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La religion mal entendue eft une fiévre que la moindre occafion fait tourner en rage.

Le propre du fanatisme eft d'échauffer les têtes. Quand le feu, qui fait bouillir les cervelles fuperftitieuses, a fait tomber quelque flammèches dans une âme insensée et atroce; quand un ignorant furieux croit imiter faintement Phinée, Aod, Judith, et leurs femblables, cet ignorant a plus de complices qu'il ne pense. Bien des gens l'ont excité au parricide fans le favoir. Quelques perfonnes profèrent des paroles indifcrètes et violentes; un domestique les répète, il les amplifie, il les enfunefte encore, comme difent les Italiens; un Châtel, un Ravaillac, un Damiens les recueillent : ceux qui les ont prononcées ne se doutent pas du mal qu'ils ont fait: ils font complices involontaires; mais il n'y a eu ni complot ni inftigation. En un mot on connaît bien mal l'esprit humain, fi l'on ignore que le fanatifme rend la populace capable de tout.

Mélanges hift. Tome I.

* K

CHAPITRE

XXXVII.

Du dauphin François.

LE dauphin François, fils de François I, joue à la paume, il boit beaucoup d'eau fraîche dans une transpiration abondante ; on accuse l'empereur Charles-Quint de l'avoir fait empoisonner. Quoi ! le vainqueur aurait craint le fils du vaincu! Quoi il aurait fait périr à la cour de France le fils de celui dont alors il prenait deux provinces, et il aurait déshonoré toute la gloire de fa vie par un crime infâme et inutile? Il aurait empoisonné le dauphin en laiffant deux frères pour le venger! L'accufation eft abfurde; auffi je me joins à l'auteur toujours impartial de l'Essai fur les mœurs, &c. pour détefter cette absurdité.

Mais le dauphin François avait auprès de lui un gentilhomme italien, un comte de Montecuculi qui lui avait verfé l'eau fraîche dont il résulta une pleuréfie. Ce comte était né fujet de Charles-Quint; il lui avait parlé autrefois; et fur cela feul on l'arrête, on le met à la torture; des médecins ignorants affirment que les tranchées, caufées par l'eau froide, font caufées par l'arfénic. On fait écarteler Montecuculi; et toute la France traite d'empoisonneur le vainqueur de Soliman, le libérateur

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de la chrétienté, le triomphateur de Tunis, le plus grand-homme de l'Europe! Quels juges condamnèrent Montecuculi? je n'en fais rien; ni Mézerai ni Daniel ne le difent. Le préfident Hénault dit: Le dauphin François eft empoisonné par Montecuculi fon échanfon, non fans Soupçon contre l'empereur.

Il eft clair qu'il faut au moins douter du crime de Montecuculi; ni lui ni Charles-Quint n'avaient aucun intérêt à le commettre. Montecuculi, attendait de fon maître une grande fortune, et l'empereur n'avait rien à craindre d'un jeune homme tel que François. Ce procès funefte peut donc être mis dans la foule des cruautés juridiques que l'ivreffe de l'opinion, celle de la paffion et l'ignorance ont trop fouvent déployées contre les hommes les plus

innocents.

CHAPITRE XXX VIII.

De Samblançai.

NE peut-on pas mettre dans la même claffe

le fupplice de Samolançai? Le crime qu'on lui impute eft beaucoup plus raisonnable que celui de Montecuculi. Il est bien plus ordinaire de voler le roique d'empoifonner les dauphins. Cependant aujourd'hui les hiftoriens fenfés

doutent que Samblançai fût coupable. Il fut jugé par des commiffaires ; c'eft déjà un grand préjugé en fa faveur. La haine que lui portait le chancelier Duprat eft encore un préjugé plus fort. On eft réduit, lorsqu'on lit les grands procès criminels, à suspendre au moins fon jugement entre les condamnés et les juges; témoins les arrêts rendus contre Jacques Cœur, contre Enguerrand de Marigni, et tant d'autres. Comment donc pourrait-on croire aveuglément mille anecdotes rapportées par des hiftoriens, puifqu'on ne peut même en croire des magiftrats qui ont examiné les procès pendant des années entières? On ne peut s'empêcher de faire ici une réflexion fur François I. Quel était donc le caractère de ce grand-homme, qui fait pendre le vieillard innocent Samblançai, qu'il appelait fon pere; qui fait écarteler un gentilhomme italien parce que fes médecins font des ignorants; qui dépouille le connétable de Bourbon de fes biens par l'injuftice la plus criante ; qui, ayant été vaincu par lui et fait prisonnier, met fes deux enfants en captivité pour aller revoir Paris; qui juge et promet même, en parole d'honneur,, de rendre la Bourgogne à Charles-Quint fon vainqueur, et qui eft obligé de fe déshonorer par politique; qui accorde aux Turcs dans Marseille la liberté d'exercer leur religion, et

qui fait brûler à petit feu dans la place de l'Eftrapade de malheureux luthériens, tandis qu'il leur met les armes à la main en Allemagne? Il a fondé le collége royal: oui; mais eft-on grand pour cela, et un collége répare-t-il tant d'horreurs et tant de baffeffes?

CHAPITRE XXXIX.

Des templiers.

QUE dirons-nous du maffacre eccléfiaftique juridique des templiers ? leur fupplice fait frémir d'horreur. L'accufateur laiffe dans nos

esprits plus que de l'incertitude. Je crois bien plus à quatre-vingts gentilshommes qui proteftent de leur innocence devant DIEU en mourant, qu'à cinq ou fix prêtres qui les condamnent.

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