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vos exemples, éclairé par vos oracles, achevez votre et soutenez avec moi un fardeau ouvrage, vous je n'aurois jamais porté.

que

sans

Le public témoin depuis dix ans de votre indulgence pour moi, le sera éternellement de ma reconnoissance pour vous, et de mon zèle pour la dignité d'une compagnie où j'ai presque eu le bonheur de naître, et où la bonté du Roi m'assure par ses bienfaits, l'honneur de passer avec vous tous les jours d'une vie dont je ne souhaite la durée que pour la consacrer plus long-temps à votre gloire.

CINQUIÈME MERCURIALE,

COMPOSÉE POUR PAQUES, 1702:

L'AMOUR DE LA SIMPLICITÉ.

DANS un temps où l'ancienne sévérité des lois semble se ranimer pour proscrire le luxe et la fausse grandeur, la magistrature, dont un des principaux devoirs a toujours été le sage éloignement de ces vices, ne doit-elle pas par sa conduite prêter de nouvelles forces à l'autorité de la loi qui les condamae, et par la voie moins rigoureuse, mais plus persuasive des exemples, rétablir, s'il est possible, la simplicité dans les mœurs?

Qu'il nous soit donc permis en ces jours solennels, destinés à nous retracer l'image de nos devoirs, de rappeler au magistrat l'idée de cette vertu, précieuse dans tous les temps, et qui fait le bonheur de toutes les conditions.

Ennemie de l'artifice, de la pompe et de l'ostentation, elle consacre l'homme à la vérité, et l'attache à son devoir par des liens indissolubles; elle l'éclaire sur la véritable grandeur; elle lui fait connoître que ce n'est qu'à sa foiblesse qu'il faut imputer la recherche de ses dehors brillans inventés pour le déguiser aux yeux des autres et pour le dérober, s'il se pouvoit, aux siens propres ; que l'éclat extérieur n'augmente pas le prix des talens et de la raison; que la sagesse l'a toujours dédaigné, et qu'il est le partage de ces mérites superficiels qui se repaissent du vain plaisir d'en imposer au vulgaire.

Ce n'est pas que par un caprice farouche la simplicité de mœurs méprise l'estime du public; elle en connoît les avantages utiles à la vertu même,

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elle cherche à la mériter et non à la surprendre; elle ignore l'art de se faire valoir; elle ne pense qu'à faire le bien, et ne s'occupe pas à le faire remarquer aux autres; elle se montre telle qu'elle est, et néglige les secours et les ornemens étrangers.

Semblable à ces personnes que la nature elle-même a ornées d'une beauté vraie, qui méprisent un éclat emprunté peu attentives aux grâces qui les parent, elles plaisent sans chercher à plaire, et même sans paroître le savoir, et remportent sur l'art et sur l'affectation une victoire qui ne leur coûte ni soins ni désirs.

Telle se montre à nos yeux une noble et vertueuse simplicité non contente de conduire le cœur et d'éclairer l'esprit, elle règle encore l'extérieur dont elle écarte tout le faste; elle se peint dans tous les traits de l'homme de bien, et se fait sentir dans toutes ses paroles; elle bannit les expressions trop recherchées; enfin, elle imprime aux moindres actions ce caractère aimable de vérité qui fait toute la sûreté et toute la douceur de la société civile.

Mais si la raison ramène tous les hommes à la simplicité de moeurs, la justice en fait une loi encore plus indispensable au ministre qu'elle choisit pour prononcer ses oracles.

Il doit se regarder quelquefois comme le protecteur et toujours comme le père de ceux qui recourent à son autorité. Loin de les éloigner de lui par un appareil fastueux, son premier devoir est de rassurer leur timidité et d'exciter leur confiance; il faut que tout annonce en lui un ministre de paix et de justice; qu'il soit à portée de toutes les conditions; que le foible et l'opprimé puissent espérer que leurs plaintes seront portées directement à celui qui peut les faire finir; que rien n'arrête et n'étouffe la voix du pauvre

qui implore son secours ; et que né pour le peuple, son extérieur ne soit pas moins populaire que son cœur même.

Dépositaire public de toutes les vertus, c'est par leur éclat seul qu'il doit briller; le luxe, le faste et

la vanité ne lui offrent que des objets frivoles, incapables d'éblouir une ame qui se sent destinée à de grandes choses; le bien public est son objet unique; il ne trouve de véritable plaisir qu'à être utile à sa patrie.

Toutes les fonctions de la magistrature sont toujours respectables à ses yeux; si elles ne lui semblent pas également augustes, aucune ne lui paroît pouvoir être méprisée; il n'imite point ces hommes fastueux dont l'attention se prête avec plaisir à ces contestations célèbres qui leur paroissent faire honneur à leur pouvoir, où être véritablement dignes de leur application, et se refusent à ces causes légères et à ces détails rebutans en eux-mêmes, qui entrent essentiellement dans l'ordre de la justice. Il sait que la destinée des pauvres y est presque toujours attachée, et que le véritable honneur du magistrat n'est pas de prononcer entre les grands ou sur des difficultés importantes, mais de retracer dans ses jugemens l'image fidèle et vivante de la loi même qui établit des règles invariables sans distinguer les personnes et les conditions.

Ennemi de toute affectation, il ne fait sentir aux autres aucune supériorité, ni de naissance, ni de talens; toujours prêt de faire à la justice un sacrifice de ses opinions les plus chéries, les contradictions l'instruisent loin de le révolter; une éloquence douce et vraie semble couler de ses lèvres ; la candeur et la modestie qui se montrent dans son extérieur, découvrent la pureté de son cœur. C'est ainsi qu'il mérite la confiance des autres ministres de la justice, et que la vérité qu'il a trouvéc, parce qu'il la cherchoit sans prévention, triomphe parce qu'il la défend sans aigreur.

Loin de lui les soins inquiets qui captivent les autres hommes. Le luxe étale en vain en d'autres lieux tout ce qu'il peut avoir de plus séduisant, il n'en est point ébloui; il lui préfère l'ancienne simplicité qu'il aime à conserver, à retenir du moins autant qu'il est en son pouvoir; les seules vertus lui paroissent les D'Aguesseau. Tome I.

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seuls ornemens dignes de son état; sa vie uniforme mais toujours vénérable, se passe ou dans une heu→ reuse ignorance de ce qu'on appelle les avantages de la fortune, ou (ce qui est plus estimable encore,) dans une noble disposition de cœur à n'en être point touché. Une vie simple en apparence, mais vraiment digne d'un magistrat, a été dans tous les temps le caractère et l'heureux partage des plus illustres ministres de la justice.

Cette vertu éloignée de toute affectation, lui attire bientôt une considération supérieure à celle de la plus brillante fortune; mais cette considération même ne diminue rien de la simplicité de ses mœurs, il est surpris de ce qu'on lui fait un mérite de cet attachement invariable à ses devoirs; il ignore seul qu'il est digne de louanges, et il semble quelquefois que l'estime et la reconnoissance publique, biens sur lesquels il a un droit si légitime, le gênent et l'embarrassent. Pour conserver cette précieuse simplicité, le magistrat évite avec soin de se laisser surprendre au d'un sage vain éclat des objets extérieurs; il sait que mépris pour ces objets dépend tout son bonheur, et qu'en se livrant à la jouissance de ces faux biens, on perd peu-à-peu le goût qui nous attachoit aux véritables.

Artisans de nos propres malheurs, nous prêtons nous-mêmes les plus fortes armes aux ennemis de notre raison; nous commençons par traiter de grossiers, ces temps heureux où l'on ne connoissoit point le luxe ni un vain faste; il semble que nous ignorions à quel point il est dangereux de se familiariser avec des séducteurs qui deviennent ensuite des tyrans domestiques. L'admiration commence à séduire notre ame; elle est bientôt suivie de nos désirs : un malheureux rafinement nous les présente de jour en jour sous de plus flatteuses images, et nous croyons perfectionner notre goût, lorsque nous ne faisons qu'affoiblir notre vertu.

On se persuade que l'attachement aux avantages extérieurs n'a rien de contraire à l'esprit de justice

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