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Perrot, veuve de Jean de Senlis, et de demoiselle Marie-Gabrielle de Senlis, veuve de M. Jean Neveu, intimés. Après que le Gendre, pour l'appelant; Thibert, pour Gabrielle Perrot; et Dumont, pour François de Senlis et consorts, ont été ouïs pendant trois audiences, ensemble d'Aguesseau, pour le procureur général du roi :

LA COUR a mis et met l'appellation au néant, ordonne que ce dont a été appelé sortira effet, condamne l'appelant en l'amende de douze livres et aux dépens. Fait ce dix-sept mai mil six cent quatre-vingt-onze.

SEPTIÈME PLAIDOYER.

DU 19 JUILLET 1691.

Dans la cause de PIERRE L'ESCUYER, ANNE POUSSE, sa première femme, et la fille dudit L'EscUYER et de ladite ANNE POUSSE; la demoiselle de la SANSERIE, seconde femme; ANNE DE CORMEIL, troisième femme dudit L'ESCUYER, et la veuve L'ESCUYER, sa mère.

Il s'agissoit de savoir, 1.o° si le premier mariage de l'Escuyer, ayant été contracté, pendant sa minorité, avec une domestique, sans le consentement de ses père et mère, et sous un faux nom, étoit nul?

2. Si l'Escuyer, ayant, depuis sa majorité, reconnu Anne Pousse pour sa femme légitime, par plusieurs actes publics, et son père, n'ayant pas attaqué ce mariage, sa mère et lui étoient recevables à l'attaquer après vingt-huit ans de pos

session?

3.0 S'il étoit dú des dommages et intérêts à la troisième femme, qui avoit ignoré les précédens mariages ?

4. S'il y avoit lieu de faire le procès à l'Escuyer, comme coupable de polygamie?"

S'il n'y a point de cause dans le ministère de la justice, dont la décision soit plus importante et plus difficile que celles dans lesquelles il s'agit d'assurer l'état d'une seule personne, peut-on entreprendre, sans crainte, de décider, par un même arrêt, celui

de tant de parties qui attendent toutes de votre jugement la certitude de leur destinée, et la fin de leurs disgrâces.

La condition des différentes femmes qui demandent la confirmation de leur mariage, paroît également malheureuse, leur cause également favorable. Elles se plaignent toutes de l'inconstance et de la légèreté d'un mari, qui a violé la plus sainte de toutes les sociétés, et profané l'un des plus augustes sacremens.

La dignité du mariage, le nombre des enfans la perfidie du mari, la bonne foi des femmes qu'il a trompées, sont des avantages communs qui parlent également en faveur de toutes les parties.

La première femme a pour elle la force d'un premier engagement, la longueur de sa possession, la confirmation réitérée des promesses de son

mari.

La jeunesse de la seconde son innocence et ses malheurs sembloient la rendre digne de la compassion du public, et de la protection de la justice, jusqu'à ce qu'elle se fut condamnée ellepar l'acte que l'on vient de vous expliquer.

même

La troisième, distinguée par sa naissance, et plus distinguée encore par le suffrage de toute la famille de son mari, a l'avantage d'être la seule dont l'union, entièrement conforme aux lois de l'église et de l'état, paroisse l'ouvrage de la raison plutôt que celui d'une passion déréglée.

Quelques justes raisons qu'elles eussent toutes d'implorer la vengeance des lois contre la conduite criminelle de leur mari, aucune néanmoins ne demande sa perte et conservant le caractère de modération qui convient à une femme légitime, elles ne nous permettent pas de juger de leur qualité par leurs sentimens.

Quel succès peuvent-elles se promettre d'un combat si douteux ? Quel fruit espèrent-elles d'une victoire si incertaine? Ne seront-elles pas également à plaindre, soit qu'elles perdent un mari aux dépens

à

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de leur honneur, soit qu'en conservant leur honneur elles recouvrent un mari tel que celui qui fait aujourd'hui l'objet de leurs différends? Et, sans attendre l'événement de cette contestation, ne peuton pas dire par avance, que la plus malheureuse de toutes, sera celle à qui vous accorderez la triste préférence qu'elle vous demande : Quorum bello solùm id scires eum miseriorem esse qui vicisset?

La variété des incidens et le nombre des circonstances, rendent l'explication de cette cause aussi étendue que le jugement en est difficile.

Pierre l'Escuyer et Anne Pousse sont tous deux nés en l'année 1638.

La naissance et la fortune avoient mis quelque différence entr'eux.

Le père de Pierre l'Escuyer étoit contrôleur des rentes sur l'hôtel-de-ville on prétend qu'il avoit des biens assez considérables, et qu'il auroit même élevé sa famille à des emplois plus importans, si des accidens imprévus n'avoient trompé toutes ses espérances.

Anne Pousse au contraire, ne reçut en naissant que quelques agrémens naturels, qui ont été la cause de ses disgrâces, et dont il ne lui reste aujourd'hui que le souvenir.

La pauvreté de ses parens l'obligea bientôt à sortir de son pays pour chercher un sort plus favorable dans une province étrangère.

A l'âge de quatorze ans, étant venue de Sedan à Paris, elle se vit réduite à la dure nécessité de servir. Elle entra successivement dans plusieurs maisons. Le malheur de l'intimée la conduisit dans celle de Simon l'Escuyer, contrôleur des rentes.

Elle servit, pendant quelques mois, la dame Guerin, sa fille.

Pierre l'Escuyer, son fils, étoit de même âge qu'Anne Pousse, il demeuroit dans la même maison. Il eut le malheur ou d'être séduit par elle, ou de la séduire, ou peut-être la séduction fut réciproque. Cette inclination ne put être long-temps secrète,

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La famille de l'Escuyer en fut avertie. Son père s'en aperçut, il rendit plainte, en l'année 1662, au lieutenant-criminel, du rapt de séduction commis en la personne de son fils par une servante. On décerne contre elle un décret d'amener sans scandale suivant l'usage qui s'observoit encore; on la conduit aux prisons du châtelet. On l'interroge, elle instruit par ses réponses, de sa condition, de son état, de la nature de l'engagement qu'elle avoit contracté avec l'Escuyer, et des mesures qu'elle avoit prises pour lui donner le nom de mariage. Elle convient qu'elle avoit passé toute sa vie dans le service, qu'elle a consenti aux propositions de mariage qui lui ont été faites par l'Escuyer, sans néanmoins exiger de lui aucune promesse de mariage: qu'elle sait qu'il a fait publier un ban dans la paroisse de Saint-Roch, que même elle a fait sa communion pascale dans cette église, pour y acquérir un domicile. Elle finit toutes ses réponses par des protestations réitérées, qu'elle renonce pour toujours à l'espérance d'épouser l'Escuyer; qu'elle consent à ne le voir jamais.

En conséquence de cette déclaration, le lieutenant-criminel ordonne qu'elle sera mise hors des prisons; et néanmoins il lui fait défenses de hanter ni fréquenter l'Escuyer, à peine de punition exemplaire.

Elle ne fut pas plutôt en liberté, que ses feux mal éteints se rallumèrent : les protestations qu'elle avoit faites devant le lieutenant-criminel furent bientôt vaincues par la force des sermens qui l'engageoient avec l'Escuyer.

Six mois après la sentence du lieutenant-criminel, Anne Pousse et Antoine l'Escuyer concertèrent ensemble ce mystère de fraude et de supposition, qui a répandu des ténèbres si grandes sur le mariage dont il s'agit, qu'une sentence de l'official n'a pas été capable de les dissiper entièrement. On ne fait point publier de bans dans la paroisse de l'Escuyer: on se contente d'en faire publier dans celle de SaintSulpice, où Anne Pousse demeuroit. On dissimule,

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