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pour mieux dire, qu'elle n'a jamais cru pouvoir demander.

Enfin, quand on n'opposeroit point à l'intimé toutes ces fins de non-recevoir, et par rapport à luimême et par rapport à ceux qu'il présente, sur quoi est fondé ce droit de relief qu'il demande aujourd'hui ? Sur une prétendue mutation à laquelle il soutient que le mariage de l'appelante a donné lieu. Il est vrai que la coutume de Montfort, dans laquelle les biens sont situés, donne au seigneur un droit de rachat même pour les premiers mariages. Mais dans quel cas cette coutume doit-elle avoir son effet? dans celui qui est le plus ordinaire, c'est-à- · dire, lorsqu'il y a communauté entre les futurs conjoints, et que par là le mari devient le maître et le possesseur des propres de sa femme; mais lorsqu'au contraire on exclut toute sorte de communauté entre les futurs conjoints; lorsqu'ils sont séparés de biens par le contrat de mariage et qu'ils jouissent séparément de leurs terres, que la femme en retient la libre administration, le mari n'acquiert pour lors aucun domaine ni réel ni fictif sur les biens de sa femme; il n'y a point de mutation qui puisse servir de prétexte au seigneur pour demander un droit de relief: tel est le sentiment des docteurs, la jurisprudence de vos arrêts, et l'application en est aussi facile que naturelle à cette cause.

A NOTRE ÉGARD, vous voyez, MESSIEURS, par le récit que nous venons de vous faire des circonstances du fait, et des moyens des parties, qu'il y a trois questions différentes dans cette cause.

La première consiste à savoir si l'appelante est partie capable pour procéder en justice, et si l'autorisation qu'elle rapporte est suffisante pour établir la qualité qu'elle prend en votre audience.

Dans la seconde question nous aurons à examiner les formalités qui ont été observées dans l'assignation

qui a été donnée au vassal, et dans la saisie féodale qui l'a suivie.

Enfin, la plus considérable et la plus difficile partie de la cause est la dernière dans laquelle vous déciderez s'il y a eu mutation par le contrat de mariage de l'appelante, si son mari est devenu le véritable vassal, et s'il a été chargé en même temps, par cette nouvelle qualité, de rendre la foi et hommage au seigneur dominant, et de lui payer un droit de relief.

A l'égard de la qualité de l'appelante, tous les principes sont certains; ils sont écrits dans les coutumes el dans le contrat de mariage de l'appelante.

On ne révoque point en doute qu'une femme ne soit obligée de se faire autoriser par son mari, ou par justice à son refus, lorsqu'il s'agit ou de l'aliénation de ses propres, ou de procéder en jugement. C'est une maxime si constante dans toutes les coutumes, qu'il seroit superflu d'en expliquer ici les raisons et les motifs; quand on pourroit en douter dans quelque occasion, ce ne seroit point dans cette espèce, puisque le contrat de mariage contient une clause expresse que la future épouse sera tenue de se faire autoriser par son mari, non-seulement pour la disposition et l'aliénation de ses biens, mais même pour la poursuite de ses droits et actions. Ainsi, nous ne sommes point dans le cas de la question qui a été traitée plusieurs fois par nos docteurs, pour savoir si une femme séparée de biens, et autorisée par son contrat de mariage, n'avoit pas besoin d'une nouvelle autorisation pour ester en jugement. Il s'agit uniquement d'examiner la qualité de l'autorisation que l'appelante a reçue de la justice en l'année 1663. Sur le refus de son mari, on l'autorise généralement pour la poursuite de ses droits et actions, et même pour ce qui regarde l'acquisition du fief d'Espainville, circonstances et dépendances. C'est de ce même fief dont il s'agit encore aujourd'hui.

On a douté autrefois si une autorisation générale,

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portée par un contrat de mariage, pouvoit donner le droit à une femme d'aliéner ses propres sans un nouveau consentement de son mari; et vos arrêts ont décidé qu'une telle autorisation n'étoit pas suffisante. Ils ont suivi l'esprit du droit romain, qui veut que le tuteur donne son autorité, son approbation in rem præsentem, que son consentement ne puisse ni précéder, ni suivre, mais accompagner seulement l'action du pupille.

On a même cru que cette maxime étoit encore plus favorable à l'égard du mari, qu'à l'égard d'un tuteur, puisque l'aliénation des biens de la femme intéresse personnellement le mari, non-seulement à cause de la perte des fruits qui entrent dans la communauté, mais encore à cause du remploi qui doit être fait sur les biens du mari.

Enfin, l'autorité de la coutume est précise; elle décide nettement la question, quand elle déclare qu'il faut un consentement exprès de la part du mari. L'on ne peut appliquer un terme aussi précis à une autorisation vague et générale; il faut une autorité expresse et spéciale, et ad rem quæ geritur accomodata.

Ces maximes sont constantes; mais nous ne croyons pas qu'elles puissent être appliquées à l'espèce de cette cause, par plusieurs raisons qui nous paroissent également décisives.

Premièrement, il ne s'agit point ici de l'aliénation d'un immeuble; il s'agit uniquement de procéder en justice: il nous paroît que la coutume de Paris a mis une grande différence entre ces deux espèces, puisque lorsqu'il s'agit d'une aliénation des propres de la femme, elle demande un consentement exprès du mari, au lieu que, quand il est question de procéder en jugement, elle ne désire qu'un simple consentement, sans marquer si ce consentement doit être exprès et spécial, ou s'il peut être général et indé

terminé.

Mais d'ailleurs, ne peut-on pas même considérer l'autorisation que l'appelante rapporte comme une

autorisation spéciale, puisqu'on y marque nommément le fief d'Espainville et tout ce qui pourra suivre son acquisition? C'est ainsi qu'on l'a toujours interprêté; et depuis vingt-huit ans que cette autorité a été accordée, l'appelante a toujours pris, sur ce seul fondement, la qualité de femme autorisée par justice.

Enfin, c'est l'intérêt du mari qui a fait établir la nécessité de l'autorisation. C'est un principe dont tous nos docteurs conviennent; mais ici le mari n'a nul intérêt. Il ne s'agit que d'un propre de sa femme, propre dont elle doit avoir la libre administration aux termes de son contrat de mariage. Si l'on a requis une fois son autorité, on ne l'a fait que pour satisfaire aux clauses de ce même contrat, et pour donner une qualité à sa femme; mais aussitôt qu'elle a eu cette qualité, elle peut agir librement. Le mari ne s'en plaint point; et il ne sauroit s'en plaindre, parce que ni la jouissance ni la propriété du bien dont il s'agit ne lui appartiennent en aucune manière.

En un mot, le mari a déclaré qu'il ne vouloit point autoriser sa femme pour quelque cause que ce fût; la justice l'a autorisée à son refus, même pour les dépendances de l'acquisition du fief d'Espainville; elle a joui librement de ce titre; il ne s'agit ici des fruits de ce fief. Nous ne croyons pas que que l'on puisse contester la qualité de l'appelante.

La seconde question ne nous paroît pas plus difficile à décider. Il s'agit de savoir si le nouveau seigneur a observé toutes les formalités requises dans l'assignation qu'il a fait donner à son vassal. C'est la coutume qui doit décider cette question. Celle de Montfort, dans laquelle les terres sont situées, est conforme à la coutume de Paris, et ces deux coutumes ne prescrivent point d'autres formalités, sinon que le seigneur fasse faire ou des proclamations à son de trompe, ou des significations à ses vassaux ou à leur manoir, pour qu'ils aient à lui rendre la foi et hommage. Elles n'exigent point qu'ils fassent donner copie de leur contrat d'acquisition, il suffit qu'ils soient notoirement en possession du fief dominant.

A. Bazin a donc satisfait aux termes de la coutume; quand il a fait donner assignation au principal manoir, au fermier de l'appelante; la coutume ne lui prescrivoit point d'autres formalités. On peut dire même qu'il a fait plus, puisqu'il a fait donner copie de ses lettres de terrier, entérinées au châtelet, qui étoit une preuve suffisante de son acquisition.

Mais, dit-on, l'assignation a été donnée au mari, et cependant le mari n'est point le vassal, c'est une personne étrangère qui n'a ni la propriété ni la jouissance du fief; ainsi, l'assignation a été donnée à une partie qui n'étoit pas capable d'y satisfaire, et la saisie qui l'a suivie a été faite super non domino.

Si cette objection pouvoit être proposée, la condition des seigneurs, que les coutumes ont voulu traiter favorablement, nous paroîtroit assez malheureuse ; il faudroit qu'ils entrassent dans le secret des familles, qu'ils examinassent les conventions particulières de leurs vassaux, leurs contrats de mariage avant que de pouvoir faire saisir féodalement. Un seigneur peut ignorer sans crime qu'une femme est séparée de biens, qu'elle n'est point commune avec son mari; il doit croire que l'on a suivi l'usage ordinaire; que le mari est le maître et l'administrateur du fief appartenant à la femme et qu'il est devenu son vassal par le contrat de mariage dont on ne peut lui reprocher d'avoir ignoré les conditions.

Il n'est point même nécessaire que l'assignation soit donnée à la personne du vassal; il suffit que ce soit au principal manoir; il suffit même, au terme de la coutume, qu'il y ait une proclamation faite à son de trompe pour tous les vassaux; en un mot, dès le moment qu'ils sont instruits du changement qui est arrivé dans le fief dominant, ils doivent aller porter la foi et hommage an nouveau seigneur.

Ainsi, nous ne doutons point que la saisie féodale n'ait été bonne et valable; l'appel qu'on en interjette n'est fondé sur aucun moyen raisonnable, ni dans la forme, ni dans le fond. Il ne nous reste plus qu'à examiner la requête par laquelle M. Bazin demande

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