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ait eu cette imprudence: mais on en dit autant de Domitien, on en dit autant de Commode; la chose devient alors ridicule et indigne de toute croyance.

Tout ce qu'on raconte de ce Commode est bien fingulier. Comment imaginer que lorfqu'un citoyen romain voulait se défaire d'un ennemi, il donnait de l'argent à l'empereur qui fe chargeait de l'affaffinat pour le prix convenu? Comment croire que Commode, ayant fe vu passer un homme extrêmement gros, donna le plaifir de lui faire ouvrir le ventre, pour lui rendre la taille plus légère?

il

Il faut être imbécille pour croire d'Héliogabale tout ce que raconte Lampride. Selon lui, cet empereur se fait circoncire pour avoir plus fe de plaifir avec les femmes ; quelle pitié! ensuite il se fait châtrer, pour en avoir davantage avec les hommes. Il tue, pille, il maffacre, il empoisonne. Qui était cet Héliogabale? un enfant de treize à quatorze ans, que mère et fa grand'mère avaient fait nommer empereur, et fous le nom duquel ces deux intrigantes fe difputaient l'autorité suprême. (s)

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(s) C'eft ainfi cependant qu'on a écrit l'hiftoire romaine depuis Tacite. Il en eft une autre encore plus ridicule; c'eft l'histoire byzantine. Cet indigne recueil ne contient que des déclamations et des miracles; il est l'opprobre de l'efprit humain, comme l'empire grec était l'opprobre de la terre.

JE

CHAPITRE X V I.

Des diffamations.

E me plais à citer l'auteur de l'Essai fur les maurs et l'efprit des nations, parce que je vois qu'il aime la vérité, et qu'il l'annonce courageusement. Il a dit qu'avant que les livres fuffent communs, la réputation d'un prince dépendait d'un feul hiftorien. Rien n'eft plus vrai.Un Suétone ne pouvait rien fur les vivants, mais il jugeait les morts, et perfonne ne fe fouciait d'appeler de fes jugements; au contraire, tout lecteur les confirmait, parce que tout lecteur eft malin.

Il n'en eft pas tout-à-fait de même aujourd'hui. Que la fatire couvre d'opprobres un prince, cent échos répètent la colomnie, je l'avoue; mais il fe trouve toujours quelque voix qui s'élève contre les échos, et qui à la fin les fait taire. C'est ce qui eft arrivé à la mémoire du duc d'Orléans régent de France. Les Philippiques de la Grange, et vingt libelles fecrets lui imputaient les plus grands crimes; fa fille était traitée comme l'a été Meffaline par Suétone. Qu'une femme ait deux ou trois amants, on lui en donne bientôt des centaines. En un mot, des hiftoriens contemporains n'ont

pas

pas manqué de répéter ces mensonges; etsans l'auteur du Siècle de Louis XIV, ils feraient encore aujourd'hui accrédités dans l'Europe.

On a écrit que Jeanne de Navarre femme de Philippe le bel, fondatrice du collège de Navarre, admettait dans fon lit les écoliers les plus beaux, et les fefait jeter enfuite dans la rivière avec une pierre au cou. Le public aime paffionnément ces contes, et les hiftoriens le fervaient selon fon goût. Les uns tirent de leur imagination les anecdotes qui pourront plaire, c'eft-à-dire les plus fcandaleuses. Les autres de meilleure foi ramaffent des contes qui ont paffé de bouche en bouche; ils pensent tenir de la première main les fecrets de l'Etat, et ne font nulle difficulté de décrier un prince et un général d'armée pour gagner dix piftoles. C'eft ainfi qu'en ont ufé Gatien de Courtilz, le Noble, la Dunoyer, la Beaumelle, et cent malheureux correcteurs d'imprimerie réfugiés en Hollande.

Si les hommes étaient raifonnables, ils ne voudraient d'hiftoires que celles qui mettraient les droits des peuples fous leurs yeux, les lois fuivant lefquelles chaque père de famille peut difpofer de fon bien, les événements qui intéreffent toute une nation, les traités qui les lient aux nations voifines, les progrès des arts utiles, les abus qui expofent continuellement Mélanges hift. Tome I.

* F

le grand nombre à la tyrannie du petit; mais cette manière d'écrire l'hiftoire eft auffi difficile que dangereufe. Ce ferait une étude pour le lecteur, et non un délaffement. Le public aime mieux des fables, on lui en donne.

CHAPITRE X VI I.

AUDI

Des écrivains de parti.

UDI alteram partem eft la loi de tout lecteur quand il lit l'hiftoire des princes qui fe font difputé une couronne, ou des communions qui fe font réciproquement anathématisées.

Si la faction de la ligue avait prévalu Henri IV ne ferait connu aujourd'hui que comme un petit prince de Béarn, débauché, et excommunié par les papes.

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Si Aius l'avait emporté fur Athanafe au concile de Nicée ; fi Conftantin avait pris fon parti, Athanafe ne pafferait aujourd'hui que pour un novateur, un hérétique, un homme d'un zèle outré, qui attribuait à JESUS ce qui ne lui appartenait pas.

Les Romains ont décrié la foi carthaginoife; les Carthaginois ne se louaient pas de la foi romaine. Il faudrait lire les archives de la famille d'Annibal pour juger. Je voudrais avoir jufqu'aux mémoires de Caïphe et de Pilate; je

voudrais avoir ceux de la cour de Pharaon, nous verrions comment elle fe défendait d'avoir ordonné à toutes les accoucheufes égyptiennes de noyer tous les petits mâles hébreux, et à quoi fervait cet ordre pour des juives qui n'employaient jamais que des fagefemmes juives.

Je voudrais avoir les pièces originales du premier fchifme des papes de Rome entre Novatien et Corneille, de leurs intrigues, de leurs calomnies, de l'argent donné de part et d'autre, et furtout des emportements de leurs dévotes.

C'eft un plaifir de lire les livres des Whigs et des Toris. Ecoutez les Whigs, les Toris ont trahi l'Angleterre ; écoutez les Toris, tout Whig a facrifié l'Etat à fes intérêts de forte qu'à en croire les deux partis, il n'y a pas un feul honnête homme dans la nation.

:

C'était bien pis du temps de la rofe rouge et de la rofe blanche. M. de Walpole a dit un grand mot dans la préface de fes Doutes hiftoriques fur Richard III: Quand un roi heureux eft jugé, tous les hiftoriens fervent de témoins

Henri VII dur et avare fut vainqueur de Richard III. Auffitôt toutes les plumes, qu'on commençait à tailler en Angleterre, peignent Richard III comme un monftre pour la figure et pour l'âme. Il avait une épaule un peu plus

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