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contagieux dont nous avons donné l'exemple à l'Europe, ce vice qui ne sortoit autrefois que du séjour de l'abondance, et qui naît aujourd'hui dans le sein même de la pauvreté. Ce luxe que les anciennes lois n'avoient fait qu'irriter, que les malheurs de la guerre avoient augmenté, que le retour de la paix sembloit avoir confirmé pour toujours dans la paisible possession où il étoit de confondre tous les rangs, et d'exercer sur les sages mêmes une espèce de tyrannic, est enfin obligé de céder aux ordres absolus et aux exemples encore plus souverains du suprême législateur. Premier observateur de sa loi, il commande par ses actions encore plus que par ses paroles; et pour confondre l'orgueil téméraire de ceux qui avoient porté l'excès de leur magnificence jusqu'à égaler celle du souverain, le souverain veut bien descendre jusqu'au rang de ses sujets, et n'exiger d'eux que ce qu'il se prescrit à lui-même.

Quels succès ne suivront pas de si utiles commencemens? Une première réforme sera une source féconde de réglemens encore plus salutaires; la loi sera la raison de ceux qui n'en ont point; la sagesse du prince deviendra celle de ses sujets. Attentif à prévenir leur ruine volontaire, et à conserver, souvent malgré eux, les débris de leur fortune, il ne sera pas moins le père de chaque famille particulière, que celui de la patrie.

Destiné à porter en tous lieux l'image et le caractère d'un si grand prince, dépositaire de ses sentimeus, interprète de son amour et de sa tendresse pour ses peuples, M. le chancelier sera encore plus le ministre de sa bonté que le dispensateur de sa justice.

Quelle gloire pour lui, mais en même temps quel sujet de frayeur, quand il considère de quel prínce il doit être l'image!

N'avoir plus de pensées qui ne soient dignes de la sagesse même; perdre heureusement sa volonté, pour n'en avoir plus d'autre que celle de la justice; parler comme la vérité, agir comme la prudence,

280 PRÉSENTATION DES LETTRES DE M. DE PONTCHARTRAIN. dominer comme la raison, punir comme la loi, pardonner comme Dieu même; telle est la haute idée des devoirs de celui qui est destiné à être l'image du prince qui nous gouverne. Heureux. si fidèle à imiter de si grandes vertus, M. le chancelier peut ajouter chaque jour un nouveau trait à cette auguste ressemblance!

Que nous reste-t-il à souhaiter après cela, si ce n'est que ce bonheur soit aussi durable que l'âge de M. le chancelier semble nous le promettre ; qu'il surpasse les années autant que les services de ses prédécesseurs; que le Roi, prévenant ses désirs, et répandant sur lui ses bienfaits avec profusion, lui fasse souvent éprouver que sa magnificence peut toujours accorder de nouvelles grâces à ceux auxquels il sembloit avoir tout donné; qu'il goùte toute la douceur de se voir renaître dans la personne d'un fils (1) héritier de sa vertu, encore plus que de sa dignité; que le ciel, qui lui fait déjà voir les enfans de ses enfans, lui accorde le plaisir de revivre plus d'une fois dans une longue suite de descendans, qui croissent sous ses yeux pour l'ornement de leur siècle, pour la gloire de leur maison, et pour le bien de l'état; que la justice lui soit encore plus chère que son propre sang; que l'on doute toujours s'il aime plus la magistrature, ou s'il en est plus aimé, et pour renfermer tous nos souhaits dans un seul, qu'il jouisse long-temps de sa fortune, et que le public jouisse toujours de sa vertu.

Nous n'empêchons qu'il soit mis sur le repli des lettres, qu'elles ont été lucs, publiées et registrées, pour être exécutées selon leur forme et teneur.

(1) M. le comte de Pontchartrain, secrétaire d'état.

VII.

CONCLUSIONS

Données pour l'enregistrement des lettres de M. le chancelier Voisin.

LE............... JUILLET 1714.

Nous apportons à la cour les provisions de la charge de chancelier de France, que le roi a accordées à M. Voisin, ministre et secrétaire d'état, avec la lettre de cachet qui les accompagne, et les conclusions par lesquelles nous en requérons l'enregistrement,

Notre ministère qui ne nous attache qu'aux intérêts publics, partage aujourd'hui nos sentimens, et les tient comme suspendus entre la douleur de ce que la justice perd d'un côté, et la joie de ce qu'elle gagne

de l'autre.

Elle perd un protecteur qui ne faisoit sentir la supériorité de sa place que par celle de son génie, et qui, ne regardant son pouvoir que comme le bien commun de la magistrature, n'en a usé que pour elle, et ne l'a jamais affligée que par sa retraite.

Heureux, si nous n'envisageons que sa personne, d'avoir su renoncer à l'honneur d'être au-dessus des autres par sa dignité, pour se réduire à la gloire plus pure d'être au-dessus de lui-même par sa vertu ! Heureux de laisser ainsi à ses successeurs un exemple que ses prédécesseurs ne lui ont point donné, et d'avoir le courage de descendre du premier rang avant l'âge où plusieurs d'entr'eux y ont été élevés! Il sacrifie à la religion seule, non pas les tristes restes d'une vieillesse défaillante et d'une lumière qui

s'éteint, mais des forces encore entières, une vigueur capable de porter tout le poids de sa dignité et de suffire à l'ambition même s'il avoit pu en être touché.

Mais c'est cette vertu que nous admirons, et que les gens de bien ne sauroient regarder sans un secret mouvement d'envie, c'est cette vertu même qui augmente nos regrets en excitant nos éloges. Elle ne sert qu'à nous faire mieux sentir toute l'étendue de notre perte; et la magistrature, privée d'un chef si magnanime, ne sauroit s'en croire dédommagée par la grande instruction qu'il lui donne en la quit

tant.

Hâtons-nous donc de jeter les yeux sur le digne successeur que la sagesse du roi lui a donné. C'est là que la justice doit chercher sa véritable consolation. Destiné par la providence à donner un jour des leçons aux magistrats, il a commencé de bonne heure à leur donner des modèles. La penetration naturelle de son esprit n'a servi qu'à redoubler l'effort de son application, et il a montré aux magistrats, par son exemple, que si la félicité du génie peut commencer Fouvrage de leur élévation, l'assiduité du travail seule l'achever.

peut

La cour qui l'avoit vu croître sous ses yeux, et qui conserve encore le souvenir des premiers essais de son mérite, en a regardé le progrès avec une espèce d'amour propre. Elle l'a vu avec joie porter dans les provinces dont le roi lui a confié l'administration, cet esprit de justice qu'il avoit puisé comme à sa source, dans le sein de cette compagnie, et, malgré le malheur des temps, mériter estime et la confiance des peuples, dans des emplois où il est si ordinaire de la perdre et si rare de Pacquérir.

Rappelé près du roi pour être admis dans son conseil, une place qui est souvent le dernier terme des autres magistrats, ne parut remplir ni toute l'étendue de son mérite, ni toute l'estime de son maître. Une fonction encore plus importante étoit

destinée à faire éclater l'une et l'autre. La justice qu'il avoit suivie dans tous les degrés de sa vie, l'accompagna jusque dans la conduite des armes, où, sous le nom de la force, règne souvent l'injustice; et par le soin qu'il prit de maintenir l'ordre et la règle dans la guerre même, il montra dès-lors ce que l'on devoit attendre de lui dans la suprême magistrature de la paix.

Un choix qui achève son éloge, l'élève enfin à cette haute dignité; et de ministre de la puissance du Roi, il devient par un caractère encore plus glorieux, le dépositaire de sa justice. C'est elle qui lui présidera à tous les conseils, dispensera tous les honneurs, et distribuera toutes les grâces.

par

L'amour qu'il a pour elle, se répandra sur tous ceux qui la rendent sous ses yeux. Il sentira que la dignité de la magistrature fait partie de la justice même, et que l'honneur des membres est encore plus la gloire de leur chef. Ainsi se resserreront toujours de plus en plus ces liens de respect et de confiance qui doivent les unir mutuellement; et nous espérons surtout que, conservant à cette auguste compagnie le rang qu'elle méritera toujours de tenir dans son cœur, il n'oubliera jamais que c'est par ses exemples qu'il a également appris à servir et à faire régner la justice.

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