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mémoires, pour et contre, sur les observations qu'il avoit reçues (1).

Une fatale expérience nous a fait assez connoître les suites déplorables de ces improvisations - législatives, le danger de ces discussions d'un jour dans lesquelles, des orateurs plus ingénieux que sages ne voient qu'un des côtés de la question, et la décident avec la même sécurité que s'ils l'avoient approfondie.

La marche de d'Aguesseau fut lente et circonspecte, parce qu'il pensoit que les lois les mieux observées sont celles que la conviction a fait adopter. Cette marche étoit la seule légale, et d'Aguesseau ne pouvoit désirer de faire le bien autrement que par des voies légitimes.

Alors, l'enregistrement des lois par les Cours supérieures étoit l'unique garantie possible contre les surprises faites à la sagesse du Prince; et les remontrances des magistrats, le seul moyen d'indiquer les inconvéniens ou les imperfections d'une loi nouvelle.

Ces précautions avoient leur origine et leur sanction dans les plus anciens monumens de la monarchie; les souverains les plus éclairés en avoient reconnu les avantages. « Loin de nous, << disoit le meilleur et le plus malheureux de nos «rois, cette crainte de la lumière et de la vérité, <«<et surtout la moindre défiance d'adresser nos lois

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(1) Ces questions, circulaires et extraits sont, pour la mière fois, compris dans la nouvelle Édition des OEuvres de d'Aguesseau,

à l'enregistrement de nos Cours; comme si le << secours de leurs observations, et les éveils de «<leur zèle pouvoient jamais nous être inutiles et « indifférens (1) ».

D'Aguesseau lui-même avoit éprouvé tout ce qu'a de noble et de difficile à la fois, cette situation d'un magistrat réduit à combattre l'opinion personnelle de son Roi, pour demeurer fidèle à ses intérêts.

Les égards qu'il eut pour la magistrature n'ont donc pu être blâmés que par des hommes mal instruits de l'ancienne constitution de la France, ou qui ne prévoyoient pas le danger de méconnoître les usages d'une nation, et d'ébranler des établissemens que le temps a consacrés.

D'ailleurs il jugeoit les magistrats dont il avoit si long-temps été le collègue et l'ami, d'après luimême, d'après ce qu'il avoit vu. Il savoit que si nos Rois, recouvrant la plénitude de la puissance, étoient devenus l'unique source de la force et de la justice; si les agitations de la tyrannie féodale avoient fait place au sage et paisible exercice de leur autorité, les parlemens avoient eu la plus grande part à cette heureuse révolution. Il ne pouvoit oublier que la fidélité et le courage de celui de Paris avoient proclamé la légitimité, jusque sous les poignards des Seize; et que, dans les troubles de la Fronde, Mathieu Molé avoit rappelé le courage des sénateurs romains.

Pouvoit-il prévoir, et ces temps funestes où

(1) Déclaration du 13 février 1780.

l'esprit de sédition, profitant des fautes et de l'incapacité des ministres, descendit des classes les plus élevées jusqu'aux derniers rangs de la société, et préluda, par la lutte imprudente des magistrats contre l'autorité royale, à la révolte du peuple contre toutes les autorités ; et ces jours plus déplorables où cette résistance fut punie par les moyens même qui en avoient assuré le succès ! Semblable à l'homme qui tomba de sa grandeur pour avoir voulu devenir l'égal de son dieu, cette magistrature si respectée en France, si vantée dans l'étranger, tant qu'elle sut se borner à éclairer l'autorité sans la combattre, osa disputer la puissance à son Roi: bientôt, brisée par le peuple qu'elle avoit si indiscrètement appelé à son secours, dépouillée de ses honneurs, frappée dans ses membres, elle devint dépendante, parce qu'elle avoit voulu commander; privée de toute influence politique, parce qu'elle avoit voulu combattre le pouvoir par qui elle existoit; sans force, parce qu'elle avoit abusé de celle qui lui étoit confiée pour punir, et non pour tolérer la désobéissance.

Tel sera, tôt ou tard, le sort de toute institution qui sortant de ses limites, osera s'élever au-dessus de la puissance dont elle est émanée.

Les écrits dont nous avons parlé jusqu'ici furent dictés par le devoir même des emplois dont étoit revêtu d'Aguesseau. Peut-être croira-t-on que cette circonstance, élevant son esprit à la hauteur des objets qu'il avoit à traiter, dut influer

sur la perfection qu'on y remarque, et même sur les éloges qu'ils ont obtenus.

Il n'y auroit sans doute à cela rien d'extraordinaire, rien même qui pût diminuer son mérite; cependant il n'en est point ainsi. Toutes les perfections qu'on admire dans les écrits de l'homme public, on les retrouve dans ceux de l'homme privé, jusque dans ceux qu'il destinoit à ne jamais sortir de sa famille, ou du cercle d'un petit nombre d'amis. Ces derniers l'emportent même sur les autres, par l'universalité des connoissances qu'ils attestent, et l'extrême facilité d'un esprit qui savoit passer des matières les plus difficiles et les plus sérieuses à ce que la littérature offre de plus agréable.

Il faudroit, pour se disposer à rendre un compte fidèle et complet de tous ces ouvrages, dire comme Fontenelle du grand Léibnitz, avec qui d'Aguesseau eut plus d'un trait de ressemblance: « Une lecture universelle et très-assidue, jointe « à un grand génie naturel, le fit devenir tout ce qu'il avoit lu. Ainsi, je suis obligé de le par« tager, et pour parler philosophiquement, de le « décomposer pour le faire connoître ».

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S'il ne nous est pas donné de tenter une telle entreprise, nous essayerons du moins d'indiquer ce qui peut avoir plus de rapport aux études destinées à former le jurisconsulte et l'homme d'état.

Le Mémoire sur le commerce des actions, mérite d'obtenir le premier rang, et par l'importance du sujet, et par les circonstances qui l'ont produit. D'Aguesseau. Tome I.

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D'Aguesseau, chancelier et garde des sceaux, après avoir inutilement combattu un système dont il prévoyoit les suites désastreuses, avoit mieux aimé encourir la disgrâce du Prince, que de revêtir des marques les plus respectables de l'autorité souveraine, des résolutions que réprouvoit

sa conscience.

Cet écrit, si remarquable par des principes d'économie politique vraiment extraordinaires dans un temps où le nom même de cette science étoit inconnu aux Français, contient sur le commerce en général, les règles les mieux déduites du droit naturel, du droit des gens et du droit civil. Il pose les justes limites entre les prétentions légitimes des vendeurs et des acheteurs : il établit par la seule raison, ce que l'expérience a tant de fois prouvé, que dans toutes les spéculations, dans toutes les entreprises, la cupidité immodérée doit trouver un abîme au terme de sa course.

Appliquant ces principes à l'espèce de négociation qu'il avoit plus spécialement en vue, d'Aguesseau démontre ce qu'ont de redoutable pour la société ces systèmes hardis, ces innovations subites, qui changent inopinément la proportion des valeurs et la direction des industries; les désastreux effets des emprunts, des anticipations qui, sous le nom de crédit, ne consistent qu'à dévorer à l'avance le patrimoine des générations futures; la pauvreté réelle cachée sous des dehors trompeurs, et la folie de ceux qui considèrent ce dernier terme de la ruine d'un état, comme la

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