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campagnes), ou roturiers (ruptarii, labourant la terre), se divisaient en hommes de poeste (homines potestatis, soumis à la puissance du maitre), et en serfs attachés à la glèbe. Peu à peu, les habitants des villes s'émancipèrent et conquirent la liberté ; les bourgeois formèrent une classe intermédiaire entre les nobles et les serfs. Quelque profonde que fût encore, à cette époque, la distinction entre les vilains et les nobles, il n'y avait plus cependant l'intervalle immense, qui avait longtemps séparé les Francs des Gallo-Romains; on ne voyait plus sur le même sol deux peuples divers de langue, de race et de lois. Enfin, c'est pendant la période féodale que l'esclavage disparaît de la France. Le servage fut maintenu; mais il ne donnait point au maître le droit de vendre ou de faire périr le malheureux attaché à la glèbe 1.

De l'état des personnes pendant la période monarchique, du XIIIe au XVIIIe siècle.- La France est restée longtemps divisée en trois ordres qui ont eu chacun leur rôle historique. Le premier en puissance, et le plus ancien en date, était le clergé. Constitué avant la conquête des barbares et investi de priviléges politiques, il exerça sous les Mérovingiens la plus haute influence. Il siégeait alors dans les champs de Mars et dans les conseils des rois mérovingiens et carlovingiens.

1. Voy., dans le Dictionnaire, les articles BACHÉLE, FÉODALITÉ, Noblesse, SERFS, VASSAUX, etc. - On peut consulter, sur l'organisation féodale en France, les Assises de Jérusalem, publiées par M. Beugnot dans le Recueil des historiens des croisades (2 vol. in-fol.); les Cartulaires de Saint-Père de Chartres et de Notre-Dame de Faris, avec les Prolégomènes de M. Guérard dans la collection des Documents inédits de l'histoire de France; Nouveau coutumier général ou corps des coutumes générales de France (Paris, 1724, 4 vol. in-fol.); Ét. Pasquier, De l'état et condition des personnes de notre France, avec un sommaire discours des servitudes tréfoncières, qui se trouvent en quelques-unes de nos provinces: c'est le chap. v du livre IV des Recherches de la France, Traité des seigneuries, par Ch. Loyseau ( Paris, 1608, in-4); Brussel, Nouvel examen de l'usage général des fiefs pendant les x1o, XII, XIIIe et XIVe siècles (Paris, 1737, 2 vol. in-4); Salvaing, De l'usage des fiefs et autres droits seigneuriaux (Paris, 1731); Chantereau-Lefèvre, Traité des fiefs, suivant la coutume de France et l'usage des provinces du droit écrit (Paris, 1680, in-4); Peysonnel, Traité de l'hérédité des fiefs (Paris, 1687, in-8); Schiller, Dissertatio de feudis juris francici (Argentorati, 1701, in-4), cum ejus Expositione de paragio et apanagio (Argentorati, 1705, in-4); Recherches sur les lois féodales, sur les anciennes conditions des habitants des villes et des campagnes, leurs possessions et leurs droits, par Doyen (Paris, 1779, 1 vol. in-8); Championnière, De la propriété des eaux courantes, du droit des riverains et de la valeur actuelle des concessions féodales (1 vol. in-8, Paris, 1846).

Supérieur en intelligence et en éducation, il dictait les lois, écrivait les annales et instruisait les peuples. Ses richesses excitaient la jalousie des souverains, et son ascendant moral était seul assez puissant pour mettre un frein à la cupidité et à la violence brutale des barbares. Le clergé conserva cette haute position pendant plusieurs siècles. Un instant opprimé par la féodalité, il ne tarda pas à s'affranchir de ce joug et, tout en conservant une partie des droits féodaux, il forma un ordre distinct de la noblesse. La première place lui appartenait aux états généraux et dans l'assemblée des pairs du royaume. Les hôpitaux et les écoles étaient placés sous sa surveillance. Ses biens immenses étaient exempts des impôts ordinaires. En un mot, il fut à la tête des trois ordres jusqu'au moment où la distinction des classes disparut et où il ne resta que la nation française. Là cesse le rôle politique du clergé. Prépondérant sous les Mérovingiens et les Carlovingiens, il s'allia à la royauté pour combattre l'aristocratie féodale aux x et x11° siècles, et depuis cette époque, jusqu'en 1789, il donna à la France plusieurs ministres éminents, entre autres Suger, G. d'Amboise, Richelieu. En 1789, une partie du clergé, inquiète des progrès du tiers état, s'unit à la noblesse pour lutter contre les classes moyennes; mais la majorité de cet ordre ne se sépara pas, dans l'Assemblée nationale, de ceux qui voulaient donner une constitution à la France'.

1. . Voy, dans ce Dictionnaire, les articles ABBAYE, BÉNÉFICES, CARDINAUX, CLERGÉ, CONCILES, CONCORDATS, LIBERTÉS DE L'ÉGLISE GALLICANE, ÉVÉCHÉS, ÉVÊQUES, PRAGMATIQUE-SANCTION, QUATRE PROPOSITIONS, RELIGIEUX, RITES ECCLÉSIASTIQUES, etc.— Ouvrages à consulter: Sirmond, Concilia antiqua Galliæ (Paris, 1627, 3 vol. in-fol., avec un supplément par de La Lande, Paris, 1666, 1 vol. in-fol.); Annales ecclesiastici Francorum, curante Le Cointe (Paris, 1663-1683, 8 vol. in-fol.); Acta Sanctorum a Bollando et cæt. edit. (Anvers et Bruxelles, 1643-1654, 5 vol. in-fol.); Gallia Christiana in provincias ecclesiasticas distributa (Paris, 1715-1786, 13 vol. in-fol.); Acta Sanctorum ordinis S. Benedicti in seculorum classes distributa (Paris, 1668-1702, 9 vol. in-fol.). Cet ouvrage est complété par les Annales ordinis S. Benedicti (Paris, 1733-1739, 6 vol. in-fol.); Sacra bibliotheca SS, Patrum (Paris, 1589, 9 vol. in fol.); Magna bibliotheca Patrum (Cologne, 1618-1622, 15 tom. in-fol.); Maxima bibliotheca vet. Patrum (Lyon, 1677, 27 vol. in-fol.); Andr. Gallandii, Biblioth. vet. Patrum (Venise, 1765, 14 vol. in- fol.); Scriptores ordinis prædicatorum recensiti, par Quetif et Echard (Paris, 1719-1721, 2 vol. in-fol.); Histoire des ordres monastiques, par Helyo (Paris, 1714-1721, 8 vol. in-4). Voy. Thomassin, Traité des édits et des autres moyens pour maintenir l'unité de l'Église catholique (Paris, 1704, 3 vol. in-4); du même, Ancienne et nouvelle discipline de l'Église (3 vol. in-fol., Paris, 1678); Fleury, Institu

La noblesse, qui formait le second ordre, tirait son origine de ces leudes et de ces ahrimans francs, avec lesquels s'était peu peu confondue l'ancienne aristocratie gallo-romaine. Propriétaire du sol, illustrée par les exploits militaires, cantonnée au milieu de ses vassaux et retranchée derrière ses murs crénelés, l'aristocratie féodale exerça pendant longtemps les droits régaliens. La lutte de la royauté contre la féodalité remplit une grande partie de l'histoire de France. Dépouillée des droits de souveraineté, dès le xve siècle, la noblesse n'en resta pas moins une des classes privilégiées. Habituée à verser son sang sur les champs de bataille, investie des hautes dignités de la couronne, des gouvernements de province, en possession de vastes domaines et d'une puissance fondée sur de glorieux souvenirs, exempte d'impôts, conservant encore de son ancienne souveraineté une juridiction et des droits considérables, la noblesse avait en France une influence immense. Elle la mérita presque toujours par des traditions de valeur, de loyauté, de patriotisme fidèlement transmises de génération en génération. Son luxe encourageait les arts, et on admire encore aujourd'hui les châteaux dont elle couvrit la France 1.

Le tiers état, dernier des trois ordres, ne datait, comme pouvoir politique, que du XIIIe siècle. Il était sorti du mouvement communal qui avait affranchi la bourgeoisie des grandes villes et lui avait assuré un gouvernement indépendant. Mais le tiers état se distingua profondément des communes. Tandis que celles-ci s'isolaient et tendaient à morceler la France en petites républiques, le tiers état se rattacha à la royauté et contribua à l'unité nationale. Appelé en 1302 aux états généraux, et par conséquent à la vie politique, il soutint énergiquement Philippe le Bel. Dans la suite, quoiqu'il ait plus d'une fois lutté contre la royauté, il fut généralement son allié contre les ordres privilégiés. Ce fut dans le tiers état que les rois prirent leurs ministres les plus dévoués. Ce fut le tiers état qui recruta la ma

tion au droit ecclésiastique (Paris, 1687, 2 vol. in-12); du même, Discours sur l'histoire ecclésiastique; Discours sur les libertés de l'église gallicane; Durand de Maillane, Dictionnaire du droit canonique, etc., (Paris, 1761, 2 vol. in-4). Cf. les indications bibliographiques à la fin de l'article sur les RITES ECCLÉSIASTIQUES.

1. Voy., dans le Dictionnaire, les articles CHEVALERIE, FÉODALITÉ, NOBLESSE. — Cf. les indications bibliographiques données plus haut, p. v, note, et dans le Dictionnaire à la suite de l'article NOBLES, NOBLESSE.

gistrature parlementaire célèbre par sa science et ses vertus. Le commerce, l'industrie, l'administration financière enrichissaient la bourgeoisie. Les habitudes commerciales lui donnaient un génie pratique, dont la netteté et le caractère positif la rendaient éminemment propre au gouvernement. Le clergé inférieur sortait aussi de ses rangs. Peu à peu le tiers état s'éleva au rang de ses aînés par les lumières, les richesses et les dignités administratives. Il aspira alors à l'égalité politique et la conquit en 1789 '.

Ainsi, le clergé par sa science et son influence morale, la noblesse par sa valeur et son patriotisme, le tiers état par son indus`trie, son habileté pratique et son ardeur de progrès, concoururent à la grandeur de la France, jusqu'au jour où une seule et puissante nation sortit de ces divers éléments. En résumé, la France s'est élevée progressivement d'une inégalité odieuse, créée par la conquête, à l'égalité raisonnable, celle qui garantit à tous les citoyens les mêmes droits en leur imposant les mêmes devoirs.

II.

ÉTAT DES TERRES.

Etat des terres sous la domination barbare. L'état des terres est toujours corrélatif à l'état des personnes. La conquête du ve siècle avait créé en Gaule une distinction profonde entre les terres allodiales et les bénéfices. Je ne parle pas des terres tributaires, pour lesquelles les colons payaient le cens. Elles ne constituaient pas une véritable propriété. Le nom d'alleu (all-od, toute propriété, terre possédée en toute propriété) désignait les terres qui, aussitôt après la conquête, avaient été tirées au sort et partagées entre les vainqueurs. De là leur venait encore le nom de sortes barbarica. On les

1. Voy., dans ce Dictionnaire, les articles ASSEMBLÉES POLITIQUES, COMMUNES, ÉTAT tiers), ÉTATS GÉNÉRAUX, MUNICIPALITÉ. — Les ouvrages de M. Aug. Thierry, principalement ses Lettres sur l'histoire de France, l'Introduction aux récits des temps mérovingiens et son Histoire du tiers état, sont les ouvrages les plus utiles à consulter pour l'histoire des communes et du tiers état en France. Les deux premiers volumes des Documents relatifs à l'histoire du tiers état, ont paru dans la collection des Documents inédits, publiés sous les auspices du ministère de l'instruction publique; ils comprennent les documents relatifs à la commune d'Amiens.

appelait aussi terres saliques, du mot sala (maison). L'ahriman campait dans son alleu entouré de ses compagnons d'armes et y était presque souverain. L'alleu était donc, dans le principe, la terre par excellence; il ne payait pas les taxes ordinaires, n'imposait que l'obligation de prendre les armes en cas de guerre générale ou landwehr, et donnait à chaque grand propriétaire une autorité presque absolue dans ses domaines. Mais les avantages mèmes des alleux causèrent leur ruine; les propriétaires de ces terres restèrent isolés, et, dans un temps de confusion et de violence, où la loi était sans force pour garantir la propriété, cet isolement les exposa à des attaques. La plupart furent obligés de se mettre sous la protection d'un seigneur plus puissant; on appela cet usage mainbour, mundeburge ou recommandation. Peu à peu les alleux disparurent, et, dans la suite, on regarda comme une anomalie l'existence d'une de ces terres dont le propriétaire était presque souverain; on les appela royaumes. Telle est l'origine de la tradition sur le royaume d'Yvetot'.

Les bénéfices, au contraire, gagnèrent autant que perdirent les alleux. Le bénéfice ou terre accordée en récompense d'un service rendu dans la guerre n'avait été d'abord concédé que temporairement. Le leude, qui le recevait, était tenu au service militaire, en cas de fehde ou guerre privée, aussi bien qu'en cas de landwher ou guerre générale. Il avait à payer certaines redevances pour sa terre, et, à des époques déterminées, il devait comparaître à la cour du chef de guerre ou konig, et lui rendre, en qualité de ministerialis, certains offices presque serviles. Le leude qui manquait à ces obligations pouvait être privé de son bénéfice; mais peu à peu l'aristocratie des leudes conquit l'indépendance. Dès 560, Clotaire Ier reconnut, par la loi désignée sous le nom de prescription trentenaire, que l'occupation d'un bénéfice pendant trente ans en conférait la propriété. Peu de temps après le traité d'Andelot (587), et surtout le champ de mars de Paris (615), assurèrent aux leudes l'inamovibilité et l'hérédité des bénéfices. Dès lors, les leudes for

1. Voy., dans ce Dictionnaire, les articles AHRIMAN, ALLEUX, BÉNÉFICES, FÉODA LITÉ, LEUDES, MAINBOUR, PROPRIÉTÉ, YVETOT (royaume d'). Outre les ouvrages cités plus haut, p. IV, note, on peut consulter l'Histoire du droit de propriété fon cière en Occident, par M. Ed. Laboulaye (Paris, 1839, in-8).

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