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vifs, donations testamentaires; que les coutumes ne reconnoissoient que ces deux sortes de voies, par lesquelles on pût disposer de son bien; que toutes dispositions devoient porter le caractère de l'une ou de l'autre de ces donations, et que de vouloir établir une troisième espèce de donation qui ne seroit ni testamentaire, ni entre-vifs, ce seroit introduire une espèce d'acte informe, inconnu à notre droit français, et incapable de dépouiller les héritiers d'un bien que la loi leur défère.

Quoique M. Ricard ait proposé cette maxime dans son traité des donations, nous ne voyons pas néanmoins que cette opinion ait jamais été suivie ni par les docteurs, ni par vos arrêts, et nous croyons qu'elle passera toujours pour une erreur dans l'esprit de ceux qui auront quelque teinture, et des coutumes et du droit romain (1).

Si nous nous attachons à la véritable nature de la substitution dont on attaque aujourd'hui la validité, il ne seroit peut-être pas fort difficile de faire voir qu'elle n'a que le nom et l'apparence d'une substitution; mais que dans le fond des choses, et dans la vérité, c'est une exhérédation officieuse, un acte dans lequel la mère fait ce que la loi auroit fait par elle-même, et sans son ministère.

Quelles sont les dispositions de cet acte? Il contient deux parties dans l'une, la mère ôte la propriété de la légitime à son fils; dans l'autre, elle la

(1) Les donations, à cause de mort, sont autorisées expressément dans plusieurs pays par les lois ou coutumes, comme il est porté par l'article III de l'ordonnance du mois de février 1731, sur les donations; mais cet article les a assujetties à la même forme que les testamens et les codicilles; en sorte que quoiqu'il y ait plusieurs espèces de dispositions à cause de mort, il n'y a, depuis cette loi, que deux formes pour les actes de libéralité, celle des donations entre-vifs, et celle des testamens ou des codicilles. C'est ce que M. le chancelier d'Aguesseau expliqua à quelques parlemens qui avoient craint qu'on ne pût induire de cet article, que les dispositions du droit écrit et de quelques coutumes sur les donations à cause de mort étoient abrogées.

donne à ses petits-enfans. Bien loin que l'on puisse considérer la première de ces deux parties comme une donation, c'est au contraire une exhérédation manifeste, debitæ hereditatis ademptio. Mais la seconde disposition ne porte pas non plus le caractère d'une véritable donation; la mère ne fait que retrancher son fils du nombre de ses descendans, l'exclure de sa famille, supprimer le premier degré; et au lieu que dans l'ordre naturel sa succession devoit passer par la personne de son fils, avant que d'être déférée à ses petits-enfans, elle la leur donne immédiatement: Perempto primo gradu, à secundo hereditas exordium capit. Peut-on croire qu'une semblable disposition puisse porter le nom d'une véritable substitution? Tout ce que la mère y fait, est d'ôter le premier degré, de retrancher la personne de son fils: la loi fait le reste; et dès le moment que le premier degré ne subsiste plus, que Filius tollitur è medio, elle admet les petits-enfans à la succession immédiate de leur aïeule. Nous avons des exemples d'une semblable interprétation dans les textes du droit romain: tout le monde sait que les lois civiles avoient ôté aux maris et aux femmes le pouvoir de se donner entre-vifs. On a demandé si, lorsqu'un testateur avoit institué le mari son héritier, et qu'il lui avoit substitué sa femme, le mari pouvoit répudier l'hérédité, et par sa renonciation faire place à sa femme. Il sembloit qu'une telle répudiation devoit être considérée comme une fraude à la loi; que c'étoit introduire une voie indirecte pour autoriser les donations entre conjoints. Cependant le jurisconsulte décide en faveur de la femme: il soutient qu'une telle renonciation ne peut point être appelée une véritable donation; que l'on ne peut accuser le mari que d'avoir négligé un avantage qui lui étoit offert, et que c'étoit la loi seule qui déféroit à la femme, dans cette espèce, la succession à laquelle

son mari avoit renoncé.

Ne pourroit-on pas admettre le même raisonnement dans les circonstances de cette cause; et puisque la mère, à proprement parler, n'a fait, dans cette

espèce, que priver son fils de la propriété de sa légitime, puisque le reste de l'acte est plutôt l'ouvrage de la loi que de la testatrice, pourquoi donneroit-on à cet acte le nom de donation? Pourquoi voudroit-on qu'il fût revêtu des formalités des donations entrevifs ou testamentaires, puisqu'il n'a dans le fond aucun des caractères qui constituent l'essence de ces actes?

Ce n'est qu'une exhérédation, et une exhérédation officieuse. Si notre usage, contraire en cela aux lois romaines, permet à un père de déshériter entièrement son fils par un simple acte par-devant notaires: Si cette sentence rigoureuse, ce jugement sévère qu'un père prononce souvent contre son fils, dans un temps où la colère et la passion peuvent l'aveugler, est néanmoins exempt de toute autre formalité; pourroit-on prétendre qu'une exhérédation officieuse, qui n'a pour principe que la sage prévoyance d'un père qui veut mettre des bornes à la prodigalité de son fils, et conserver son bien dans sa famille, pût être soumise à des règles plus sévères, et à des formalités plus rigoureuses?

Il ne nous reste plus qu'à entrer dans la seconde question, et à examiner si cette substitution, ou plutôt cette exhérédation officieuse, à laquelle on ne sauroit donner atteinte dans la forme, sera plus favorable dans le fond; et si les créanciers ne peuvent point prétendre au moins la distraction de la légitime.

Personne n'ignore que la loi qui accorde la légitime aux enfans, peut être appelée non scripta sed nata lex, que la nature a gravée dans le cœur de tous les pères, et qu'elle ne permet pas qu'ils puissent mépriser impunément. Si les lois des douze tables, jalouses de la liberté des testamens, regardoient un père comme un législateur domestique, comme un arbitre souverain dans sa famille; si elles croyoient que celui qui avoit un pouvoir absolu de vie et de mort sur ses enfans, pouvoit, à plus forte raison, les exclure de sa succession par une exhérédation

sans cause; cet excès d'autorité a été bientôt renfermé dans des bornes légitimes. On soumit le jugement du père à un tribunal supérieur: on introduisit la querelle d'inofficiosité; et lorsque le père avoit abusé de la puissance paternelle, lorsqu'il avoit lancé témérairement la foudre de l'exhérédation, on regardoit son testament comme l'ouvrage d'une passion aveugle, ou comme l'effet de la foiblesse de son esprit.

Mais parce que ces plaintes devenoient trop fréquentes, on crut que comme on avoit accordé aux héritiers étrangers le bénéfice de la Falcidie et de la Trébellianique, il falloit aussi donner aux enfans, dans le bien de leur père, une certaine portion qui ne fût point sujette au changement de sa volonté, indépendante de la disposition de l'homme et déférée par le ministère de la loi.

Justinien ajouta de nouveaux priviléges à ce droit, qui étoit établi long-temps avant la réforme qu'il fit du droit civil; il ne voulut pas que la légitime pût. dépendre de l'événement d'une condition, qu'elle pût être ou retardée par l'attente d'un jour certain ou chargée d'aucune substitution, sine conditione, sine mora, sine onere relinqui debet; toute disposition contraire est déclarée nulle, ipso jure, par la loi quoniam in priorib: au code de inoff. test.

Enfin, dans la L. Servius, au même titre, le même empereur distingua la légitime de toutes les autres quartes introduites par le droit romain, quand il ordonna qu'elle fût laissée en corps héréditaires, ex substantiá patris, qu'un simple usufruit ne pût jamais tenir lieu de légitime, et que les fruits ne pussent en faire partie.

Justinien augmenta les droits des enfans sans rien retrancher du juste pouvoir des pères. Quelque grande que fût la faveur de la légitime, il conserva aux pères la puissance qu'ils avoient d'en priver les enfans: mais au lieu que cette autorité n'étoit point limitée, que les pères n'étoient point obligés de rendre compte de leurs jugemens, qu'ils pouvoient déshériter sans

cause, et exercer une autorité absolue contre laquelle on ne pouvoit opposer que la plainte d'inofficiosité, Justinien a voulu que toute exhérédation fût faite cum elogio, que la cause fût exprimée, qu'elle fût du nombre de celles qu'il marque dans sa Novelle, qu'enfin elle fût prouvée par l'héritier institué.

Tels sont les principes généraux de cette matière. Un père qui laisse la légitime à son fils, doit la laisser en corps héréditaires : l'usufruit ne suffit pas; il doit la laisser sans charge, sans condition, sans retarde

ment.

Un père, qui prive son fils de sa légitime, doit rendre raison de sa conduite, et une raison approuvée par les lois.

Comparons ces principes avec l'espèce présente, et voyons quelle peut en être l'application.

On ne peut considérer l'acte dont il s'agit, que comme une substitution, ou comme une exhérédation.

Si c'est une substitution, elle résiste à toutes les lois qui, suivant en cela l'esprit de la nature, considèrent la légitime comme un bien propre aux enfans, dont le père ne peut disposer, auquel il ne peut imposer aucune condition, Nemo rei alienæ legem dicere potest; et une légitime substituée, une légitime laissée en usufruit, est un paradoxe dans la jurisprudence.

Si, au contraire, c'est une exhérédation, quelle est la cause qui a déterminé la mère? en a-t-elle exprimé aucune? Celle qu'on prétend avoir été le motif de sa disposition, est-elle comprise dans la Novelle? C'est ce qui ne peut être proposé.

Ainsi examinons cet acte à la rigueur, et par rapport aux premiers principes de droit. Or il semble qu'à cet égard on ne sauroit le soutenir.

Cependant il faut avouer que les jurisconsultes ont toujours distingué deux sortes d'exhérédation.

L'une est de rigueur; c'est l'effet de la justice et de la sévérité paternelle, qui déclare son fils indigne de sa succession, qui l'exclut de sa famille et du

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