Page images
PDF
EPUB

dans ces bans, les véritables noms des parties, on y cache la qualité de l'Escuyer, on lui attribue un faux domicile; au lieu des noms de Pierre-Antoine l'Escuyer et Anne Pousse, on donne à l'un celui d'Antoine de la Rouvray, à l'autre celui d'Anne de la Ferrière. L'Escuyer étoit un fils de famille, en puissance de père et de mère: on publie ses bans comme s'il avoit été libre. On dit que son père et sa mère sont décédés. Il demeuroit dans la paroisse de Saint-Louis dans l'île; on le suppose domicilié dans celle de Saint-Sulpice. Les trois bans sont publiés, ils ne reçoivent aucune opposition.

Le 11 novembre 1662, on dresse des articles de mariage sous seing-privé. On stipule qu'il n'y aura point de communauté entre les futurs conjoints. On promet à la future épouse un douaire préfix de 600 livres de rente. Enfin, le futur époux lui fait une donation de 3000 livres en cas qu'elle le survive.

Le 13 novembre, ces deux mineurs, l'un en puissance de son père, l'autre accusée de séduction, se marient dans l'église de Saint-Sulpice. La même supposition de noms qui avoit favorisé la publication des bans, servit à cacher la célébration du mariage. L'Escuyer voulut concilier les intérêts de son devoir avec ceux de sa passion. On prétend qu'après son mariage, il demeuroit tantôt avec son père, et tantôt avec sa femme, se partageant entre l'une et l'autre, et remplissant alternativement les devoirs de fils et de mari.

En l'année 1663, il obtint une commission dans les aides de la province d'Anjou. Il fut obligé de s'y établir. Anne Pousse l'y suivit : elle y accoucha, en l'année 1668, d'une fille, qui fut baptisée dans la paroisse du Bourgneuf. La présence paternelle, la crainte des ressentimens d'une famille justement irritée, avoient empêché jusqu'alors l'Escuyer de publier son mariage. Il crut pouvoir rendre un témoignage sincère à la vérité dans une province éloignée de la demeure de son père. Il fit baptiser sa fille

sous le nom de fille légitime de l'Escuyer et d'Anne Pousse. Le même jour qu'elle reçut le baptême, son père et sa mère, voulant assurer son état, et commençant dès-lors à établir la vérité de leur mariage, déclarent, par un acte authentique passé devant notaires, qu'en l'année 1662 ils ont été mariés dans la paroisse de Saint-Sulpice que des considérations particulières les obligèrent pour lors de dissimuler leur véritable nom, pour emprunter celui de la Rouvray et de la Ferrière. Que, dans la crainte qu'ils ont que cette supposition ne pût un jour préjudicier à l'état et à la fortune de leurs enfans, ils avouent que leur véritable nom est celui de l'Escuyer et de Pousse qu'ils ratifient et confirment d'abondant leur mariage, et qu'ils reconnoissent que c'est de ce mariage qu'est issue Antoinette l'Escuyer, baptisée le même jour que cet acte a été passé.

Après une reconnoissance si solennelle, il semble que ce mariage devoit être public, et qu'une confirmation si authentique achevoit d'en assurer la vérité. Cependant le mari et la femme changent de conduite en changeant de denieure. Ils reviennent en cette ville dès l'année 1669, et leur mariage, publié dans le pays du Maine, devient une seconde fois clandestin à Paris.

Anne Pousse accoucha d'une seconde fille en l'année 1671. Elle fut baptisée comme fille d'Antoine de la Rouvray et d'Anne de la Ferrière : c'est celle qui paroît aujourd'hui dans votre audience, et qui ne seroit pas incertaine de son véritable nom, si la fortune l'avoit fait naître dans une province éloignée de la famille de son père.

Jusqu'ici, MESSIEURS, vous n'avez vu qu'un seul mariage, plein de défauts dans son principe, ratifié par un acte public, et confirmé par une longue pos session. Maintenant l'affaire change entièrement de face. L'Escuyer quitte une seconde fois le séjour de Paris, il vient à Dreux. Un nouvel objet lui fait prendre de nouveaux engagemens.

Nous n'entreprendrons point de faire le récit de

ee qui se passa à cette occasion. Le voile qui cache la vérité de ce second mariage n'est pas encore levé. Il semble même qu'il est inutile d'approfondir ce mystère, après le désistement solennel d'Elisabeth de la Sanserie. Nous nous contenterons d'observer, que par l'acte de célébration, qu'on accuse de fausseté, il paroît qu'en 1673, Pierre-Antoine l'Escuyer a été marié avec Elisabeth de la Sanserie, dans l'église paroissiale de Saint-Pierre de Dreux, après la publication d'un ban, dispense des deux autres; que le mariage ayant été célébré, l'Escuyer s'en est allé sans vouloir signer l'acte de célébration. On prétend qu'il retourna à Dreux, et qu'il confirma par ses actions un consentement qu'il n'avoit pas voulu autoriser par sa signature, supposé que l'acte qu'on rapporte aujourd'hui soit véritable.

Cependant, soit qu'il n'y ait jamais eu de mariage célébré entre l'Escuyer et la Sanserie, soit qu'il ne voulût pas reconnoître cet engagement pour un véritable mariage, il est certain que les parens de la fille intentèrent contre lui une accusation de rapt. Ils obtinrent un décret de prise de corps; ils le firent constituer prisonnier à Dreux; son procès fut instruit. Enfin, par sentence de l'année 1675, il fut déchargé de l'accusation; et néanmoins on lui enjoignit de reconnoître Elisabeth de la Sanserie pour sa femme, et les deux enfans, issus de son mariage, pour ses enfans légitimes.

L'Escuyer ayant obtenu sa liberté, écrit plusieurs lettres à sa première femme, qu'il lui adresse sous le nom de mademoiselle l'Escuyer, et par lesquelles il semble lui promettre qu'il terminera promptement les affaires que son second mariage lui avoit attirées.

Il revient à Paris, et pour assurer sa première femme de sa fidélité, il présente avec elle une requête à l'official, qui répare, à ce que l'on prétend, tous les défauts qui se trouvent dans la célébration de leur mariage.

On vous a lu, MESSIEURS, les termes de cette requête; vous vous souvenez qu'elle est signée par

la femme et par le mari; que l'un et l'autre pleinement majeurs, âgés de trente-huit ans, quatorze ans après la célébration de leur mariage, exposent qu'ils ont été mariés en l'année 1662 sous des noms supposés ; que les raisons qui les avoient portés à se servir de cette supposition ne subsistent plus; que la nécessité de fixer enfin leur destinée, et d'assurer en même temps celle de leurs enfans; les exhortations de leurs confesseurs, les scrupules et les remords de leur conscience, les obligeoient d'avoir recours à l'official, pour le supplier de réparer, par son autorité, l'erreur et la fausseté qui se trouvent dans les registres de la paroisse de SaintSulpice.

L'official ordonne qu'il sera informé des faits que cette requête contient. On fait entendre plusieurs témoins qui déposent, ou qu'ils ont été présens à la célébration du mariage de l'Escuyer et de Pousse, ou qu'ils les ont regardés comme étant mariés. Les uns les connoissent sous le nom de l'Escuyer, les autres sous celui de la Rouvray. Sur cette information l'official ordonne, que sans toucher au corps des registres, on écrira à la marge que le véritable nom des conjoints et de leurs enfans est celui de l'Escuyer et de Pousse.

Cette ordonnance a été exécutée. L'état de la mère et des enfans paroissoit entièrement assuré, lorsqu'une troisième femme a troublé le repos que les uns et les autres commençoient à se promettre.

Ce dernier mariage n'a aucun des défauts qui paroissent dans les deux premiers. L'un est accusé de séduction et de clandestinité : l'autre, de surprise et de violence : le troisième au contraire, por teroit tous les caractères d'une union légitime, s'il n'avoit été précédé par deux autres. C'est un homme majeur, âgé de quarante ans, qui épouse une fille majeure âgée de vingt-huit ans. Le père et la mère y consentent, les deux familles l'approuvent. La qualité des parties est presque égale. Le mariage est célébré dans la paroisse de Saint-Roch, par le propre

curé, après trois publications de bans, au mois de février de l'année 1678. La première et la seconde femme demeurent dans le silence; et ce qui est encore plus inconcevable, l'Escuyer, après ce troisième mariage, revient encore habiter avec sa première femme. Il a loué depuis ce temps, une portion de maison avec elle, et le propriétaire de la maison certifie qu'il y a demeuré jusqu'à la SaintMartin 1679.

Ce fut alors que cet ouvrage d'iniquité commença à se découvrir. Trois femmes paroissent en même temps, et demandent toutes la confirmation de leur mariage. La demande d'Anne Pousse fut d'abord portée au châtelet; mais les appels comme d'abus qui ont été interjetés de part et d'autre, en ont ôté la connoissance aux premiers juges, pour la réserver à un tribunal supérieur en lumière et en autorité.

[ocr errors]

La première femme est appelante comme d'abus de la célébration du second et du troisième mariage. Elisabeth de la Sanserie avoit d'abord renoncé à ses poursuites elle avoit même transigé en l'année 1680 avec l'Escuyer. Elle déclaroit, par cet acte, qu'il n'y avoit jamais eu de véritable mariage entr'eux; que celui dont ses parens avoient demandé la confirmation, n'étoit que l'ombre et l'apparence d'un mariage; qu'elle consentoit que l'on rendît un arrêt, par lequel on déclareroit son prétendu mariage non valablement contracté.

Sur la foi de cette transaction, l'Escuyer croyoit n'avoir à combattre que la première femme. Cependant, depuis que la plaidoierie de la cause est commencée, Elisabeth de la Sanserie, plus instruite de ses intérêts, et ayant changé de sentiment, a renouvelé les appellations comme d'abus qu'elle avoit interjetées de la célébration du premier et du troisième mariage; et pour détruire la transaction qu'on lui opposoit, elle a obtenu des lettres de rescision contre cet acte. Il semble que l'esprit de légèreté ́et d'inconstance soit répandu sur toutes les parties D'Aguesseau. Tome I.

28

« PreviousContinue »