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plaifant que ce foit un jéfuite portugais qui ait découvert ces fources.

Ce qu'on a vanté du gouvernement égyptien me paraît abfurde et abominable. Les terres, dit-on, étaient divisées en trois portions. La première appartenait aux prêtres la feconde aux rois, et la troisième aux foldats. Si cela eft, il eft clair que le gouvernement avait été d'abord et très long-temps théocratique, puifque les prêtres avaient pris pour eux la meilleure part. Mais comment les rois fouffraient-ils cette diftribution? apparemment ils reffemblaient aux rois fainéans; et comment les foldats ne détruifirent-ils pas cette adminiftration ridicule? Je me flatte que les Perfans, et après eux les Ptolomées, y mirent bon ordre ; et je fuis bien aife qu'après les Ptolomées, les Romains, qui réduifirent l'Egypte en province de l'Empire, aient rogné la portion facerdotale.

Tout le refte de cette petite nation, qui n'a jamais monté à plus de trois ou quatre millions d'hommes, n'était donc qu'une foule de fots efclaves. On loue beaucoup la loi par laquelle chacun était obligé d'exercer la profeffion de fon père. C'était le vrai fecret d'anéantir tous les talens. Il fallait que celui qui aurait été un bon médecin ou un fculpteur habile reftât berger ou vigneron, que le poltron, le faible reftât foldat, et qu'un facriftain qui ferait

devenu un bon général d'armée passât sa vie à balayer un temple.

La fuperftition de ce peuple est fans contredit ce qu'il y a jamais eu de plus méprifable. Je ne foupçonne point ses rois et ses prêtres d'avoir été affez imbécilles pour adorer férieufement des crocodiles, des boucs, des finges et des chats; mais ils laissèrent le peuple s'abrutir dans un culte qui le mettait fort audeffous des animaux qu'il adorait. Les Ptolomées ne purent déraciner cette fuperftition abominable, ou ne s'en foucièrent pas. Les grands abandonnent le peuple à fa fottife, pourvu qu'il obéiffe. Cléopâtre ne s'inquiétait pas plus des fuperftitions de l'Egypte qu'Hérode de celles de la Judée.

Diodore rapporte que du temps de Ptolomée Aulètes, il vit le peuple massacrer un romain qui avait tué un chat par mégarde. La mort de ce romain fut bien vengée, quand les Romains dominèrent. Il ne refte, DIEU merci, de ces malheureux prêtres d'Egypte qu'une mémoire qui doit être à jamais odieuse. Appre nons à ne pas prodiguer notre eftime.

Mélanges hift. Tome I.

* Ec

QUATRIEME DIATRIBE

DE

L'ABBÉ

BAZIN.

Sur un peuple à qui on a coupé le nez, et laisse

les oreilles.

Il y a bien des fortes de fables; quelquesunes ne font que l'hiftoire défigurée, comme tous les anciens récits de batailles et les faits gigantefques dont il a plu à prefque tous les hiftoriens d'embellir leurs chroniques. D'autres fables font des allégories ingénieuses; ainfi Janus a un double vifage qui représente l'année paffée et commençante. Saturne qui dévore fes enfans eft le temps qui détruit tout ce qu'il a fait naître. Les Mufes, filles de la Mémoire, vous enfeignent que fans mémoire on n'a point d'efprit, et que, pour combiner des idées, il faut commencer par retenir des idées. Minerve, formée dans le cerveau du maître des dieux, n'a pas befoin d'explication. Vénus la déeffe de la beauté, accompagnée des Graces et mère de l'Amour, la ceinture de la mère, les flèches et le bandeau du fils, tout cela parle affez de foi-même.

Des fables qui ne difent rien du tout, comme Barbe bleue et les Contes d'Hérodote, font le fruit

d'une imagination groffière et déréglée qui veut amuser des enfans, et même malheureufement des hommes: l'Histoire des deux voleurs qui venaient toutes les nuits prendre l'argent du roi Rampfinitus et de la fille du roi qui époufa un des deux voleurs ; l'Anneau de Gygès et cent autres facéties font indignes d'une attention férieufe.

Mais il faut avouer qu'on trouve dans l'ancienne hiftoire des traits affez vraisemblables qui ont été négligés dans la foule, et dont on pourrait tirer quelques lumières. Diodore de Sicile, qui avait confulté les anciens historiens d'Egypte, nous rapporte que ce pays fut con quis par des Ethiopiens; je n'ai pas de peine à le croire : car j'ai déjà remarqué que quiconque s'eft présenté pour conquérir l'Egypte en est venu à bout en une campagne, excepté nos extravagans croifés qui y furent tous tués ou réduits en captivité, parce qu'ils avaient à faire, non aux Egyptiens qui n'ont jamais fu fe battre, mais aux Mammelucs, vainqueurs de l'Egypte, et meilleurs foldats que les croisés. Je n'ai donc nulle répugnance à croire qu'un roi d'Egypte, nommé par les Grecs Amafis, cruel et efféminé, fut vaincu, lui et fes ridicules prêtres, par un chef éthiopien nommé Actifan, qui avait apparemment de l'efprit et du courage.

Les Egyptiens étaient de grands voleurs, tout le monde en convient. Il eft fort naturel que le nombre des voleurs ait augmenté dans le temps de la guerre d'Actifan et d'Amafis. Diodore rapporte, d'après les hiftoriens du pays, que ce vainqueur voulut purger l'Egypte de ces brigands, et qu'il les envoya vers les déferts deSinaï et d'Oreb, après leur avoir préalablement fait couper le bout du nez, afin qu'on les reconnût aifément s'ils s'avifaient de venir encore voler en Egypte. Tout cela eft très-probable.

Diodore remarque avec raifon que le pays où on les envoya ne fournit aucune des commodités de la vie, et qu'il eft très-difficile d'y trouver de l'eau et de la nourriture. Telle eft en effet cette malheureuse contrée depuis le défert de Pharam jufqu'auprès d'Eber.

Les nez coupés purent fe procurer à force de foins quelques eaux de cîternes, ou se servir de quelques puits qui fourniffaient de l'eau faumâtre et mal faine, laquelle donne communément une espèce de fcorbut et de lèpre. Ils purent encore, ainfi que le dit Diodore, fe faire des filets avec lefquels ils prirent des cailles. On remarque en effet que tous les ans des troupes innombrables de cailles passent au-deffus de la mer Rouge, et viennent dans ce défert. Jufque-là cette hiftoire n'a rien qui révolte l'efprit, rien qui ne foit vraisemblable.

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