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XII.

Car qui a jamais pu rendre le Soleil livide par une morsure venimeuse? oui, tes actions sont au-dessus du péril; elles sont le résultat des conseils de la justice, et le modèle de l'amour du vrai : ce sont elles qui t'ont rendu l'adepte irréprochable de Thémis. Tu as pénétré, avec un cœur plein de vénération, dans le sanctuaire de cette auguste déesse, et tu nous as révélé les oracles des lois, qui font reverdir les villes et les mœurs des mortels, par la rosée des actions honnêtes et ver

tueuses.

ANTOINE KORAÏ, DE CHIOS, faciebat.

DE D'AGUESSEAU.

DISCOURS

POUR

L'OUVERTURE DES AUDIENCES

DU PARLEMENT.

PREMIER DISCOURS,
PRONONCÉ EN 1693:

L'INDÉPENDANCE DE L'AVOCAT.

Tous les hommes aspirent à l'indépendance; mais cet heureux état, qui est le but et la fin de leurs désirs, est celui dont ils jouissent le moins.

Avares de leurs trésors, ils sont prodigues de leur liberté et pendant qu'ils se réduisent dans un esclavage volontaire, ils accusent la nature d'avoir formé en eux un vœu qu'elle ne contente jamais.

Ils cherchent dans les objets qui les environnent, un bien qu'ils ne peuvent trouver que dans euxmêmes, et ils demandent à la fortune un présent qu'ils ne doivent attendre que de la vertu.

Trompés par la fausse lueur d'une liberté apparente, ils éprouvent toute la rigueur d'une véritable D'Aguesseau. Tome I.

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I

tyrannie. Malheureux par la vue de ce qu'ils n'ont pas, sans être heureux par la jouissance de ce qu'ils possèdent; toujours esclaves, parce qu'ils désirent toujours, leur vie n'est qu'une longue servitude, et ils arrivent à son dernier terme, avant que d'avoir senti les premières douceurs de la liberté.

Les professions les plus élevées sont les plus dépendantes et dans le temps même qu'elles tiennent tous les autres états soumis à leur autorité, elles éprouvent à leur tour cette sujétion nécessaire, à laquelle l'ordre de la société a réduit toutes les conditions.

Celui que la grandeur de ses emplois élève audessus des autres hommes, reconnoît bientôt que le premier jour de sa dignité a été le dernier de son indépendance.

Il ne peut plus se procurer aucun repos qui ne soit fatal au public: il se reproche les plaisirs les plus innocens, parce qu'il ne peut plus les goûter que dans un temps consacré à son devoir.

Si l'amour de la justice, si le désir de servir sa patrie peuvent le soutenir dans son état, ils ne peuvent l'empêcher de sentir qu'il est esclave, et de regretter ces jours heureux, dans lesquels il ne rendoit compte de son travail et de son loisir qu'à lui

même.

La gloire fait porter des chaînes plus éclatantes à ceux qui la cherchent dans la profession des armes; mais elles ne sont pas moins pesantes; et ils éprouvent la nécessité de servir, dans l'honneur même du commandement.

Il semble que la liberté, bannie du commerce des hommes, ait quitté le monde qui la méprisoit ; qu'elle ait cherché un port et un asile assuré dans la solitude, où elle n'est connue que d'un petit nombre d'adorateurs, qui ont préféré la douceur d'une liberté obscure, aux peines et aux dégoûts d'une illustre servitude.

Dans cet assujettissement presque général de toutes les conditions, un ordre aussi ancien que la magistra

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ture, aussi noble que la vertu, aussi nécessaire que la justice, se distingue par un caractère qui lui est propre; et seul entre tous les états, il se maintient toujours dans l'heureuse et paisible possession de son indépendance.

Libre sans être inutile à sa patrie, il se consacre au public sans en être esclave; et condamnant l'indifférence d'un philosophe, qui cherche l'indépendance dans l'oisiveté, il plaint le malheur de ceux qui n'entrent dans les fonctions publiques, que par la perte de leur liberté.

La fortune le respecte; elle perd tout son empire sur une profession qui n'adore que la sagesse : la prospérité n'ajoute rien à son bonheur, parce qu'elle n'ajoute rien à son mérite; l'adversité ne lui ôte rien, parce qu'elle lui laisse toute sa vertu.

Si elle conserve encore des passions, elle ne s'en sert plus que comme d'un secours utile à la raison; et les rendant esclaves de la justice, elle ne les emploie que pour en affermir l'autorité.

Exempte de toute sorte de servitudes, elle arrive à la plus grande élévation, sans perdre aucun des droits de sa première liberté; et dédaignant tous les ornemens inutiles à la vertu, elle peut rendre l'homme noble sans naissance, riche sans biens, élevé sans dignités, heureux sans le secours de la fortune.

Vous qui avez l'avantage d'exercer une profession si glorieuse, jouissez d'un si rare bonheur; connoissez toute l'étendue de vos priviléges, et n'oubliez jamais que, comme la vertu est le principe de votre indépendance, c'est elle qui l'élève à sa dernière perfection.

Heureux d'être dans un état, où faire sa fortune et faire son devoir ne sont qu'une même chose; où le mérite et la gloire sont inséparables; où l'homme, unique auteur de son élévation, tient tous les autres hommes dans la dépendance de ses lumières, et les force de rendre hommage à la seule supériorité de son génie !

Ces distinctions qui ne sont fondées que sur le hasard de la naissance, ces grands noms dont l'orgueil

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