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plus bas, les plus lâches dans la littérature, et les plus capables de nuire?

Le bon abbé Bazin me répondit en foupirant Mon neveu, après les théologiens, les chiens les plus acharnés à fuivre leur proie font les folliculaires; et après les folliculaires marchent les fefeurs de cabale au théâtre. Les critiques en hiftoire et en phyfique ne font pas grand bruit. Gardez-vous furtout, mon neveu, du métier de Sophocle et d'Euripide, à moins que vous ne faffiez vos tragédies en latin, comme Grotius, qui nous a laiffé ces belles pièces entièrement ignorées, d'Adam chaffe, de Jefus patient, et de Jofeph fous le nom de Sofonfoné qu'il croit un mot égyptien.

Hé pourquoi, mon oncle, ne voulez-vous pas que je faffe des tragédies fi j'en ai le talent? Tout homme peut apprendre le latin et le grec, ou la géométrie, ou l'anatomie; tout homme peut écrire l'hiftoire; mais il eft trèsrare, comme vous favez, de trouver un bon poëte. Ne ferait-ce pas un vrai plaifir de faire de grands vers bourfoufflés dans lefquels des héros déplorables rimeraient avec des exemples mémorables, et les forfaits et les crimes avec les cœurs magnanimes, et les juftes dieux avec les exploits glorieux? Une fière actrice ferait ronfler ce galimatias, elle ferait applaudie par deux cents jeunes courtauds de boutique, et elle

me dirait après la pièce : Sans moi vous auriez été fifflé, vous me devez votre gloire. J'avoue qu'un pareil fuccès tourne la tête quand on a une noble ambition.

O mon neveu, me répliqua l'abbé Bazin, je conviens que rien n'eft plus beau; mais fouvenez-vous comment l'auteur de Cinna, qui avait appris à la nation à penser et à s'exprimer, fut traité par Claveret, par Chapelain, par Scudéri gouverneur de Notre-Dame de la Garde, et par l'abbé d'Aubignac prédicateur du roi.

Songez que le prédicateur, auteur de la plus mauvaise tragédie de ce temps, et qui pis eft, d'une tragédie en profe, appelle Corneille Mafcarille; il n'est fait, felon le prédicateur, que pour vivre avec les portiers de comédie : Corneille piaille toujours, ricane toujours, et ne dit jamais rien qui vaille.

Ce font-là les honneurs qu'on rendait à celui qui avait tiré la France de la barbarie : il était réduit pour vivre à recevoir une penfion du cardinal de Richelieu qu'il nomme fon maître. Il était forcé de rechercher la protection de Montauron, de lui dédier Cinna, de comparer dans fon épître dédicatoire Montauron à Augufte; et Montauron avait la préférence.

Jean Racine égal à Virgile pour l'harmonie et la beauté du langage, fupérieur à Euripide

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et à Sophocle, Racine le poëte du cœur, et d'autant plus fublime qu'il ne l'eft que quand il faut l'être, Racine le feul poëte tragique de fon temps dont le génie ait été conduit par le goût, Racine le premier homme du fiècle de Louis XIV dans les beaux arts, et la gloire éternelle de la France, a-t-il effuyé moins de dégoût et d'opprobre? tous fes chefs-d'œuvres ne furent-ils pas parodiés à la farce dite italienne?

Vifé, l'auteur du Mercure galant, ne se déchaîna-t-il pas toujours contre lui? Subligni ne prétendit-il pas le tourner en ridicule ? vingt cabales ne s'élevèrent-elles pas contre tous fes ouvrages? n'eut-il pas toujours des ennemis, jusqu'à ce qu'enfin le jésuite la Chaise le rendit fufpect de janfénisme auprès du roi, et le fit mourir de chagrin? Mon neveu, la mode n'eft plus d'accufer de janfénifme; mais fi vous avez le malheur de travailler pour le théâtre, et de réuffir, on vous accufera d'être athée.

Ces paroles de mon bon oncle se gravèrent dans mon cœur. J'avais déjà commencé une tragédie; je l'ai jetée au feu, et je conseille à tous ceux qui ont la manie de travailler en ce genre d'en faire autant.

CHAPITRE X X I.

Des fentimens théologiques de feu l'abbé Bazin. De la justice qu'il rendait à l'antiquité, et des quatre diatribes compofées par lui à cet effet.

OUR mieux faire connaître la piété et l'équité de l'abbé Bazin, je fuis bien aise de publier ici quatre diatribes de fa façon, compofées seulement pour fa fatisfaction particulière. La première eft fur la caufe et les effets. La feconde traite de Sanchoniathon, l'un des plus anciens écrivains qui aient mis la plume à la main pour écrire gravement des fottifes. La troifième eft fur l'Egypte, dont il fefait affez peu de cas; (ce n'eft de fa diatribe dont il fefait peu de cas, c'eft de l'Egypte.) Dans la quatrième, il s'agit d'un ancien peuple à qui on coupa le nez, et qu'on envoya dans le défert. Cette dernière élucubration est trèscurieuse et très-inftructive.

pas

PREMIERE

DE L'ABBÉ

DIATRIBE

BAZIN.

Sur la caufe première.

UN jour le jeune Madétès se promenait vers

le port de Pirée; il rencontra Platon qu'il n'avait point encore vu. Platon lui trouvant une phyfionomie heureufe lia converfation avec lui; il découvrit en lui un fens affez droit. Madétes avait été inftruit dans les belles-lettres, mais il ne favait rien ni en physique, ni en géométrie, ni en aftronomie. Cependant il avoua à Platon qu'il était épicurien.

Mon fils, lui dit Platon, Epicure était un fort honnête homme; il vécut et il mourut en fage; fa volupté, dont on a parlé fi diversement, confiftait à éviter les excès; il recommanda l'amitié à fes difciples, et jamais précepte n'a été mieux obfervé. Je voudrais faire autant de cas de fa philofophie que de fes mœurs. Connaiffez-vous bien à fond la doctrine d'Epicure? Madétès lui répondit ingénument qu'il ne l'avait point étudiée. Je fais seulement, dit-il, que les dieux ne se sont jamais mêlés de rien, et que le principe de toute chofe eft dans

les

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