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faire durer l'utile, le grand spectacle d'une vertu ferme sans effort, magnanime saus faste, sublime par sa simplicité même, et vraiment héroïque par sa religion.

Qu'un spectacle si touchant soit toujours devant les yeux de l'auguste enfant qui en a été le témoin, et en qui nous révérons à présent notre maître. Puisse-t-il dans les plus beaux jours de sa vie, et au comble de la gloire que nous lui souhaitons, se rappeler l'image de ce monarque, autrefois le modèle, l'arbitre, le refuge des rois, qui, dans le lit de la mort, lui recommande de redouter les charmes de la victoire, et de n'être touché que de l'amour de ses peuples!

Paroles mémorables, qui renferment tous les devoirs des rois, puissent-elles allumer dans l'ame du prince à qui elles ont été dites, un amour ardent pour la patrie; puissent-elles ranimer le même amour dans le cœur de tous ses sujets!

Lien sacré de l'autorité des rois et de l'obéissance des peuples, l'amour de la patrie doit réunir tous leurs désirs. Mais cet amour presque naturel à l'homme, cette vertu que nous connoissons par sentiment, que nous louons par raison, que nous devrions suivre même par intérêt, jette-t-elle de profondes racines dans notre cœur? et ne diroit-on pas que ce soit comme une plante étrangère dans les monarchies, qui ne croisse heureusement, et qui ne fasse goûter les fruits précieux que dans les républiques?

Là, chaque citoyen s'accoutume de bonne heure, et presque en naissant, à regarder la fortune de l'état comme sa fortune particulière. Cette égalité parfaite, et cette espèce de fraternité civile, qui ne fait de tous les citoyens que comme une seule famille, les intéresse tous également aux biens et aux maux de leur patrie. Le sort d'un vaisseau, dont chacun croit tenir le gouvernail, ne sauroit être indifférent.

L'amour de la patrie devient une espèce d'amourpropre. On s'aime véritablement, en aimant la république, et l'on parvient enfin à l'aimer plus que

soi-même.

L'inflexible romain immole ses enfans au salut de la république. Il en ordonne le supplice; it fait plus, il le voit. Le père est absorbé et comme anéanti dans le consul. La nature s'en effraye; mais la patrie, plus forté que la nature, lui rend autant d'enfans qu'il conserve de citoyens par la perte de son propre

sang.

Serons-nous donc réduits à chercher l'amour de la patrie dans les états populaires, et peut-être dans les ruines de l'ancienne Rome? Le salut de l'état est-il donc moins le salut de chaque citoyen dans les pays qui ne connoissent qu'un seul maître? Faudra-t-il y apprendre aux hommes à aimer une patrie qui leur donne, ou qui leur conserve tout ce qu'ils aiment dans leurs autres biens? Mais en serons-nous surpris? Combien y en a-t-il qui vivent et qui meurent sans savoir même s'il y a une patrie?

Déchargés du soin et privés de l'honneur dur gouvernement, ils regardent la fortune de Fétat comme un vaisseau qui flotte au gré de son maître et qui ne se conserve ou ne périt que pour lui. Si la navigation est heureuse, nous dormons sur la foi du pilote qui nous conduit. Si quelque orage imprévu nous réveille, il n'excite en nous que des vœux impuissans ou des plaintes téméraires, qui ne servent souvent qu'à tronbler celui qui tient le gouvernail et quelquefois même, spectateurs oisifs du naufrage de la patrie, telle est notre légèreté, que nous nous en consolons par le plaisir de médire des acteurs. Un trait de satire, dont le sel nous, pique par sa nouveauté, ou nous réjouit pan sa malignité, nous dédommage, de tous, les malheurs, publics.; et l'on diroit que nous cherchions plus, à venger la patrie par notre critique, qu'à la défendre par nos

services.

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A mesure que le zèle du bien public s'éteint dans notre cœur, le désir de notre intérêt particulier s'y allume. Il devient notre loi, notre souverain, notre patrie. Nous ne connoissons point d'autres citoyens que ceux dont nous désirons la faveur, ou dont nous craignons l'inimitié. Le reste n'est plus pour nous qu'une nation étrangère, et presque ennemie.

Ainsi se glisse dans chacun de nous le poison mortel de la société, cet amour aveugle de soimêine, qui, distinguant sa fortune de celle de l'état, est toujours prêt de sacrifier tout l'état à sa fortune.

C'est peu d'opposer ainsi son intérêt à celui du public. On désireroit même de pouvoir faire passer ses sentimens jusque dans le cœur du souverain; et par combien d'artifices n'essaic-t-on pas de lui persuader que l'intérêt du prince n'est pas toujours l'intérêt de l'état.

Malheur à ceux dont la coupable flatterie ose introduire une distinction injurieuse aux rois, souvent fatale à leurs peuples, et toujours contraire aux maximes d'une saine politique.

Faut-il qu'un succès trop heureux soit quelquefois la récompense de ceux qui, divisant ainsi deux intérêts inséparables, voudroient, s'il étoit possible, avilir la patrie aux yeux de celui qui en est le père? Cet intérêt imaginaire du prince, qu'on oppose à celui de l'état, devient l'intérêt des flatteurs, qui ne pensent qu'à en abuser. Ils augmentent en apparence l'autorité de leur maître, et en effet leur fortune particulière; ou plutôt ils s'approprient la fortune publique; et s'ils veulent que le pouvoir du souverain soit sans bornes, c'est afin de pouvoir tout pour eux-mêmes.

L'exemple devient contagieux et descend comme par degrés jusqu'aux dernières conditions. Chacun dans la sienne veut faire la même distinction entre l'intérêt de son état et celui de sa personne ; et le bien commun

est tellement oublié, qu'il ne reste plus dans un royaume que des intérêts particuliers, qui forment par leur combat une espèce de guerre civile et presque domestique, où le citoyen n'est pas en sûreté avec le citoyen, où l'ami redoute son ami; et qui rompant les noeuds de la société, semblent nous ramener à cet ancien état qui a précédé la naissance des républiques et des empires, où l'homme n'avoit point de plus grand ennemi que l'homme même.

A la vue d'une patrie livrée à l'avidité de ses citoyens, et presque devenue la proie de l'intérêt particulier, des esprits plus modérés, qui n'ont ni assez de foiblesse pour faire le mal, ni assez de force pour y résister, tombent dans une profonde indiffé rence, soit par leur pente naturelle, ou même par désespoir du bien public. La douceur de la paresse qui s'insinue jusque dans le fond de leur ame, leur tient lieu de fortune et même de vertu, Un loisir qui étoit peut-être à charge dans les commencemens, est enfin regardé comme le bien le plus solide. Dans le sein de la mollesse, ou dans un cercle d'amusemens, ils se font une espèce de patrie à part, où, comme dans une île enchantée, on diroit qu'ils boivent tranquillement les eaux de ce fleuve qui faisoit oublier aux hommes les biens et les maux de leur ancienne patrie.

Ceux mêmes qui donnent à ce dégoût de la république le titre spécieux de philosophie, sont-ils plus dignes de nos louanges? Insensibles aux besoins de Jeurs concitoyens, et sourds à la voix de la société qui les réclanie, que cherchent-ils dans une retraite où ils fuient jusqu'à leur patrie; le même bien qui excite les désirs des ambitieux, et qui fait le bonheur des rois; vivre au gré de leurs désirs, et trouver une espèce de royauté dans l'indépendance de leur vie?

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Commander à tous, ou n'obéir à personne; fierté de leur cœur ne trouve point de milieu entre ces deux états. La fortune leur refuse le plus écla

tant; leur orgueil embrasse le plus sûr; et ne pouvant se mettre au-dessus de leurs concitoyens par l'autorité, ils croient s'y placer au moins par le mépris.

Où trouverons - nous donc la patrie? L'intérêt particulier la trahit, la mollesse l'ignore, une vaine philosophie la condamne. Quel étrange spectacle pour le zèle de l'homme public! Un grand royaume, et point de patrie; un peuple nombreux, et presque plus de citoyens.

Le dirons-nous enfin? Nous-mêmes qui faisons gloire de nous dévouer à la patrie autant qu'à la justice, sommes-nous toujours dignes de cette gloire; et s'il ne nous est pas possible d'aspirer à l'éloge de celui qui, à la vue du sénat romain, s'écria qu'il voyoit un sénat de rois; pouvonsnous offrir à la république au moins un sénat de citoyens.

Rendre la justice avec une exacte équité, c'est le devoir commun de tous ceux qui se consacrent à son ministère. Mais si le magistrat suprême ne porte pas plus loin l'ardeur de son zèle, il demeure toujours débiteur de la patrie, qui, sans se contenter du bien particulier qu'il peut faire, exige encore de lui un compte rigoureux du bien public.

Protéger l'innocence, et ne faire trembler que l'iniquité; applanir, redresser les sentiers de la justice; les purger de ces guides infidèles qui en obsèdent tous les passages pour y tendre des piéges à l'ignorance ou à la crédulités éclairer les tribunaux inférieurs, et y faire briller comme par une réflexion de lumière, une partie des vertus du sénat; réformer les moeurs publiques par son autorité; les condamner au moins par son exemple, et être comme la voix de la patrie, qui réclame toujours la règle et la loi, qui dans les temps difficiles teste sagement pour le bien public, et dans les jours plus tranquilles rappelle le souvenir de l'ancien ordre

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