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en établit plusieurs que nous avons déjà expliquées, la qualité des personnes, l'honneur que le mari a rendu à sa femme; il ajoute enfin ces paroles remarquables: Neque enim tabulas facere matrimonium. Les empereurs ont confirmé cette disposition dans la loi Neque, cod. de nupt.; et, sans avoir recours à tant d'autorités, il est visible que les conventions matrimoniales sont tout à fait distinctes et séparées du consentement des parties, qui, sanctifié par la bénédiction nuptiale, constitue l'essence du sacrement. L'usage apprend que les contrats se font avant la célébration; que souvent ils n'ont point d'exécu tion; et l'on peut dire qu'un contrat de mariage est la plus légère de toutes les présomptions pour prouver qu'un mariage a été célébré, puisqu'il précède et qu'il ne suit pas le mariage.

La quittance paroît beaucoup plus considérable; Jacques de Senlis y reconnoît qu'il a reçu la dot d'Anne Baudet, à présent sa femme. Cette énonciation, faite par-devant notaire, dans un acte authentique, peut faire quelque difficulté; mais les soupçons que l'on peut concevoir contre cette quittance, et toutes les circonstances de cette cause, détruisent aisément les conséquences que l'on pourroit tirer de

cet acte.

Le nom de Senlis est écrit deux fois dans cette quittance, et deux fois il paroît écrit d'une autre encre; il paroit même visiblement qu'il y avoit un autre nom qu'on a effacé pour mettre celui de Senlis. Le parchemin, usé en cet endroit, rend témoignage de ce fait, et la seule inspection de la pièce le découvre sensiblement. Mais, quelque soupçon que. cette altération puisse faire concevoir, il seroit néanmoins assez difficile de pénétrer dans les motifs de ceux qui auroient fait cette fausseté; et d'ailleurs on n'a point encore formé d'inscription de faux contre cette pièce. Nous ne remarquons donc ici cette circonstance que comme un simple soupçon qui diminue toujours, en quelque manière, l'autorité de la pièce. Mais sans approfondir cette circonstance, nous

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croyons que, quelque forte que paroisse cette énonciation, elle ne peut former qu'une présomption violente, à la vérité, mais qui n'a point la force d'une preuve, quand tous les faits que nous avons expliqués la détruisent invinciblement. Le désordre public d'Anne Baudet, la foiblesse d'esprit et la passion de Jacques de Senlis, le défaut de véritables preuves, nous paroissent capables de persuader qu'il n'y a jamais eu qu'un mariage simulé entr'eux; et, si ce fait pouvoit encore être douteux, nous croyons qu'une dernière réflexion doit achever d'en convaincre entièrement.

Elle a pour fondement l'histoire même que Jacquette de Senlis a composée du mariage de ceux qui lui ont donné la naissance. Elle a prétendu que son père et sa mère sortirent de la Rochelle, et qu'ils allèrent à Vérines pour se marier; mais elle n'a cu garde d'ajouter un fait important que nous apprenons de la bouche d'un des témoins qui ont déposé dans l'enquête qui a été faite à la requête de l'intimée.

La déposition de ce témoin est d'autant plus considérable, qu'il demeuroit, en 1653, chez le curé de Vérines, et il le servoit en qualité de clerc. S'il étoit vrai que le mariage eût été célébré dans cette paroisse, personne n'en pouvoit être mieux instruit que celui qui assistoit à tous les services qui se faisoient dans cette église.

Cependant il dépose que Jacques de Senlis et Anne Baudet s'adressèrent au curé de Vérines, qu'ils le prièrent de leur donner la bénédiction nuptiale; que le curé, instruit de son devoir, ne voyant ni publication, ni dispense de bans, ni permission du propre curé, refusa de les marier; que Senlis en concut un tel dépit, qu'il tira son épée, et désespérant de devenir le mari d'Anne Baudet, il voulut cesser de vivre et se tuer de sa propre main ; qu'on se saisit de sa personne, qu'on lui arracha son épée, et qu'on le ramena à la Rochelle. Le témoin ajoute qu'il a demeuré encore un an ou deux avec le

même curé, sans jamais les avoir vu marier dans sa paroisse.

Ainsi, non-seulement il n'y a aucune preuve de célébration de mariage, il y a même une preuve contraire que ce mariage n'a jamais subsisté que dans l'opinion de ceux qu'Anne Baudet et Jacques de Senlis ont trompé par leurs artifices.

Car enfin, si l'on en croit Jacquette de Senlis, ou ses prétendus père et mère n'ont jamais été mariés, ou ils l'ont été en l'année 1653, dans la paroisse de Vérines.

Par la déposition d'un témoin digne de foi, témoin sans reproche, témoin oculaire, qui raconte toutes les circonstances, il est prouvé qu'en l'année 1653 et 1654, Jacques de Senlis et Anne Baudet n'ont point reçu la bénédiction nuptiale à Vérines. La consequence naturelle (elle peut passer pour une démonstration) est que jamais Jacques de Senlis et Anne

Baudet n'ont été mariés.

Que l'on produise désormais les actes les plus authentiques, dans lesquels Anne Baudet soit nommée femme de Senlis, le mensonge sera toujours visible, la fausseté évidente, et l'imposture manifeste. Bien loin que ces actes puissent mériter d'être opposés à la vérité des faits que nous venons d'établir, ils ne servent au contraire qu'à la confirmer. Nous ne doutons point qu'Anne Baudet, en l'absence des parens de Senlis, sans aucun légitime contradicteur, sans que personne ne pût ni voulût s'opposer à ses desseins pernicieux, n'ait profité de la liberté qu'elle avoit d'imaginer, de supposer tout ce qui lui plaisoit, de passer tous les actes qui pouvoient soutenir et fortifier sa supposition : ce n'est pas la première fois que le mensonge a emprunté les armes de la vérité; mais ce n'est pas aussi la première fois que ces armes se sont tournées contre lui-même, et n'ont servi qu'à le confondre.

C'est ce qui est arrivé dans l'acte de tutelle dont on vous a fait la lecture; acte dans lequel Anne Baudet, en qualité de veuve de Senlis, se fait

déférer la tutelle de sa prétendue fille, sur l'avis des parens paternels et maternels. On le répète deux fois dans l'acte, et cependant on est obligé de reconnoître aujourd'hui, que jamais les parens paternels n'ont été consultés.

Ce n'est pas tout; Olivier de la Fuye, curateur, dépose dans l'enquête : il n'en parle point, il dit au contraire que Jacquette de Senlis n'est pas fille d'Anne Baudet.

Ni la tutrice ni le curateur n'ont prêté le serment, ni signé l'acte de tutelle.

Tous ces caractères de fausseté, réunis dans un même acte, ne font-ils pas connoître l'esprit qui l'a dicté, et ne servent-ils pas non-seulement à le détruire, mais à renverser tous les actes qui ont été l'ouvrage de la même main?

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Nous n'entrerons point dans le détail ni de la renonciation à la communauté, faite par Anne Baudet, ni des autres actes par lesquels il paroît qu'elle a pris la qualité de veuve.

Il suffit d'opposer à tous ces actes, que la question est préjugée par un arrêt, qui, malgré toutes les inductions qu'on en tiroit, a ordonné la preuve par témoins; que toutes ces pièces ne pourroient former qu'une présomption qui est détruite par des faits incontestables, et par la propre confession de la partie intéressée; enfin qu'ils sont remplis de nullités, et qu'on ne peut les considérer que comme enchaînement continuel de faussetés et de suppositions.

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S'il est vrai, comme nous croyons qu'on n'en sauroit douter, que Jacques de Senlis et Anne Baudet n'ont jamais été mariés, il paroît assez inutile d'entrer dans l'examen de la supposition de part dont on a accusé la prétendue Jacquette de Senlis ; il est peu important de savoir si elle étoit fille de Anne ou de Marie Baudet. Dès le moment que vous jugerez qu'il n'y a point eu de mariage, l'un et l'autre lui deviennent également inutiles pour la demande à fin D'Aguesseau. Tome I.

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de partage qu'elle avoit intentée pendant sa vie, et que l'on poursuit encore après sa mort.

Cependant la qualité de cette cause, et la crainte que nous avons qu'il ne pût rester encore quelque incertitude touchant le mariage de Senlis, nous obligent à expliquer en peu de mots cette seconde question, et à faire valoir le plus sommairement qu'il nous sera possible, que, quand le mariage seroit aussi constant qu'il est douteux, la cause de l'appelant n'en sera ni meilleure ni plus favorable.

Jacquette de Senlis a rapporté, pendant sa vie, celle de toutes les preuves à laquelle les ordonnances et les arrêts ajoutent le plus de foi, lorsqu'il s'agit de la naissance; un extrait baptistaire, preuve légitime, preuve prescrite par les lois à laquelle il semble qu'on ne puisse donner aucune atteinte. Cependant il est arrivé, par une fatalité ordinaire à tous ceux qui sont conduits par un esprit d'erreur et de mensonge, que les précautions que l'on avoit prises pour cacher la naissance de la prétendue Jacquette de Senlis, n'ont servi qu'à la faire éclater davantage. Le lieu où l'on donne le baptême, le prêtre qui l'administre, le temps de la naissance de l'enfant, le nom du parrain, tout est suspect dans cet extrait baptistaire, toutes les circonstances fournissent autant de moyens différens pour le

combattre.

Ce n'est point à la Rochelle, lieu du domicile des parties, que l'on baptise cet enfant; on ne s'adresse point à des prêtres, qui, mieux instruits de la vérité, auroient découvert la foiblesse de cet artifice; on affecte d'aller dans une paroisse étrangère, dans un village éloigné de la Rochelle d'environ trois lieues, où la solitude et l'ignorance des prêtres et des habitans favorisoient le concert de fraude que l'on commençoit à former dès-lors.

Ce n'est pas même le curé de cette paroisse qui donne le baptême à la prétendue Jacquette de Senlis ; c'est un prêtre qui ne prend ni la qualité

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