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32°. Apprenez que vous êtes auffi téméraire quand vous approuvez que quand vous critiquez. Le portrait, dites-vous, que j'ai fait des · princes de Vendôme est très-ressemblant. Oui, il l'eft, parce que j'ai eu l'honneur de voir trois ans de fuite le dernier prince de Vendôme; mais ce n'eft pas à vous à le dire. C'est ainsi que pourrait s'exprimer un homme qui les aurait long-temps approchés; mais vous n'avez pas plus de droit de confirmer mon témoignage que de le nier.

33°. Apprenez que c'eft dans les mémoires manufcrits du marquis de Dangeau que fe trouvent ces paroles de Louis XIV fur le maréchal de Villeroi : On fe déchaîne contre lui parce qu'il eft mon favori. Ce n'eft pas affez que je les aie lues dans ces mémoires pour les rapporter ; elles m'ont été confirmées par d'autres perfonnes, et furtout par le cardinal de Fleuri. Ce n'eft que fur plufieurs témoignages qu'il eft permis d'écrire l'hiftoire. Le rapport d'un témoin confidérable donne de la probabilité, le rapport de plufieurs peut faire la certitude hiftorique, et la négation de la Beaumelle fait une impertinence.

34°. Apprenez que Saint-Olon gentilhomme ordinaire du roi, envoyé à Fez et à Gènes, n'était et ne pouvait être un fecrétaire ́d'ambaffade. Sachez qu'il n'y a point, chez les

miniftres de France, defecrétaire d'ambaffa de proprement dit, comme il se pratique ailleurs, mais des fecrétaires d'ambaffadeurs, choifis et payés par l'ambaffadeur même. Sachez que le roi de France n'envoie jamais d'ambaffadeur à Gènes, et que Louis XIV y fit porter fes menaces par cet officier de fa maison, comme un pareil officier y a été envoyé par Louis XV qui la protégeait. Sachez que je le fuis, quoi que vous en difiez, et que je ne m'en vante pas, comme vous le dites; que je regarde avec beaucoup d'indifférence tous les titres et tous les honneurs, en refpectant profondément ceux qui m'en ont honoré ; que je ne mets jamais aucun titre à la tête de mes ouvrages ; que je ne m'annonce, que je ne me donne que pour un homme de lettres, que vous auriez dû choifir plutôt pour votre maître que pour votre ennemi. Vous avez en vain l'infolence de vouloir avilir un corps de la maifon du roi de France, difant que de mauvais hiftoriens de Louis XIV, Racine, Larrei et moi étaient de ce corps. A l'égard de Racine, Louis XIV voulut l'élever à cette dignité pour récompenser un très-grand mérite; et Louis XV a daigné me faire la même grâce qui eft au-deffus de ma naissance, pour favorifer mes faibles efforts, et pour encourager les lettres. Cette condefcendance de deux grands rois fait honneur à leur générofité, et

en

ne peut faire aucun tort à un corps d'officiers de la couronne, auffi ancien que la monarchie.

Je pourrais vous donner autant de leçons que vous avez fait de remarques ; mais je me contenterai de vous donner en général l'avis d'étudier et de vous repentir.

SECONDE PARTIE.

POUR mieux fe juftifier auprès du public de tant de détails, et pour rendre, autant qu'on le peut, les chofes perfonnelles d'une utilité générale, on fera ici une remarque littéraire qu'on foumet au jugement de tous ceux qui lifent ou qui écrivent l'histoire. La Beaumelle, en jeune homme inconfidéré, me reproche de n'avoir pas femé affez de portraits dans mon ouvrage. J'ai toujours penfé que c'est une espèce de charlatanerie de peindre, autrement que par les faits, les hommes publics, avec lefquels on n'a pu avoir de liaison. J'ai peint lé fiècle et non la perfonne de Louis XIV, ni celle de Guillaume III, ni le grand Condé, ni Marlborough. Il n'appartient qu'au père Maimbourg de faire des portraits recherchés et fleuris des héros que l'on n'a pas vus de près. Le cardinal de Retz a fait une espèce de galerie de portraits dans fes mémoires: cette liberté lui était très-permife. Il avait connu tous ceux dont il parlait, dans toutes les fituations de leur âme, dans leur vie particulière et publique, dans leurs amitiés et dans leurs haines, dans leur bonne et mauvaise fortune. Il ferait feulement à fouhaiter, peut-être, que fon pinceau eût éɩẻ

quelquefois moins conduit par la paffion. De tous ces caractères, tracés par des contemporains, qu'il y en a peu d'entièrement fidelles! N'entend-on pas tous les jours porter des jugemens différens d'un homme en place par la même perfonne, felon qu'elle eft plus ou moins contente? J'eus une preuve bien forte de ce que j'avance, lorfqu'un jour à Blenheim je fuppliai madame la ducheffe de Marlborough de me montrer fes mémoires. Elle me répondit: Attendez quelque temps; je fuis occupée actuellement à réformer le caractère de la reine Anne; je me fuis remife à l'aimer depuis que ces gens-ci gouvernent.

Recherche qui voudra ces portraits de la figure, de l'efprit, du cœur de ceux qui ont joué les premiers rôles fur le théâtre du monde. Je fais que ces peintures vraies ou fauffes amufent notre imagination. Le bon fens est fouvent en garde contre elles.

Je me foucie fort peu que Colbert ait eu les fourcils épais et joints, la phyfionomie rude et basse, l'abord glaçant; qu'il ait joint de petites vanités au foin de faire de grandes choses: j'ai porté la vue fur ce qu'il a fait de mémorable, fur la reconnaiffance que les fiècles à venir lui doivent, non fur la manière dont il mettait fon rabat, et sur l'air bourgeois que le roi difait qu'il avait confervé à la cour.

Un

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