.
Ils vont à Parme, à Plaisance, à Modène,
Dans Urbino, dans la tour de Célène,
Toujours logés dans de très-beaux châteaux
De princes, ducs, comtes et cardinaux.
Le paladin eut par-tout l'avantage
De foutenir que dans le monde entier
Il n'eft beauté plus aimable et plus fage
Que Dorothée ; et nul n'ofa nier
Ce qu'avançait un fi grand personnage ;
Tant les feigneurs de tout ce beau canton
Avaient d'égards et de difcrétion.

ENFIN portés fur les bords du Musône,
Près Ricanate en la Marche d'Ancône,
Les pélerins virent briller de loin

Cette maifon de la fainte Madône,

Ces murs divins de qui le ciel prend foin;
Murs convoités des avides corfaires,

Et qu'autrefois des anges tutélaires

Firent voler dans les plaines des airs,
Comme un vaiffeau qui fend le fein des mers.
A Loretto les anges s'arrêtèrent; (d)

Les murs facrés d'eux-mêmes fe fondèrent;

Et ce que l'art a de plus précieux,

De plus brillant, de plus induftrieux,
Fut employé depuis par les faints pères,
Maîtres du monde, et du ciel grands-vicaires,
A l'ornement de ces auguftes lieux.

Les deux amans de cheval descendirent,

D'un cœur contrit à deux genoux fe mirent:
Puis chacun d'eux, pour accomplir fon vou,
Offrit des dons pleins de magnificence,
Tous acceptés avec reconnaiffance
Par la Madône, et les moines du lieu.

Au cabaret les deux amans dînèrent;
Et ce fut là qu'à table ils rencontrèrent
Un brave Anglais, fier, dur, et fans fouci,
Qui venait voir la fainte Vierge auffi
Par paffe-temps, fe moquant dans fon ame
Et de Lorette et de fa Notre-Dame:
Parfait Anglais, voyageant fans deffein,
Achetant cher de modernes antiques,
Regardant tout avec un air hautain,
Et méprifant les faints et leurs reliques.
De tout Français c'eft l'ennemi mortel,
Et fon nom eft Chriftophe d'Arondel.
Il parcourait triftement l'Italie;
Et se sentant fort fujet à l'ennui,
Il amenait fa maîtreffe avec lui.

Plus dédaigneufe encor, plus impolie,
Parlant fort mais belle, faite au tour,
Douce la nuit, infolente le jour,

peu,

A table, au lit, par caprice emportée,

Et le contraire en tout de Dorothée.

LE

Le beau baron, du Poitou l'ornement,

Lui fit d'abord un petit compliment,

Sans recevoir aucune repartie.

Puis il parla de la Vierge Marie;

Puis il conta comme il avait promis,

Chez les Lombards, à monsieur faint Denis,
De foutenir en tout lieu la fageffe,

Et la beauté de fa chère maîtresse.

Je crois, dit-il au dédaigneux Breton,

Que votre dame eft noble, et d'un grand nom,
Qu'elle eft fur-tout auffi fage que belle:
Je crois encor, quoiqu'elle n'ait rien dit,
Que dans le fond elle a beaucoup d'esprit;
Mais Dorothée eft fort au-deffus d'elle;
Vous l'avoûrez: on peut fans l'abaiffer
Au fecond rang dignement la placer.

LE fier Anglais, à ce difcours honnête,
Le regarda des pieds jufqu'à la tête :
Pardieu, dit-il, il m'importe fort peu
Que vous ayez à Denis fait un vœu ;

Et

peu me chaut

que votre damoiselle

Soit fage ou folle, et foit ou laide ou belle.
Chacun fe doit contenter de fon bien
Tout uniment, fans fe vanter de rien.
Mais puifqu'ici vous avez l'impudence
D'ofer prétendre à quelque préférence
Sur un Anglais, je vous enfeignerai
Votre devoir, et je vous prouverai
Que tout Anglais en affaires pareilles
A tout Français donne fur les oreilles ;
Que ma maîtreffe en figure, en couleur,
La Pucelle.

L

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