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DE

DOM APULEIUS RISORIUS,

BENEDICTIN.

REMERCIONS la bonne ame par laquelle une Pucelle nous eft venue. Ce poëme héroïque et moral fut compofé vers l'an 1730, comme les doctes le favent, et comme il appert par plufieurs traits de cet ouvrage. Nous voyons dans une lettre de 1740, imprimée dans le recueil des opufcules d'un grand prince, fous le nom du Philofophe de Sans-fouci, qu'une princeffe d'Allemagne, à laquelle on avait prêté le manufcrit, feulement pour le lire, fut fi édifiée de la circonfpection qui règne dans un sujet fi fcabreux, qu'elle paffa un jour et une nuit à le faire copier, et à transcrire elle-même tous les endroits les plus moraux. C'est cette même copie qui nous eft enfin parvenue. On a fouvent imprimé des lambeaux de notre Pucelle, et les vrais amateurs de la faine littérature ont été bien fcandalisés de la voir fi horriblement

défigurée. (2) Des éditeurs l'ont donnée en quinze chants, d'autres en feize, d'autres en

(2) Lorfque ces éditions parurent, M. de Voltaire crut devoir les défavouer par une lettre adreffée à l'académie française. Nous plaçons ici cette lettre et la réponse de M. Duclos, alors fecrétaire de l'académie.

MESSIEURS,

Je crois qu'il n'appartient qu'à ceux qui font, comme vous, à la tête de la littérature, d'adoucir les nouveaux défagrémens auxquels les gens de lettres font expofés depuis quelques années. Lorsqu'on donne une pièce de théâtre à Paris, fi elle a un peu de fuccès, on la tranfcrit d'abord aux repréfentations, et on l'imprime fouvent pleine de fautes. Des curieux font-ils en poffeffion de quelques fragmens d'un ouvrage, on fe hâte d'ajufter ces fragmens comme on peut; on remplit les vides au hafard; et on donne hardiment, fous le nom de l'auteur, un livre qui n'eft pas le fien. C'est à la fois le voler et le défigurer. C'eft ainfi qu'on s'avifa d'imprimer fous mon nom, il y a deux ans, fous le titre ridicule d'Hiftoire univerfelle, deux petits volumes fans fuite et fans ordre, qui ne contiendraient pas l'hiftoire d'une ville, et où chaque date était une erreur : quand on ne peut imprimer l'ouvrage dont on eft en poffeffion, on le vend en manufcrit ; et j'apprends qu'à présent on débite de cette manière quelques fragmens informes et falfifiés des mémoires que j'avais amaffés dans les archives publiques, fur la guerre de 1741. On en ufe encore ainfi à l'égard d'une plaifanterie faite, il y a plus de trente ans, fur le même fujet qui rendit Chapelain si fameux. Les copies manufcrites qu'on m'en a envoyées de Paris font de telle nature qu'un homme qui a l'honneur d'être votre confrère, qui fait un peu fa langue, et qui a puifé quelque goût dans votre fociété et dans vos écrits, ne fera jamais foupçonné d'avoir compofé cet ouvrage tel qu'on le débite. On vient de l'imprimer d'une manière non moins ridicule et non moins révoltante. Ce poëme a été d'abord imprimé à Francfort, quoiqu'il foit annoncé de Louvain; et l'on vient d'en donner en Hollande deux éditions qui ne font pas plus exactes que la première.

Cet abus de nous attribuer des ouvrages que nous n'avons pas faits, de falfifier ceux que nous avons faits, et de vendre ainfi notre

le cocher

dix-huit, d'autres en vingt-quatre, tantôt en coupant un chant en deux, tantôt en rempliffant des lacunes par des vers que de Vertamont, fortant du cabaret pour bonne fortune, aurait défavoués. (a)

aller en

nom, ne peut être détruit que par le décri dans lequel ces œuvres de ténèbres doivent tomber. C'est à vous, Meffieurs, et aux académies formées fur votre modèle, dont j'ai l'honneur d'être affocié, que je dois m'adreffer: lorfque des hommes comme vous élèvent leur voix pour réprouver tous ces ouvrages que l'ignorance et l'avídité débitent, le public que vous éclairez eft bientôt désabusé. Je fuis avec beaucoup de refpect, &c.

Réponse de l'académie.

"L'académie eft très-fenfible aux chagrins que vous caufent les éditions furtives et défigurées dont vous vous plaignez : c'est un malheur attaché à la célébrité. Ce qui doit vous confoler, Monfieur, c'est de favoir que les lecteurs capables de fentir le mérite de vos écrits ne vous attribueront jamais les ouvrages que l'ignorance et la malice vous imputent, et que tous les honnêtes gens partagent votre peine. En vous rendant compte des fentimens de l'académie, je vous prie d'être perfuadé, &c. Signé DUCLOs, fecrétaire. "

Ce fut peu de temps après la date de ces lettres que parut une nouvelle édition de la Pucelle, où l'on eut soin de les inférer, avec un avertiffement et d'autres pièces fatiriques contre M. de Voltaire ; on peut conclure de là que ces premiers éditeurs étaient fes ennemis, ou des hommes vils qui, pour tirer quelque argent d'un libraire, violaient un dépôt, et le falfifiaient en compromettant la fureté d'un grand homme. On a accufé de cette infamie la Beaumelle et Maubert.

(a) Dans les dernières éditions que des barbares ont faites de ce poëme, le lecteur eft indigné de voir une multitude de vers tels que ceux-ci :

Chandos fuant et soufflant comme un bœuf,

Tâte du doigt fi l'autre eft une fille.

Au diable foit, dit-il, la fotte aiguille,

Voici donc Jeanne dans toute fa pureté. Nous craignons de faire un jugement téméraire en nommant l'auteur à qui on attribue ce poëme épique. Il fuffit que les lecteurs puiffent tirer quelque inftruction de la morale cachée fous les allégories du poëme. Qu'importe de connaître l'auteur ? il y a beaucoup d'ouvrages que les doctes et les fages lifent avec délices, fans favoir qui les a faits, comme le Pervigilium Veneris, la fatire fous le nom de Pétrone, et tant d'autres.

Ce qui nous confole beaucoup, c'est qu'on trouvera dans notre Pucelle bien moins de chofes hardies et libres, que dans tous les grands hommes d'Italie qui ont écrit dans ce goût.

Verùm enim verò, à commencer par le Pulci, nous ferions bien fâchés que notre discret auteur eût approché des petites libertés que

Bientôt le diable emporte l'étui neuf.

Il veut encor fecouer fa guenille,

Chacun avait fon trot et son allure.

On y dit de St Louis :

Qu'il eût mieux fait, certes le pauvre fire,
De fe gaudir avec sa Margoton,

Onc ne tâta de bifque, d'ortolans, &c.

On y trouve Calvin du temps de Charles VII; tout eft défiguré, tout eft gâté par des abfurdités fans nombre: c'est un capucin défroqué, lequel a pris le nom de Maubert, qui eft l'auteur de cette infamie faite uniquement pour la canaille.

prend

prend ce docteur florentin dans fon Morgante. Ce Luigi Pulci, qui était un grave chanoine, compofa fon poëme au milieu du quinzième fiècle, pour la Signora Lucrezia Tuornaboni, mère de Laurent de Médicis, le magnifique ; et il eft rapporté qu'on chantait le Morgante à la table de cette dame. C'est le second poëme épique qu'ait eu l'Italie. Il y a eu de grandes disputes parmi les favans, pour savoir si c'est un ouvrage férieux ou plaifant.

Ceux qui l'ont cru férieux fe fondent fur l'exorde de chaque chant, qui commence par des verfets de l'Ecriture. Voici, par exemple, l'exorde du premier chant :

In principio era il verbo appresso a Dio;
Ed era Iddio il verbo, e el' verbo lui.
Quefto era il principio al parer mio, &c.

Si le premier chant commence par l'évangile, le dernier finit par le Salve, Regina; et cela peut justifier l'opinion de ceux qui ont cru que l'auteur avait écrit très-férieusement, puisque dans ces temps-là, les pièces de théâtre qu'on jouait en Italie étaient tirées de la paffion et des actes des faints.

Ceux qui ont regardé le Morgante comme un ouvrage badin n'ont confidéré que quelques hardieffes trop fortes, auxquelles il s'abandonne. La Pucelle.

B

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