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promesse; qu'il n'y a presque point d'obligation que l'on puisse annuler sans les lettres du prince, exceptera-t-on de cette règle générale, la plus indissoluble de toutes les obligations, et le contrat le plus important de la société civile? Permettra-t-on à un homme, qui se croit engagé, qui a persévéré dans cet engagement pendant tant d'années, de se rendre juge de la validité de son engagement, de rompre ses nœuds par son autorité particulière, et de contracter un second mariage, sans avoir fait déclarer la nullité du premier ?

Nous n'ignorons pas cependant que l'on a confirmé plusieurs mariages contractés au préjudice d'un premier engagement.

Mais dans quelle espèce a-t-on pu rendre de pareils jugemens? Lorsque le premier mariage étoit tellement nul, que les parties ne pouvoient se croire véritablement engagées; lors, par exemple, qu'un fils de famille mineur, dont la séduction est constante, s'étant marié sans publication de bans, sans présence du propre curé, réclame aussitôt après son mariage l'autorité des lois et la protection de la justice. Quoiqu'il fut plus régulier d'attendre que le premier mariage fùt déclaré nul, on excuse cependant la précipitation d'un homme qui s'engage avant la fin d'un procès dont l'événement ne peut être douteux.

Mais lorsque les parties ont cru leur engagement valable pendant le cours de seize années entières, lorsqu'ils l'ont déclaré par des actes publics, lorsque l'église les a reçus à la participation de ses sacremens, comme des personnes dont l'union étoit légitime; que le public les a toujours considérés comme mari et femme, qu'eux-mêmes se sont toujours donnés cette qualité mutuellement ne doit on pas rentrer dans le droit commun, et décider que ce premier mariage, défectueux à la vérité dans son commencement est néanmoins un empêchement capable de dirimer ceux qui l'ont suivi, et ne peut-on pas dire que la seconde et la troisième femme, sont ici sans intérêt, puisqu'indépendamment de la validité du

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premier mariage, il faudroit toujours prononcer la nullité des engagemens qu'elles soutiennent, et que, dans le concours d'un mariage douteux avec un mariage nul, le premier mériteroit toujours la préférence, surtout lorsque la longue possession, et autres circonstances que nous avons observées, semblent l'avoir entièrement affermi?

Si le premier mariage ne peut plus désormais recevoir aucune atteinte, il est superflu d'entreprendre de dissiper les ténèbres qui environnent le mariage de Dreux; il est inutile d'examiner si la surprise et la violence ont arraché à l'Escuyer un consentement involontaire, ou si c'est lui au contraire qui, après avoir enlevé une fille à ses parens, ne lui a laissé pour prix de sa complaisance, que le nom honteux de concubine. La transaction d'Elisabeth de la Sanserie n'est point contraire aux bonnes mœurs, son désistement est valable.

Nous ne vous dirons point non plus que le troisième mariage n'est pas aussi favorable qu'on a voulu vous le persuader; que dans le temps que l'on prétend prouver, par des actes publics, que l'Escuyer demeuroit dans la paroisse de Saint-Louis en l'île, on le suppose néanmoins dans la publication des bans, domicilié dans celle de Saint-Roch; qu'un prêtre inconnu assure le curé du consentement du père et de la mère de l'Escuyer; que la procuration qu'on rapporte aujourd'hui, n'est point énoncée dans l'acte de célébration, qu'elle est sous signature privée; que dans le temps de ce mariage, non-seulement l'Escuyer avoit perdu le souvenir de ses premiers engagemens, mais qu'il avoit même oublié le nom de son père, puisqu'au lieu de le nommer AdamSimon l'Escuyer, on lui donne le nom de François l'Escuyer; qu'enfin, depuis la célébration de ce prétendu mariage, l'Escuyer a encore demeuré, pendant plus d'une année, avec sa première femme; qu'ainsi ce dernier engagement n'est pas exempt des soupçons de fausseté, de supposition, de clandestinité qui ren

droient le premier nul, s'ils n'avoient été réparés dans

la suite.

Sans entrer dans l'examen de toutes ces circonstances, dès le moment que le premier mariage subsiste, tous ceux qui l'ont suivi sont des engagemens illégitimes, auxquels on ne peut donner le nom de mariage, que pour convaincre l'Escuyer d'infidélité, d'imposture, ou du crime de polygamie.

Nous n'avons donc plus qu'une difficulté à examiner par rapport à l'intérêt des parties: elle consiste à savoir si les derniers mariages ne pouvant subsister, la troisième femme n'est pas bien fondée à demander au moins des dommages et intérêts.

Toutes les circonstances de cette cause nous persuadent qu'on ne peut lui refuser sans injustice une réparation très-considérable. C'est une fille d'une naissance élevée au-dessus de celle de l'Escuyer, plus malheureuse que coupable dans cette affaire. Elle n'avoit aucune connoissance des premiers engagemens de son prétendu mari. Elle a été trompée par le nom et par l'apparence de mariage. Sa bonne foi, la perfidie de celui qu'elle a cru avoir pour époux, doivent vous porter, MESSIEURS, à lui accorder cette triste consolation dans son malheur.

Jusqu'ici, MESSIEURS, nous n'avons parlé que de ce qui regarde l'intérêt des particuliers: nous vous avons expliqué les différentes raisons qu'on emploie de part et d'autre, nous y avons joint nos réflexions; et, quoique le premier mariage ne soit pas exempt d'abus, qu'il paroisse au contraire plein de nullités, nous avons cru qu'elles étoient réparées par tout ce qui les a suivies, et que les fins de non-recevoir devoient décider cette contestation. Mais nous ne pouvons finir ce discours, sans vous représenter ici que l'intérêt public exige aujourd'hui de votre justice ce que les parties qui plaident ne vous ont point encore demandé.

Vous avez reconnu, par toutes les circonstances de cette cause, le caractère de l'Escuyer; sa légèreté,

son insconstance, la perfidie avec laquelle il a abusé de la facilité de trois femmes différentes, la profanation qu'il a faite des sacremens. La religion et la justice, l'église et l'état, l'intérêt public et particulier vous demandent également un exemple qui arrête par la crainte d'une juste punition, ceux que

l'honneur et la conscience ne sauroient retenir dans leur devoir, et qui réprime ces excès si fréquens de nos jours, qu'ils ont presque désarmé la juste sévérité des lois.

Si nous regardons cette affaire par rapport à l'utilité des parties qui en attendent la décision, elle est pleine de doutes, d'obscurité, d'incertitude. Le combat perpétuel de la rigueur des lois avec l'équité, en rend la décision si difficile, que nous aurions souhaité plusieurs fois de n'être point obligés de nous déterminer dans une cause si douteuse.

Mais, à l'égard de l'intérêt public, elle ne peut recevoir aucune difficulté; et puisque le temps et le silence du père rendoient le premier mariage favorable, les obligations de la place que nous avons l'honneur d'occuper, nous imposent la nécessité de vous parler ici au nom du public. Nous croirions manquer à notre devoir, et trahir notre ministère, si nous ne représentions à la cour, que quelque parti qu'elle prenne dans cette cause, il est toujours également nécessaire de décerner une prise de corps contre l'Escuyer. Si elle juge dès à présent cette contestation, et qu'elle confirme, par son arrêt, le parti que nous osons lui proposer, elle le déclarera en même temps atteint du crime de polygamie; et lorsqu'il sera arrêté, il ne s'agira plus que de prononcer sa condamnation.

Si au contraire la grande difficulté de cette affaire vous oblige, MESSIEURS, à suspendre votre jugement pour balancer toutes les raisons différentes qui se rencontrent de part et d'autre, vous avez dès à présent assez de preuves du crime de l'Escuyer pour lui faire son procès. Quel que soit l'événement de cette contestation, il sera toujours coupable, et il a mérité,

par sa conduite, d'être sacrifié à la tranquillité des familles, à l'observation des lois, et à la vengeance publique.

Ainsi, nous estimons qu'il y a lieu de recevoir la partie de M. Chibert et celle de M.e de Retz, parties intervenantes, faisant droit sur leur intervention, donner acte à la partie de M. Boischevrel, de ce qu'elle se désiste de l'appel comme d'abus qu'elle avoit interjeté de la célébration du premier et du troisième mariage, ensemble des lettres de rescision qu'elle avoit obtenues contre la transaction de l'année 1680. En conséquence, en tant que touchent les appellations comme d'abus interjetées par la partie de M. Tévart, de la célébration du premier mariage, et par celle de M. de Retz, de la sentence de l'official, la déclarer non-recevable; et, sur l'appel comme d'abus, interjeté par la partie de M. Joly de Fleury, de la célébration du second et troisième mariage, dire qu'il y a abus, déclarer la partie de M. Chibert, fille légitime de Pierre-Antoine l'Escuyer et d'Anne Pousse, condamner la partie de M. Soucaville aux dommages et intérêts de la partie de M. Tévart, qui nous paroissent devoir être fort considérables. Faisant droit sur nos conclusions, ordonner que l'Escuyer sera pris et appréhendé au corps, et conduit dans les prisons de la conciergerie, pour lui être son procès fait et parfait, à la requête de M. le procureur-général.

ARRÊT prononcé par M. le président de Harlay le 19 juillet 1691.

ENTRE damoiselle Anne Pousse, femme du défendeur ci après nommé, tant en son nom, que pour damoiselle Geneviève l'Escuyer, leur fille, appelante comme d'abus des célébrations de deux mariages par le défendeur contractés, l'un avec damoiselle Élisabeth de la Sanserie, le six février mil six cent soixante-treize, et l'autre du vingt-huit février mil six cent soixante-dix-huit, avec damoiselle Anne de Cormeille, depuis et au préjudice du mariage de ladite appelante avec ledit intimé ci-après nommé, d'une part; Antoine l'Escuyer, sieur de la Fernaye, mari de l'appelante, intimé, d'autre. Et entre ladite damoiselle Pousse, esdits noms, demanderesse aux fins

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