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defcendirent du ciel empyrée pour guérir cet évêque Etienne de la fièvre dans le monaftère de Saint-Denis. Il ne la croit pas plus avérée que la lettre écrite et fignée dans le ciel par St Paul et St Pierre au même Pepin d'Auftrafie, ou que toutes ces légendes de ces temps fauvages.

Quand même cette donation de l'exarchat de Ravenne eût été réellement faite, elle n'aurait pas plus de validité que la conceffion d'une île par Dom-Quichotte à fon écuyer SanchoPança.

Pepin, majordome du jeune Childéric roi des Francs, n'était qu'un domestique rebelle devenu ufurpateur. Non-feulement il détrôna fon maître par la force et par l'artifice, mais il l'enferma dans un repaire de moines, et l'y laiffa périr de misère. Ayant chaffé fes deux frères qui partageaient avec lui une autorité ufurpée; ayant forcé l'un de se retirer chez le duc d'Aquitaine, l'autre à se tondre et à s'enfevelir dans l'abbaye du mont Caffin; devenu enfin maître abfolu, il fe fit facrer roi des Francs, à la manière des rois lombards par St Boniface évêque de Maïence : étrange cérémonie pour un faint, que celle de couronner et de confacrer la rébellion, l'ingratitude, l'ufurpation, la violation des lois divines et humaines, et de celles de la nature ! Mélanges hift. Tome I. *G

De quel droit cet auftrafien aurait-il pu donner la province de Ravenne et la Pentapole à un évêque de Rome? elles appartenaient, ainfi que Rome, à l'empereur grec. Les Lombards s'étaient emparés de l'exarchat; jamais aucun évêque jufqu'à ce temps n'avait prétendu à aucune fouveraineté. Cette prétention aurait révolté tous les efprits, car toute nouveauté les révolte; et une telle ambition dans un pafleur de l'Eglife eft fi authentiquement profcrite dans l'évangile, qu'on ne pouvait introduire qu'avec le temps et par degrés ce mélange de la grandeur temporelle et de la fpirituelle, ignoré dans toute la chrétienté pendant huit fiècles.

Les Lombards s'étaient rendus maîtres de tout le pays depuis Ravenne jufqu'aux portes de Rome. Leur roi Aftulphe prétendait qu'après s'être emparé de l'exarchat de Ravenne, Rome lui appartenait de droit, parce que Rome depuis long-temps était gouvernée par l'exarque impérial; prétention auffi injufte que celle du pape aurait pu l'être.

Rome était régie alors par un duc et par le fénat, au nom de l'empereur Conftantin, flétri dans la communion romaine par le furnom de Copronyme. L'évêque avait un très-grand crédit dans la ville par sa place et par ses richesses; crédit que l'habileté peut augmenter jufqu'à le

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convertir en autorité. Il eft député de ses diocéfains auprès du nouveau roi Pepin pour demander fa protection contre les Lombards.. Les Francs avaient déjà fait plus d'une irruption en Italie. Ce pays qui avait été l'objet des courfes des Gaulois avait fouvent tenté les Francs leurs vainqueurs incorporés à eux. Ce prélat fut très-bien reçu. Pepin croyait avoir besoin de lui pour affirmer fon autorité combattue par le duc d'Aquitaine, par fon propre frère, par les Bavarois et par les Lendes, Francs encore attachés à la maifon détrônée. Il se fit donc facrer une feconde fois par ce pape, ne doutant pas que l'onction reçue du premier évêque d'Occident n'eût une influence fur les peuples, bien fupérieure à celle d'un nouvel évêque d'un pays barbare. Mais s'il avait donné alors l'exarchat de Ravenne à Etienne III, il aurait donné un pays qui ne lui appartenait point, qui n'était pas en fon pouvoir, et fur lequel il n'avait aucun droit.

Il fe rendit médiateur entre l'empereur et le roi lombard; donc il eft évident qu'il n'avait alors aucune prétention fur la province de Ravenne. Aftolphe refuse la médiation, et vient braver le princé franc dans le Milanais; bientôt obligé de fe retirer dans Pavie, il y passe, dit-on, une tranfaction par laquelle il

mettra en féqueftre l'exarchat entre les mains de Pepin pour le rendre à l'empereur. Donc, encore une fois, Pepin ne pouvait s'approprier, ni donner à d'autres cette province. Le lombard s'engageait encore à rendre au Saint-Père quelques châteaux, quelques domaines autour de Rome, nommés alors les juftices de SaintPierre, concédés à fes prédéceffeurs par les empereurs leurs maîtres.

A peine Pepin eft-il parti, après avoir pillé le Milanais et le Piémont, que le roi lombard vient le venger des Romains qui avaient appelé les Francs en Italie. Il met le fiége devant Rome: Pepin accourt une feconde fois; il fe fait donner beaucoup d'argent, comme dans sa première invafion; il impofe même au lombard un tribut annuel de douze mille écus d'or.

Mais quelle donation pouvait-il faire? Si Pepin avait été mis en poffeffion de l'exarchat, comme féqueftre, comment pouvait-il le donner au pape, en reconnaissant lui-même par un traité folemnel que c'était le domaine de l'empereur? quel chaos et quelles contradictions!

CHAPITRE X X I.

Autres difficultés fur la donation de Pepin aux papes.

ON écrivait alors l'hiftoire avec fi peu d'exactitude, on corrompait les manuscrits avec tant de hardieffe, que nous trouvons dans la vie de Charlemagne, faite par Eginhard fon fecrétaire, ces propres mots : Pepin fut reconnu roi par l'ordre du pape, juffu fummi pontificis. De deux chofes l'une; ou l'on a falfifié le manufcrit d'Eginhard, ou cet Eginhard a dit un infigne mensonge. Aucun pape jufqu'alors ne s'était arrogé le droit de donner une ville, un village, un château; aurait-il commencé tout d'un coup par donner le royaume de France? cette donation ferait encore plus extraordinaire que celle d'une province entière qu'on prétend que Pepin donna au pape. Ils auraient l'un après l'autre fait des préfents de ce qui ne leur appartenait point du tout. L'auteur italien qui écrivit en 1722, pour faire croire qu'originairement Parme et Plaifance avaient été concédées au Saint-Siége comme une dépen-' dance de l'exarchat, ne doute pas que ces empereurs grecs ne fussent justement dépouillés

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