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auroit pu en illustrer huit; et de voir ces charges. éminentes qui partagent l'intime confiance de nos rois, devenir pour eux presque héréditaires, sans cesser jamais d'être une preuve éclatante du discernement du prince et de la vertu du sujet.

Qu'il est glorieux à cette auguste compagnie de voir le Roi commencer ensuite l'énumération des dignités dont il a revêtu M. le chancelier, par l'honneur que ce grand magistrat a eu autrefois d'entrer dans un sénat accoutumé depuis long-temps à être le séminaire des chanceliers de France!

La fortune, pleine des grands desseins qu'elle avoit déjà conçus pour M. le chancelier, se hâta de lui ouvrir avant le temps l'entrée des dignités; et la justice, qui compte les années des autres hommes, ne voulut peser que le mérite de M. de Pontchartrain.

Qu'on ne demande point ici quelle secrète loi parut fixer eusuite la rapidité de ses premières démarches, et suspendre pour un temps le cours de ses hautes destinées.

Il falloit que le chef de la justice pût croître pendant long-temps à l'ombre de la justice même; il falloit que le premier parlement eût seul la gloire d'avoir formé le premier magistrat du royaume, et que celui dont la suprême justice devoit se répandre un jour dans toutes les parties de l'état en eût puisé les saintes maximes pendant seize années dans leur source la plus pure, ou plutôt dans la plénitude de cette mer dont toutes les autres juridictions ne sont qu'un écoulement précieux, et qu'une riche éma

nation.

Bientôt la justice, contente de son ouvrage et sûre du mérite de M. de Pontchartrain, se livrera avec joie à l'impétuosité de sa fortune. On le verra marcher de dignités en dignités, et commencer cette course rapide qui ne s'arrêtera que lorsqu'elle l'aura élevé au plus haut degré de la magistrature. Bientôt digne chef d'un parlement considérable, il méritera que le Roi lui confie en même temps l'administration

d'une de ses plus grandes provinces. Bientôt la France, jalouse du bonheur de la Bretagne, ne voudra plus souffrir qu'elle possède seule une vertu dont tout le royaume devoit jouir; bientôt enfin arrivera ce moment honorable à M. de Pontchartrain et glorieux au Roi même, où il faudra que la sagesse du souverain fasse une espèce de violence à la modération du sujet, pour l'obliger à se charger de l'administration des finances; accomplissant ainsi ce que le plus grand des philosophes a dit autrefois, que les dignités ne seroient jamais mieux remplies que lorsque les princes seroient assez sages pour ne les donner qu'à ceux qu'il faudroit forcer de les re

cevoir.

Que ne pouvons-nous sortir des bornes étroites dans lesquelles nous nous sommes renfermés; et que ne nous est-il permis de vous représenter ici M. de Pontchartrain égalant les dignités de ses pères, et surpassant leurs vertus; chargé du redoutable fardeau de l'administration des finances, sans en être accablé; rassuré, soutenu, consolé dans les conjonctures les plus difficiles, par la loi suprême du salut de la patrie; ferme génie dont on a vu croître la force et l'intrépidité avec les peines et les dangers; incapable de douter un moment de la fortune de l'état, parce qu'il envisageoit toujours la main qui la soutenoit; éclaircissant les matières les plus obscures, applanissant les plus difficiles, et perçant les plus profondes d'un seul de ses regards; plus instruit des affaires qu'il avoit eu à peine le loisir d'entrevoir, que ceux qui croyoient les avoir épuisées par une longue méditation: heureuse et sublime intelligence, mais aussi exacte que rapide, qui saisissoit jusqu'aux moindres circonstances; et qui, dévorant tous les objets d'une première vue, ne laissoit à la seconde que le plaisir de remarquer que rien n'avoit échappé à la première.

Nous retombons dans les louanges que nous voulons éviter; notre cœur séduit ici notre esprit, et le

sentiment a plus de part que la réflexion aux éloges qui nous échappent.

Mais comment pourrions - nous louer la justice du choix du prince, sans louer le mérite de celui qu'il a choisi? Tel est le rare bonheur de M. le chancelier, qu'on ne peut en ce jour séparer son éloge de celui du Roi. Que sa modestie se sacrifie donc sans peine à la gloire de son maître, qu'il considère que c'est louer le Roi, que louer son ouvrage; et que, si une partie de notre encens semble s'échapper vers M. le chancelier, ce n'est que pour s'élever par lui jusqu'au prince qui nous l'a donné.

Disons plutôt, messieurs, qu'il nous l'a rendu. La justice s'en étoit privée à regret pour le prêter aux finances; les plus fortes et les plus impérieuses de toutes les lois, la nécessité, l'utilité publique, nous l'avoient arraché; et M. le chancelier n'avoit pas moins souffert de cette séparation, que la justice

même.

Attaché à son culte dès sa plus tendre jeunesse, combien de fois a-t-il désiré de n'avoir à consulter que les lois simples et uniformes de cette justice immuable, qui n'est jamais forcée de changer avec le temps, de fléchir sous le poids des conjonctures, de céder à loi d'une dure nécessité, et d'acheter le bonheur public par le malheur des particuliers?

C'est le tranquille séjour de cette constante justice, que M. le chancelier a toujours regardé de loin comme sa véritable patrie heureux d'avoir soutenu l'effort de la tempête qui l'en avoit écarté; et plus heureux encore d'entrer si glorieusement dans le port! La paix a réuni ce que la guerre avoit séparé; les vœux de la justice sont exaucés; et elle ne se plaint plus d'avoir perdu M. de Pontchartrain pendant quelques années, puisque c'est à cette perte même qu'elle doit presque le bonheur de l'avoir aujourd'hui pour

son digne chef.

Quelle multitude de devoirs mutuels et d'engagemens inviolables, renfermés dans ce seul nom! Tout

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ce que la justice doit à M. le chancelier, tout ce que M. le chancelier doit à la justice, se présente ici à notre esprit et nous ne craindrons point de manquer au respect que nous lui devons, quand nous oserons assurer que, quelque étendus que soient les engagemens de la justice, ceux de M. le chaucelier nous paroissent encore plus grands.

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La justice, il est vrai, se dépose toute entière entre ses mains; elle lui promet un attachement fidèle, confiance parfaite, une déférence respectueuse; mais ce qu'elle attend de lui est encore au-dessus de tout ce qu'elle peut lui promettre.

La plus sainte et la plus inviolable portion de la justice, les lois qui doivent être les arbitres suprêmes de nos biens et de nos vies, s'adressent d'abord à lui, et implorent son secours, pour reprendre entre ses mains leur ancien éclat et leur première splendeur.

Leur antiquité, qui devoit les rendre plus vénérables, n'a servi souvent qu'à les faire tomber dans le mépris; l'inconstance des mœurs les fait regarder comme impossibles; leur diversité les rend incertaines, leur contrariété inutiles, et leur multitude presque inconnues.

Contraintes souvent malgré elles d'armer la malice du plaideur injuste, au lieu de servir d'asile à la simplicité de l'homme de bien; gémissant de voir que leur nombre soit devenu moins une source de lumière pour les juges, qu'un prétexte spécieux qui sert quelquefois de voile à leur ignorance; elles attendent depuis longtemps une main habile qui soulage la justice de ce poids immense d'une infinité de lois superflues, sous lequel tant de lois salutaires demeurent presque ensevelies; qui rappelle les anciennes, qui perfectionne les nouvelles, qui éclaircisse ce qu'elles ont d'obscur, qui retranche ce 'elles ont de contraire; et qui, les renfermant dans des bornes légitimes, puisse exciter l'application et confondre la paresse, rendre la science facile et l'ignorance inexcusable.

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Puissions-nous voir bientôt renaître sous les auspices de M. le chancelier, ces jours heureux où le magistrat n'étoit pas moins respecté que la loi même; où toutes les nations de la terre venoient admirer également, et la sainteté de nos lois, et la majesté de leurs ministres; et où les plus grands rois de l'Europe venoient reconnoître dans ce sénat d'autres souverains qui régnoient sur eux, par l'élévation de leurs lumières, et par la supériorité de leur sagesse !

Puissions-nous voir en même temps les sentiers de la justice applanis par la vigilante application de M. le chancelier! Puisse-t-il en arracher ces funestes épines que le malheur des temps y a fait naître, et retrancher enfin cette multitude de procédures ruineuses, qui souvent dépouillent les vaincus, sans enrichir les vainqueurs; et qui semblent réduire la justice à n'être plus que le partage du riche et du puissant, au lieu qu'elle se plaît à être l'asile du pauvre et du foible opprimé!

Que manquera-t-il alors au parfait bonheur des ministres de la justice? M. le chancelier leur épargnera jusqu'à la peine de former des voeux pour la conservation de leur dignité. Plus jaloux de l'honneur des magistrats, que les magistrats mêmes, il apprendra à ses successeurs que la personne des juges ne doit pas paroître moins sacrée à leurs supérieurs qu'à leurs inférieurs; qu'un chancelier s'honore luimême, en honorant les coadjuteurs de son ministère; et que s'il est le juge de leur justice, il doit être encore plus le conservateur, et si l'on ose le dire, l'ange tutélaire de leur dignité.

Plein de ces grands sentimens, M. le chancelier ne se contentera pas d'être le défenseur des lois, l'appui de la justice, le protecteur des magistrats; il voudra que tout l'état recueille les fruits précieux de son heureuse magistrature.

Déjà par ses sages conseils, ou plutôt sous les ordres d'un Roi qui ne laisse à ses ministres mêmes que la gloire de l'obéissance, commence à tomber ce vice

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