Page images
PDF
EPUB

de toute la cour ? Comment d'ailleurs ce Cluvius peut-il dire qu'Agrippine voulait fe proftituer à fon fils en présence de Sénèque et des autres convives? De bonne foi, une mère couche-t-elle avec fon fils devant fon gouverneur et fon précepteur, en présence des convives et des domeftiques?

Un autre hiftorien véridique de ces tempslà, nommé Fabius Rufticus, dit que c'était Néron qui avait des défirs pour fa mère, et qu'il était fur le point de coucher avec elle, lorfqu'Acté vint fe mettre à fa place. Cependant ce n'était point Acté qui était alors la maîtreffe de Néron, c'était Poppée; et foit Poppée, foit Acté, foit une autre, rien de tout cela n'eft vraisemblable.

Il y a dans la mort d'Agrippine des circonftances qu'il eft impoffible de croire. D'où a-t-on fu que l'affranchi Anicet, préfet de la flotte de Mifène, confeilla de faire construire un vaiffeau qui, en se démontant en pleine mer, y ferait périr Agrippine? Je veux qu'Anicet fe foit chargé de cette étrange invention; mais il me femble qu'on ne pouvait conftruire un tel vaiffeau fans que les ouvriers fe doutaffent qu'il était destiné à faire périr quelque perfonnage important. Ce prétendu fecret devait être entre les mains de plus de cinquante travailleurs. Il devait bientôt être

connu de Rome entière: Agrippine devait en être informée; et quand Néron lui propofa de monter fur ce vaiffeau, elle devait bien fentir que c'était pour la noyer.

Tacite fe contredit certainement lui-même dans le récit de cette aventure inexplicable. Une partie de ce vaisseau, dit-il, se démontant avec art, devait la précipiter dans les flots', cujus pars ipfo in mari per artem foluta effunderet ignaram.

[ocr errors]

Enfuite il dit qu'à un fignal donné, le toit de la chambre où était Agrippine, étant chargé de plomb, tomba tout à coup, et écrafa Crepereius l'un des domeftiques de l'impératrice: : cum dato figno ruere tectum loci, &c.

Or fi ce fut le toit, le plafond de la chambre d'Agrippine qui tomba fur elle, le vaiffeau n'était donc pas conftruit de manière qu'une partie fe détachant de l'autre dût jeter dans la mer cette princeffe.

Tacite ajoute qu'on ordonna alors aux rameurs de fe pencher d'un côté pour fubmerger le vaiffeau; unum in latus inclinare atque ità navem fubmergere. Mais des rameurs en fe penchant peuvent-ils faire renverser une galère, un bateau même de pêcheurs ? Et d'ailleurs ces rameurs fe feraient-ils volontiers expofés au naufrage ? Ces mêmes matelots aflomment à coups de rames une favorite

d'Agrippine, qui, étant tombée dans la mer, criait qu'elle était Agrippine. Ils étaient donc dans le fecret. Or confie-t-on un tel fecret à une trentaine de matelots ? De plus, parlet-on quand on eft dans l'eau ?

Tacite ne manque pas de dire que la mer était tranquille, que le ciel brillait d'étoiles, comme fi les dieux avaient voulu que le crime fût plus manifefte: noctem fideribus illuftrem, &c.

En vérité, n'eft-il pas plus naturel de penfer que cette aventure était un pur accident, et que la malignité humaine en fit un crime à Néron, à qui on croyait ne pouvoir rien reprocher de trop horrible? Quand un prince s'eft fouillé de quelques crimes, il les a commis tous. Les parents, les amis des profcrits, les feuls mécontents entaffent accufations fur accufations; on ne cherche plus la vraisemblance. Qu'importe qu'un Néron ait commis un crime de plus ? celui qui les raconte y ajoute encore ; la postérité eft perfuadée; et le méchant prince a mérité jufqu'aux imputations improbables dont on charge fa mémoire. Je crois avec horreur que Néron donna son consentement au meurtre de sa mère; mais je ne crois point à l'hiftoire de la galère. Je crois encore moins aux Chaldéens qui, felon Tacite, avaient prédit que Néron tuerait Agrippine; parce que ni les Chaldéens, ni les Syriens,

ni les Egyptiens n'ont jamais rien prédit, non plus que Noftradamus et ceux qui ont voulu exalter leur âme.

Prefque tous les hiftoriens d'Italie ont accufé le pape Alexandre VI de forfaits qui égalent au moins ceux de Néron; mais Alexandre VI, comme Néron, était coupable lui-même des erreurs dans lesquelles ces hiftoriens font tombés.

On nous raconte des atrocités non moins exécrables de plufieurs princes afiatiques. Les voyageurs fe donnent une libre carrière fur tout ce qu'ils ont entendu dire én Turquie et en Perfe. J'aurais voulu à leur place mentir d'une façon toute contraire. Je n'aurais jamais vu que des princes juftes et cléments, des juges fans paffion, des financiers défintéreflés; et j'aurais préfenté ces modèles aux gouvernements de l'Europe. La Cyropédie de Xenophon eft un roman; mais des fables qui enfeignent la vertu valent mieux que des hiftoires mêlées de fables qui ne racontent que des forfaits.

CHAPITRE XI V.

Τουτ

De Pétrone.

OUT ce qu'on a débité fur Néron m'a fait examiner de plus près la fatire attribuée au conful Caius Petronius, que Néron avait facrifié à la jaloufie de Tigillin. Les nouveaux compilateurs de l'histoire romaine n'ont pas manqué de prendre les fragments d'un jeune écolier nommé Titus Petronius, pour ceux de ce conful, qui, dit-on, envoya à Néron avant de mourir cette peinture de fa cour fous des noms empruntés.

Si on retrouvait en effet un portrait fidelle des débauches de Néron dans le Pétrone qui nous refte, ce livre ferait un des morceaux les plus curieux de l'antiquité.

Naudot a rempli les lacunes de ces fragments, et a cru tromper le public. Il veut le tromper encore en affurant que la fatire de Titus Petronius jeune et obscur libertin, d'un efprit très-peu réglé, eft le Caius Petronius conful de Rome. Il veut qu'on voie toute la vie de Néron dans des aventures des plus bas coquins de l'Italie, gens qui fortent de l'école pour courir du cabaret au b.... qui volent des manteaux, et qui font trop heureux d'aller dîner chez un

« PreviousContinue »