Page images
PDF
EPUB

48

DE QUELQUES FAITS RAPPORTÉS. partagés trois à trois, une fille fous un garçon et ce garçon fous un autre?

Ces turpitudes abominables ne font guère dans la nature. Un vieillard, un empereur épié de tout ce qui l'approche, et fur qui la terre entière porte des yeux d'autant plus attentifs qu'il fe cache davantage, peut-il être accufé d'une infamie fi inconcevable, fans des preuves convaincantes? Quelles preuves rapporte Suétone? aucune. Un vieillard peut avoir encore dans la tête des idées d'un plaifir que fon corps lui refufe. Il peut tâcher d'exciter en lui les reftes de fa nature languiffante par des reffources honteufes, dont il ferait au désespoir qu'il y eût un feul témoin. Il peut acheter les complaifances d'une proftituée cui ore et manibus allaborandum eft, engagée elle-même au fecret par fa propre infamie. Mais a-t-on jamais vu un vieux premier préfident, un vieux chancelier, un vieux archevêque, un vieux roi rassembler une centaine de leurs domeftiques pour partager avec eux ces obfcénités dégoûtantes, pour leur fervir de jouet, pour être à leurs. yeux l'objet le plus ridicule et le plus méprifable? On haïffait Tibère; et certe si j'avais été citoyen romain je l'aurais détefté lui et Octave, puisqu'ils avaient détruit ma république : on avait en exécration le dur et fourbe Tibère; et puisqu'il s'était retiré à Caprée dans fa vieilleffe,,

vieilleffe, il fallait bien que cẻ fût pour fe livrer aux plus indignes débauches : mais le fait eft-il avéré? J'ai entendu dire des chofes plus horribles d'un très-grand prince et de fa fille, je n'en ai jamais rien cru; et le temps a justifié mon incrédulité.

Les folies de Caligula font-elles beaucoup plus vraisemblables? Que Caligula ait critiqué Homère et Virgile, je le croirai fans peine; Virgile et Homère ont des défauts. S'il a méprifé ces deux grands-hommes, il y a beaucoup de princes qui, en fait de goût, n'ont pas le fens commun. Ce mal est très-médiocre : mais il -ne faut pas inférer de-là qu'il ait couché avec ses trois fœurs, et qu'il les ait prostituées à d'autres. De telles affaires de famille font d'ordinaire fort fecrètes. Je voudrais du moins que nos compilateurs modernes, en reffaffant les horreurs romaines pour l'inftruction de la jeuneffe, fe bornaffent à dire modeftement: on rapporte, le bruit court, on prétendait à Rome, on foupçonnait. Cette manière de s'énoncer me semble infiniment plus honnête et plus raisonnable.

Ileft bien moins croyable encore que Caligula ait inftitué une de fes fœurs, Julia Drufilla, héritière de l'Empire. La coutume de Rome ne permettait pas plus que la coutume de Paris de donner le trône à une femme...

Mélanges hift. Tome I.

* E

Je penfe bien que dans le palais de Caligula il y avait beaucoup de galanterie et de rendezvous, comme dans tous les palais du monde; mais qu'il ait établi dans fa propre maison des b..... où la fleur de la jeuneffe allait pour fon argent, c'eft ce qu'on me perfuadera difficilement.

On nous raconte que ne trouvant point un jour d'argent dans fa poche pour mettre au jeu, il fortit un moment et alla faire affaffiner trois fénateurs fort riches, et revint enfuite en difant : J'ai à préfent de quoi jouer. Croira tout cela qui voudra; j'ai toujours quelque petit doute.

Je conçois que tout Romain avait l'âme républicaine dans fon cabinet, et qu'il fe vengeait quelquefois, la plume à la main, de l'ufurpation de l'empereur. Je préfume que le malin Tacite, et que le fefeur d'anecdotes Suétone goûtaient une grande confolation en décriant leurs maîtres dans un temps où perfonne ne s'amufait à difcuter la vérité. Nos copistes de tous les pays répètent encore tous les jours ces contes fi peu avérés. Ils reffemblent un peu aux hiftoriens de nos peuples barbares du moyen âge, qui ont copié les rêveries des moines. Ces moines flétriffaient tous les princes qui ne leur avaient rien donné, comme Tacite et Suétone s'étudiaient à

rendre odieuse toute la famille de l'oppreffeur Octave.

Mais, me dira-t-on, Suétone et Tacite ne rendaient-ils pas fervice aux Romains en fefant détefter les Cefars?... oui, fi leurs écrits avaient pu reffufciter la république.

CHAPITRE XIII.

De Neron et d'Agrippine.

TOUTES les fois que j'ai lu l'abominable hiftoire de Néron et de fa mère Agrippine, j'ai été tenté de n'en rien croire. L'intérêt du genre-humain eft que tant d'horreurs aient été exagérées ; elles font trop de honte à la

nature.

Tacite commence par citer un Cluvius. Ce Cluvius rapporte que vers le milieu du jour, medio diei, Agrippine fe préfentait fouvent à fon fils, déjà échauffé par le vin, pour l'engager à un incefte avec elle; qu'elle lui donnait des baisers lafcifs, lafciva ofcula; qu'elle l'excitait par des careffes auxquelles il ne manquait que la confommation du crime, prænuntias flagitii blanditias, et cela en présence des convives, annotantibus proximis; qu'auffitôt. l'habile Sénèque préfentait le secours d'une autre femme contre les empreffements d'une

femme. Senecam contrà muliebres illicebras fubfidium à fœminâ petiviffe, et substituait sur le champ la jeune affranchie Acté à l'impératrice-mère Agrippine.

Voilà un fage précepteur que ce Sénèque ! quel philofophe! Vous obferverez qu' Agrippine avait alors environ cinquante ans. Elle était la feconde des fix enfants de Germanicus, que Tacite prétend, fans aucune preuve, avoir été empoisonné. Il mourut l'an 19 de notre ère, et laiffa Agrippine âgée de dix ans.

Agrippine eut trois maris. Tacite dit que bientôt après l'époque de ces caresses inceftueuses, Néron prit la résolution de tuer fa mère. Elle périt en effet l'an 59 de notre ère vulgaire. Son père Germanicus était mort il y avait déjà quarante ans. Agrippine en avait donc à peu près cinquante lorfqu'elle était fuppofée folliciter fon fils à l'incefte. Moins un fait eft vraisemblable, plus il exige de preuves. Mais ce Cluvius cité par Tacite prétend que c'était une grande politique, et qu'Agrippine comptait par - là fortifier fa puiffance et fon crédit. C'était au contraire s'expofer au mépris et à l'horreur. Se flattaitelle de donner à Neron plus de plaifirs et de défirs que de jeunes maîtreffes ? fon fils bientôt dégoûté d'elle ne l'aurait-il pas accablée d'opprobre ? n'aurait-elle pas été l'exécration

« PreviousContinue »