Page images
PDF
EPUB

du commun des hommes se flatte, et dont les sages même sont éblouis, deviennent des secours inutiles dans une profession dont la vertu fait toute la noblesse, et dans laquelle les hommes sont estimés, non par ce qu'ont fait leurs pères, mais par ce qu'ils font eux

mêmes.

Ils quittent, en entrant dans ce corps célèbre, le rang que les préjugés leur donnoient dans le monde, pour reprendre celui que

la raison leur donne dans l'ordre de la nature et de la vérité.

La justice qui leur ouvre l'entrée du barreau, efface jusqu'au souvenir de ces différences injurieuses à la vertu, et ne distingue plus que par le degré du mérite, ceux qu'elle appelle également aux fonctions d'un même ministère.

Les richesses peuvent orner une autre profession; mais la vôtre rougiroit de leur devoir son éclat. Elevés au comble de la gloire, vous vous souvenez encore que vous n'êtes souvent redevables de vos plus grands honneurs, qu'aux généreux efforts d'une vertueuse

médiocrité.

Ce qui est un obstacle dans les autres états, devient un secours dans le vôtre. Vous mettez à profit les injures de la fortune; le travail vous donne ce que la nature vous a refusé; et une heureuse adver sité a souvent fait éclater un mérite, qui auroit vieilli sans elle dans le repos obscur d'une longue prospérité.

Affranchis du joug de l'avarice, vous aspirez à des biens qui ne sont point soumis à sa domination. Elle peut à son gré disposer des honneurs; aveugle dans ses choix, confondre tous les rangs, et donner aux richesses les dignités qui ne sont dues qu'à la vertu : quelque grand que soit son empire, ne craignez pas qu'il s'étende jamais sur votre profession.

Le mérite, qui en est l'unique ornement, est le seul bien qui ne s'achète point : et le public, toujours libre dans son suffrage, donne la gloire, et ne la vend jamais.

Vous n'éprouvez ni son inconstance, ni son ingra titude: vous acquérez autant de protecteurs que vous

avez de témoins de votre éloquence; les personnes les plus inconnues deviennent les instrumens de votre grandeur; et pendant que l'amour de votre devoir est votre unique ambition, leurs voix et leurs applaudissemens forment cette haute réputation que les places les plus éminentes ne donnent point. Heureux de ne devoir ni les dignités aux richesses, ni la gloire aux dignités !

Que cette élévation est différente de celle que les hommes achètent au prix de leur bonheur, et souvent même de leur innocence !

Ce n'est point un tribut forcé que l'on paye à la fortune par bienséance ou par nécessité : c'est un hommage volontaire, une déférence naturelle que les hommes rendent à la vertu, et que la vertu seule a droit d'exiger d'eux.

Vous n'avez pas à craindre que l'on confonde, dans les honneurs que l'on vous rend, les droits du mérite avec ceux de la dignité, ni que l'on accorde aux emplois le respect que l'on refuse à la personne; votre grandeur est toujours votre ouvrage, et le public n'admire en vous que vous-mêmes.

Une gloire si éclatante ne sera pas le fruit d'une longue servitude : la vertu dont vous faites profession n'impose à ceux qui la suivent d'autres lois que celles de l'aimer; et sa possession, quelque précieuse qu'elle soit, n'a jamais coûté que le désir de l'obtenir.

Vous n'aurez point à regretter des jours vainement perdus dans les voies pénibles de l'ambition, des services rendus aux dépens de la justice, et justemext payés par le mépris de ceux qui les ont reçus.

Tous vos jours sont marqués par les services que vous rendez à la société. Toutes vos occupations sont des exercices de droiture et de probité, de justice et de religion. La patrie ne perd aucun des momens de votre vie; elle profite même de votre loisir, et elle jouit des fruits de votre repos.

Le public, qui connoît quel est le prix de votre temps, vous dispense des devoirs qu'il exige des autres hommes; et ceux dont la fortune entraîne toujours

après elle une foule d'adorateurs, viennent déposer chez vous l'éclat de leur dignité, pour se soumettre à vos décisions, et attendre de vos conseils la paix et la tranquillité de leurs familles.

Quoique rien ne semble plus essentiel aux fonctions de votre ministère que la sublimité des pensées, la noblesse des expressions, les grâces extérieures, et toutes les grandes qualités dont le concours forme la parfaite éloquence, ne croyez pourtant pas que votre réputation soit absolument dépendante de tous ces avantages; et quand même la nature vous auroit envié quelqu'un de ces talens, ne privez pas le public des secours qu'il a droit d'attendre de vous.

Ces talens extraordinaires, cette grandé et sublime éloquence, sont des présens du ciel, qu'il n'accorde que rarement. On trouve à peine un oraleur parfait dans une longue suite d'années; tous les siècles n'en ont pas produit; et la nature s'est reposée longtemps, après avoir formé les Cicéron et les Démosthène.

Que ceux qui ont reçu ce glorieux avantage jouissent d'une si rare félicité; qu'ils cultivent ces semences de grandeur qu'ils trouvent dans leur génie, qu'ils joignent les vertus acquises aux talens naturels; qu'ils dominent dans le barreau, et qu'ils fassent revivre dans nos jours la noble simplicité d'Athènes, et l'heureuse fécondité de l'éloquence de Rome.

Mais si les premiers rangs sont dus à leurs grandes qualités, on peut vieillir avec honneur dans les seconds: et dans cette illustre carrière, il est glorieux de suivre ceux même qu'on n'espère pas d'égaler.

Disons enfin à la gloire de votre ordre, que l'éloquence même, qui paroît son plus riche ornement, ne vous est pas toujours nécessaire pour arriver à la plus grande élévation : et le public, juste estimateur du mérite, a fait voir par d'illustres exemples, qu'il savoit accorder la réputation des plus grands avocats, à ceux qui n'avoient jamais aspiré à la gloire des

orateurs.

La science a ses couronnes aussi bien que l'élo

quence. Si elles sont moins brillantes, elles ne sont pas moins solides; le temps, qui diminue l'éclat des unes, augmente le prix des autres. Ces talens stériles pendant les premières années, rendent avec usure, dans un âge plus avancé, ce qu'ils refusent dans la jeunesse; et votre ordre ne se vante pas moins des grands hommes qui l'ont enrichi par leur érudition, que de ceux qui l'ont orné par leur éloquence.

C'est ainsi que par des routes différentes, mais toujours également assurées, vous arrivez à la même grandeur; et ceux que les moyens ont séparés, se réunissent dans la fin.

Parvenus à cette élévation qui, dans l'ordre du mérite, ne voit rien au-dessus d'elle, il ne vous reste plus, pour ajouter un dernier caractère à votre indépendance, que d'en rendre hommage à la vertu, de qui vous l'avez reçue.

L'homme n'est jamais plus libre que lorsqu'il assujettit ses passions à la raison, et sa raison à la justice. Le pouvoir de faire le mal, est une imperfection, et non pas un caractère essentiel de notre liberté; et elle ne recouvre sa véritable grandeur, que lorsqu'elle perd de cette triste capacité, qui est la source de toutes ses disgrâces.

Le plus libre et le plus indépendant de tous les êtres, n'est tout puissant que pour faire le bien; son pouvoir infini n'a point d'autres bornes que le mal.

Les plus nobles images de la divinité, les rois que l'écriture appelle les dieux de la terre, ne sont jamais plus. grands que lorsqu'ils soumettent toute leur grandeur à la justice, et qu'ils joignent au titre de maître du monde, celui d'esclave de la loi.

Dompter par la force des armes ceux qui n'ont pu souffrir le bonheur d'une paix que la seule modération du vainqueur leur avoit accordée; résister aux efforts d'une ligue puissante de cent peuples conjurés contre sa grandeur; forcer des princes jaloux de sa gloire d'admirer la main qui les frappe et de louer les vertus qu'ils haissent; agir également partout, et ne devoir ses victoires qu'à soi-même, c'est le

portrait d'un héros, et ce n'est encore qu'une idée imparfaite de la vertu d'un roi.

Etre aussi supérieur à sa victoire qu'à ses ennemis; ne combattre que pour faire triompher la religion; ne régner que pour couronner la justice; donner à ses désirs des bornes moins étendues que celles de sa puissance; et ne faire connoître son pouvoir à ses sujets, que par le nombre de ses bienfaits; être plus jaloux du nom de père de la patrie que du titre de conquérant, et moins sensible aux acclamations qui suivent ses triomphes qu'aux bénédictions du peuple soulagé dans sa misère, c'est la parfaite image de la grandeur d'un prince. C'est ce que la France admire; c'est ce qui fait son indépendance dans la guerre ; et qui fera un jour son bonheur dans la paix.

Tel est le pouvoir de la vertu : c'est elle qui fait régner les rois, qui élève les empires, et qui, dans toutes sortes d'états, ne rend l'homme parfaitement libre, que lorsqu'elle l'a rendu parfaitement soumis aux lois de son devoir.

Vous donc qui, par une heureuse prérogative, avez reçu du ciel le riche présent d'une entière indépendance, conservez ce précieux trésor; et si vous êtes véritablement jaloux de votre gloire, joignez la liberté de votre cœur à celle de votre profession.

Moins dominés par la tyrannie des passions que le commun des hommes, vous êtes plus esclaves de la raison; et la vertu acquiert autant d'empire sur vous, que la fortune en a perdu.

Vous marchez dans une route élevée, mais environnée de précipices; et la carrière où vous courez est marquée par les chutes illustres de ceux qu'un sordide intérêt et un amour déréglé de leur indépendance, a précipités du comble de la gloire à laquelle ils étoient parvenus.

Les uns, indignes du nom d'orateur, ont fait de l'éloquence un art mercenaire; et, se réduisant les premiers en servitude, ils ont rendu le plus célebre de tous les états, esclave de la plus servile de toutes les passions.

« PreviousContinue »