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l'excès, la faveur accordée aux testamens, et des mœurs qui sembloient ne les considérer qu'avec une sorte de défiance (1).

La liberté indéfinie accordée à chaque citoyen d'appeler à sa succession une foule d'héritiers, en les substituant l'un à l'autre, étoit une source intarissable de difficultés et de procès ruineux. La fortune et le repos des familles n'étoient jamais assurés, et les créanciers perdoient ce qu'ils avoient prêté sur des héritages qu'ils ne supposoient point inaliénables. Une loi depuis longtemps désirée (2) restreignit les abus de ce droit, en conservant ce qu'il avoit d'utile et de monarchique. L'uniformité et la simplicité des principes dissipa tout ce que la subtilité des jurisconsultes et les incertitudes de la jurisprudence avoient répandu de doutes et de difficultés dans cette matière ainsi, le système de la législation sur les dispositions à titre gratuit, fut complet.

Les abus et le désordre qui s'étoient glissés dans la rédaction et la conservation des actes authentiques, destinés à constater les trois grandes époques de la vie, et à devenir la source de tous les droits civils, n'échappèrent point à la vigilance de d'Aguesseau: il soumit à une révision impartiale les lois existantes, et les usages introduits pour suppléer ce qu'elles avoient omis (3).

(1) Ordonnance du mois d'août 1735. (2) Ordonnance du mois d'août 1747. (3) Déclaration du 9 avril 1736.

La sagesse des lois est souvent inutile et presque dangereuse, si les citoyens n'ont pas encore pour exercer ou défendre leurs droits, des moyens sûrs et simples qui mettent la vérité à l'abri des ruses de la chicane. Parmi les réformes qu'appeloit la procédure civile, d'Aguesseau distingua ce qui concernoit les faux. Déjà par ses soins, une loi dont une foule de crimes avoit indiqué la nécessité, offroit de sages précautions contre l'abus des blancs-seings, genre de faux d'autant plus redoutable qu'il est plus difficile à découvrir (1). L'instruction et la poursuite de toutes les espèces de faux, jusque-là si difficiles et si obscures, furent réformées; et la nouvelle ordonnance, en éclairant les magistrats', enleva pour jamais aux faussaires, l'espoir d'échapper aux recherches de la justice (2).

Une autre partie de la procédure appeloit aussi d'indispensables réformes. Les évocations et les réglemens de juges réduisoient presque toujours le plaideur indigent, à subir la loi que son adversaire vouloit lui imposer, par l'impossibilité où il étoit de fournir aux frais immenses qu'exigeoient de semblables instances: si la nature et l'ordre des choses ne permirent pas d'anéantir ces sortes de demandes, la loi nouvelle en rendit l'instruction si courte et si peu dispendieuse, que la mauvaise foi ne trouva plus d'intérêt à y recourir (3).

(1) Déclaration du 22 septembre 1733.
(2) Ordonnance du mois de juillet 1737.
(3) Ordonnance du mois d'août 1737.

D'Aguesseau avoit conçu un projet plus vaste, celui d'abréger et de simplifier la procédure dans toutes les jurisdictions de la France. Il crut devoir commencer par le conseil d'état (1); et le beau travail qu'il publia laissa voir qu'il étoit possible d'introduire partout la même simplicité.

Pénétré d'un respect et d'un amour pour la religion, que pouvoit seul égaler son amour pour la justice et son dévouement au Prince, d'Aguesseau, avoit souvent gémi de voir la classe d'ecclésiastiques, la plus utile, la plus laborieuse, réduite à une indigence qui dégradoitses augustes fonctions; et quelquefois obligée de les quitter, soit pour réclamer le droit de ne reconnoître d'autres supérieurs que ceux mêmes que l'Église a préposés, soit pour disputer à des usurpateurs les biens que la piété avoit consacrés au service des autels. La loi qui réforma cette partie de la jurisprudence, ne fut pas un des moindres bienfaits de son adminis tration (2).

Mais en acquittant ainsi la dette du Souverain envers la religion, il ne crut pas que ce fut en méconnoître les droits, que de mettre un obstacle à la multiplication des établissemens ecclésiastiques, et à la facilité qu'ils avoient d'acquérir des biens-fonds. L'édit de 1749, posa des limites avouées à la fois par la piété éclairée et la sage politique en deçà il y avoit abus et danger pour

(1) Règlement du conseil, du 28 juin 1738.

(2) Déclaration du 15 janvier 1731.

l'état; le douzième siècle en avoit offert de nombreux exemples: au-delà il y auroit eu injustice et spoliation; le dix-huitième siècle en a été le témoin, et la propriété, ébranlée dans ses fondemens, a menacé les sociétés d'une dissolution générale (1).

Nous sortirions des bornes et de l'objet de ce discours, si nous donnions plus d'étendue à l'indication des lois dont la France fut redevable à d'Aguesseau. Mais puisque nous avons pour but principal de faire connoître les divers genres de mérite qu'il a réunis dans un si haut degré, comment pourrions-nous omettre de remarquer qu'il porta dans la rédaction de toutes ces lois, la même clarté, la même précision, dont il avoit donné tant d'exemples dans ses autres ouvrages?

Il étoit persuadé que les lois doivent une partie de leur force à la manière dont elles sont rédigées ; et que pour les rendre inaltérables, il faut éviter tout prétexte à l'interprétation qui peut dégénérer en arbitraire.

Sa correspondance nous apprend ce qu'il avoit fait pour prévoir les difficultés, ou résoudre les questions que l'intérêt et la mauvaise foi ne manqueroient pas d'élever bientôt, et les soins qu'il continua de prendre pour lever les doutes des magistrats, et prévenir le retour de l'ancienne diversité de jurisprudence.

On lui a reproché l'extrême importance qu'il

(1) Gibbon, Mémoires, tom. II. p. 418.

mettoit à ses lettres, que, suivant l'expression d'un critique, « il limoit et retouchoit sans « cesse (1) ». >>. Comme si les lettres que le chef de la justice adresse aux magistrats, étoient d'assez frivoles compositions, pour qu'on dût, sous peine de ridicule, s'y interdire une perfection qui ne déplaît pas même dans la correspondance des particuliers !

Cette scrupuleuse attention à ne donner que des réponses mûries avec soin, étoit d'autant plus nécessaire, que dans ce temps où la plénitude de l'autorité législative appartenoit au Monarquel, la fonction de rédiger, d'interpréter les lois et d'en maintenir l'exécution, étoit exclusivement confiée au magistrat, que nos pères appeloient la bouche du prince et le premier homme du

royaume.

D'ailleurs, quelle que soit la forme du gouvernement, les ministres, et surtout celui de la justice, seront souvent consultés. Les questions se multiplieront, en raison de la haute idée qu'on aura des lumières et des vertus de celui à qui on s'adresse; et nous osons le dire, sans crainte d'être accusés d'une injuste rigueur, le ministre qui résoudroit avec négligence, les questions que lui adressent les fonctionnaires placés sous sa direction, qui ne mettroit pas dans ses réponses, l'exactitude scrupuleuse du magistrat ou du législateur, seroit indigne de la haute confiance dont il se trouve investi.

(1) Saint Simon, Mémoires, tome VI. p. 49.

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