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mèrent une aristocratie territoriale si puissante, que les propriétaires d'alleux aspirèrent à y entrer, et, pour y parvenir, changèrent par la recommandation la nature de leurs terres. Ce fut en vain que Charlemagne lutta contre cette tendance et revendiqua les droits des anciens propriétaires. Après sa mort, l'aristocratie profitant de la faiblesse des rois, usurpa tous les droits de souveraineté, couvrit la France de forteresses, et attacha le pouvoir à la possession du sol. Ainsi naquit la véritable féodalité.

Le système féodal

Importance de la terre dans le régime féodal. consiste surtout, comme l'a très-bien remarqué M. Guizot, dans la confusion de la propriété et de la souveraineté. De là l'importance attachée à la terre féodale ou fief. Les garanties les plus minutieuses en assurent l'intégrité. Elle est inaliénable et indivisible; l'aîné seul en hérite et la transmet de mâle en mâle. De là le droit d'aînesse; l'exclusion des filles du droit de succession; de là ces coutumes qui, comme le retrait lignager, réservaient le droit du seigneur sur la terre. La plupart des droits ou devoirs féodaux : hommage, relief, mainmorte, aubaine, épave, bris, étaient une conséquence de la possession du sol et avaient pour but de la constater et de la garantir. Les croisades portèrent une première atteinte à cette propriété exclusive de la terre par les familles nobles. Les seigneurs, partant pour des contrées lointaines, furent obligés d'aliéner une partie de leurs domaines; ils les vendirent souvent à des vilains qui, à force d'économie et de travail, avaient amassé quelque argent. La richesse mobilière, créée par l'industrie, commença ainsi à compter à côté de la richesse immobilière créée par la conquête.

Etat des terres depuis le XIIIe siècle. Pendant la période monarchique, du xine au XVIIIe siècle, les vilains purent acheter des terres nobles et des francs-fiefs, en payant à la couronne une redevance qu'elle avait soin de stipuler, et qui faisait partie de ses domaines. Malgré les immunités dont continuèrent de jouir les terres nobles et les biens de mainmorte, il y eut possibilité pour tous les citoyens d'arriver à la propriété. Enfin la révolution de 1789, en imposant les mêmes charges à toutes les propriétés, a donné une nouvelle consécration au principe d'égalité. En même temps la vente des biens nationaux et l'abolition des prérogatives féodales contribuèrent encore à la division de la propriété. Les majorats et le droit d'aînesse, qui maintenaient la grande propriété, disparurent. Ainsi,

la France a passé de la propriété conquise par l'épée à la propriété conquise par le travail. A quelques milliers de Francs maîtres du sol et le faisant exploiter par leurs serfs, ont succédé des millions de propriétaires qui fécondent la terre par leur travail '.

Pour faire respecter la propriété et garantir l'état des personnes, il faut une force publique organisée; c'est le gouvernement. Il se divise en pouvoir central et en pouvoir local.

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Le pouvoir central comprend le souverain, ses ministres, les conseils qui les éclairent, et les assemblées nationales, qui, dans les gouvernements constitutionnels, sont chargées de représenter les intérêts du peuple, et de balancer l'autorité du pouvoir exécutif.

Du pouvoir central sous la domination romaine et barbare. L'empire romain avait réuni tout le pouvoir politique entre les mains de l'empereur et de ses ministres. Le préfet du prétoire des Gaules, ses vicaires et les gouverneurs de provinces exerçaient l'autorité souveraine sous la direction de l'empereur, sans aucun contrôle de la nation. Leur unique but était de puiser dans les provinces toutes les ressources en hommes et en argent, et de les faire passer entre les mains du pouvoir central. Instruments de l'empereur, ils pouvaient être brisés par son caprice. L'invasion des barbares qui, depuis 406 jusqu'à la fin du ve siècle, ne cessèrent de ravager la Gaule, détruisit cette tyrannie savamment combinée, et y substitua un gouvernement grossier où le chef de guerre commandait par la force. Les voies romaines disparurent; le vaste réseau de fonctionnaires qui couvrait la Gaule fut rompu, et chaque guerrier franc campé dans ses domaines avec ses hommes d'armes se considéra presque comme un souverain indépendant.

Cependant le souvenir de cette majestueuse unité romaine qui

1. Voy. les articles AUBAIN, FEODALITÉ, HOMMAGE, MAINMORTABLES, NOUVEAUX ACQUÊTS, PROPRIÉTÉ, RELIEF, RETRAIT, et les ouvrages cités plus haut, p. v, note.

étendait son autorité du centre aux extrémités de l'empire, et portait partout ses ordres et ses légions, survécut à l'empire romain. Il grandit même à mesure qu'on s'éloigna de l'époque où dominaient les Césars, semblable aux ruines qui apparaissent plus imposantes dans le lointain. On ne voyait plus la tyrannie des agents du fisc, la misère des curiales et la révolte naissant de l'oppression. Les rois barbares et leurs conseillers gallo-romains ou ecclésiastiques étaient surtout frappés de la puissante unité de l'empire romain et du mécanisme savant de son administration. Ils s'efforcèrent de le reproduire; mais leur gouvernement n'en fut qu'une grossière imitation : le konig ou roi barbare se para de titres romains, prit le diadème, s'entoura de référendaires, de chambellans et de ministeriales.

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Ce fut surtout à l'époque de Charlemagne que la cour impériale présenta l'étrange alliance du cérémonial byzantin et des mœurs de la Germanie. Mais la confusion des pouvoirs militaire, judiciaire et administratif, la prépondérance des grands propriétaires souverains dans leurs domaines, tout attestait l'impuissance des efforts tentés pour faire revivre la centralisation romaine. La féodalité, qui est le dernier terme de l'affaiblissement de l'autorité centrale, finit par annuler la puissance monarchique. La souveraineté confondue avec la propriété se mesura à l'étendue des terres, et les derniers carlovingiens réduits à la ville de Laon furent condamnés à l'impuissance 1. Royauté capétienne. Les premiers capétiens n'étaient guère plus redoutables. L'alliance de Louis VI avec les communes commença à relever le pouvoir central. La royauté capétienne se rattachait à l'Église par le sacre, à la féodalité par l'autorité du suzerain sur le vassal, au peuple par son influence tutélaire; elle ne tarda pas à invoquer le principe romain qui la représentait comme la personnification de l'État, comme la loi vivante. Le duché de France soumis à l'autorité royale, la féodalité vaincue dans les châteaux du Puiset, de Montlhéry, de la Roche-Guyon; le sentiment national s'éveillant à l'approche d'une invasion germanique (1125), l'union étroite de la royauté et du peuple, un mariage enfin qui donnait le duché d'Aquitaine à l'héritier présomptif de la couronne, telles furent les premières causes de la renaissance du pouvoir central en

1. Voy. les articles CAPITULAIRES, FEODALITÉ, MÉROVINGIENS, ROI, § 1, ROMAINS, et ouvrages cités plus haut, p v, note.

France. Les principes romains se propagèrent; la découverte des Pandectes à Amalfi, les leçons de l'école de Bologne, et surtout d'Irnerius, les réponses des jurisconsultes qui déclaraient à Frédéric Barberousse que la volonté du prince était la loi souveraine, enfin ce courant d'idées qui entraîne tout un peuple, la révolution morale qui fait désirer et accepter une forme nouvelle de gouvernement, tout contribua à relever au XIIe siècle la puissance monarchique. Suger écrivait dès cette époque, dans sa Vie de Louis le Gros, que le roi et la loi avaient la même autorité, la même majesté. Lutte de la royauté contre la féodalité. Mais il fallait convertir le droit en fait, détrôner cette multitude de petits souverains établis par la féodalité; il fallait unir sous une même loi et animer d'une même pensée les peuples mobiles et ingénieux de l'Aquitaine, du Languedoc et de la Provence, les descendants des pirates scandinaves, les rudes habitants du Jura et des Alpes, et le Celte indompté de la Bretagne; il fallait substituer à la hiérarchie féodale, fondée sur la propriété territoriale, une hiérarchie de fonctionnaires qui, ne relevant que du pouvoir central, pussent porter ses volontés et faire exécuter ses ordres dans toutes les parties de la France. Cette laborieuse conquête de la puissance monarchique fut l'œuvre de six siècles et d'une politique persévérante servie par des agents dévoués et habiles. A la fin du xi siècle, l'autorité monarchique était encore bien faible; le roi n'était qu'un suzerain à peine reconnu par les grands vassaux. Son autorité législative était restreinte au duché de France; il ne pouvait juger un vassal qu'avec le concours de ses pairs. Les impôts qu'il prélevait se réduisaient à quelques faibles redevances déterminées par les usages féodaux. Le service militaire dû par les vassaux était limité à quarante ou soixante jours, et, dans certains cas, le vassal pouvait combattre le roi; les Établissements de saint Louis lui reconnaissaient formellement ce droit. La même loi proclame la souveraineté de chaque baron dans ses domaines. Telles furent les faibles origines d'une puissance qui devait parvenir au despotisme le plus absolu.

Au XIIIe siè

Triomphe de la royauté et institutions monarchiques. cle, la royauté, grâce aux conquêtes de Philippe Auguste, aux lois de saint Louis et aux institutions de Philippe le Bel, fit reconnaître son autorité dans toute la France. Elle eut la souveraine garde du royaume, comme dit Philippe de Beaumanoir. Au XIVe siècle, après

de longues et cruelles épreuves, l'autorité monarchique établit l'impôt permanent et l'armée permanente (ordonnances de Vincennes, 4373), qui ne devaient être définitivement organisés que sous Charles VII. Le xvc siècle vit tomber la féodalité apanagée, sortie de la tige royale et couvrant de ses rameaux la plus grande partie de la France; Louis XI l'abattit. Au xvIe siècle, la royauté, quoique détournée de ses conquêtes intérieures par les guerres d'Italie, et arrêtée dans ses progrès par les guerres de religion, n'en poursuivit pas moins son plan d'organisation. Les grandes ordonnances émanées du pouvoir central réglèrent toutes les parties de l'administration, armée, finances, justice, commerce, industrie, rapports du spirituel et du temporel. Il n'y eut plus en France qu'un souverain. Vainement les agents de la puissance monarchique, parlements et gouverneurs de provinces, tentèrent contre l'autorité centrale une résistance criminelle. Ils furent vaincus au XVIIe siècle. La royauté, victorieuse des communes, de la féodalité, du clergé, et de toutes les oppositions locales, put dire : « L'État c'est moi! »

La puissance monarchique dégénéra alors en despotisme, glorieux sous Louis XIV, honteux sous son successeur. Louis XVI expia les fautes des règnes précédents, et une révolution brisa le trône. Mais (chose merveilleuse et qui prouve à quel point l'unité de puissance était acceptée par la France!) l'autorité centrale ne fit que s'accroître. Que le pouvoir souverain s'appelle convention, directoire, consulat, empire, royauté constitutionnelle, il couvre la France de ses représentants, il fait pénétrer ses ordres partout, et obtient du pays son sang et ses trésors. Une seule loi, un mode uniforme d'administration, ont succédé aux diversités provinciales; tout part du centre, tout y revient; la France, comme on l'a dit, bat d'un seul cœur. En résumé, l'autorité centrale, puissante sous l'empire romain, affaiblie par les barbares, nulle sous la féodalité, se relève progressivement depuis le XIIe siècle jusqu'à nos jours. Ses conquêtes ont donné à la France l'unité administrative la plus vigoureuse 1.

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1. Voy., sur la royauté et ses progrès en France, l'article Roi et les indications bibliographiques à la suite; voy. aussi les articles CONSTITUTION, ÉTIQUETTE, MAISON DU ROI, Sacre, avec les indications bibliographiques.

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