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cence digne des premiers temps, et balancé dans quelques esprits ces puissans motifs de l'intérêt du magistrat, de l'utilité publique, et de l'exemple de tous les siècles.

Plusieurs de ceux qui sortent de la vie privée pour être admis dans le sanctuaire de la justice, confondent le faste avec la dignité; ils ignorent encore les vraies prérogatives de leur état destiné à l'amour du peuple et à l'utilité publique. Ils affectent en toute occasion d'en faire sentir la supériorité. Tout, jusqu'à leur accueil, leur paroît devoir changer; ils croient surtout que la simplicité dans les mœurs les aviliroit aux yeux des hommes; qu'elle est l'obscure vertu de l'homme privé; et que l'extérieur brillant est le véritable apanage des fonctions publiques.

D'autres se persuadent que ces marques de grandeur servent à faire respecter la justice et le souverain dont ils exercent l'autorité.

Mais peut-on regarder comme un véritable respect qui puisse nous flatter, ces apparences de soumission qu'attirent des dehors fastueux, que le besoin arrache, et que le cœur dément toujours? Jaloux de son indépendance, plus on affecte l'air de domination, plus sa liberté s'en offense; et pour se dédommager de l'effort qu'il se fait en dissimulant, il se livre au plaisir d'abaisser en secret ceux qui exigent ces vains honneurs.

Il n'en est pas ainsi de l'hommage sincère qu'on rend sans contrainte à la simplicité des mœurs; c'est un tribut légitime dont personne ne veut se dispenser; moins on paroît empressé à le recevoir, plus le public s'efforce à le payer par un respect intérieur, seul digne d'un magistrat, et infiniment préférable à cette impression d'étonnement que laisse la magnifi

cence.

Loin de nous ces ames timides dans la pratique du bien, qui sans entrer dans l'examen de la vérité, se font des idées des vertus au gré de leurs penchans où de leur indolence, et se représentent la simplicité de mœurs sous une image qui les rebute; ils se per

suadent qu'elle est toujours accompagnée d'une effrayante sévérité, qu'elle écarte tous les amusemens, et que se consacrer à cette vertu, c'est se dévouer à la tristesse et à l'ennui.

Le magistrat, il est vrai, conduit par la sagesse, évite tout ce qui pourroit altérer la simplicité de ses mœurs, et affoiblir sa vertu. En s'écartant d'une route dont la raison lui montre les périls, il s'épargne la fatigue du combat, et n'en mérite pas moins. l'honneur de la victoire; il sait que l'éclat bruyant de la vanité en frappant l'imagination, peut fa re illusion à l'esprit, et qu'un des plus grands philosophes de l'antiquité avouoit, qu'en quittant les lieux où régnoit la magnificence, s'il n'en sortoit pas moins vertueux, il en sortoit moins content et moins tranquille.

Mais n'est-il point d'autres plaisirs que ceux que procure un luxe somptueux ? Le magistrat simple dans ses mœurs sait en trouver de plus doux, et de moins sujets aux importuns retours du repentir.

L'amitié des gens vertueux, les agrémens d'une société d'autant plus aimable que la ressemblance des mœurs et des sentimens en fait le lien : les amusemens de la vie champêtre dans ces intervalles où il lui est permis de les goûter, et de cesser d'être homme public: les délices qu'il sait se procurer à lui-même dans ces momens d'un précieux loisir qu'il restitue aux lettres et aux sciences, momens qu'il se reprocheroit comme autant d'infidélités, s'il les prenoit sur le temps qui est consacré à ses devoirs, et qui appartient à l'état; enfin tout ce qui est capable de faire le délassement d'une grande ame, et de la rendre plus propre aux nouveaux travaux qu'exige le bien public, forme les plaisirs innocens de la vie simple.

Une trop grande austérité peut être quelquefois l'effet du caractère et non de la simplicité de mours. La modération l'accompagne : éloignée de tout ce qui peut blesser l'amour-propre des autres, elle se fait aimer et honorer en même temps, parce qu'elle ne parle que le langage de la raison.

Que celui qui redoute cette vertu, cesse donc de se trahir lui-même ; que ses yeux dessillés s'ouvrent enfin à la lumière de la vérité; qu'instruit par l'expérience de tous les temps, il se persuade que la magistrature ne sera jamais plus respectée que lorsqu'elle sera dégagée de toute pompe extérieure ; et que le magistrat, s'il est véritablement digne de l'être, doit regarder sa dignité comme un titre qui le dévoue à la simplicité de mœurs.

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Heureux si après avoir reçu de nos prédécesseurs le dépôt précieux des vertus qu'elle renferme comme autrefois les mains les plus pures recevoient ce feu sacré auquel la destinée de l'empire étoit attachée nous pouvons le transmettre sans aucune diminution, à ceux qui viendront après nous; et cependant retracer à notre temps les mœurs de ces illustres personnages dont l'histoire nous a conservé la mémoire pour être le modèle et l'admiration de tous les siècles!

SIXIÈME MERCURIALE,

PRONONCÉE A LA SAINT-MARTIN, 1702:

LES MOEURS DU MAGISTRAT.

A la vue de cet auguste sénat, au milieu de ce temple sacré, où le premier ordre de la magistrature s'assemble en ce jour, pour exercer sur lui, non le jugement de l'homme, mais la censure de Dieu même ; par où pouvons-nous mieux commencer les fonctions de notre ministère, qu'en vous adressant ces nobles et sublimes paroles que l'Écriture consacre à la gloire et à l'instruction des magistrats: Juges de la terre, vous êtes des Dieux, et les enfans du Très-Haut,

Puisse le magistrat conserver toujours cette haute idée de la grandeur de son caractère! Image de la divinité, puisse-t-il ne déshonorer jamais cette glorieuse resemblance! Mais oserons-nous le dire, et nous sera-t-il permis de juger de l'avenir par le passé? A peine cette assemblée si respectable sera-t-elle séparée, que nous verrons peut-être les enfans du Très-Haut confondus dans la foule des enfans des hommes, déposer les mœurs de la magistrature avec les marques de leur dignité, et mériter que nous leur appliquions ces sévères et redoutables paroles de la même écriture: Je vous ai dit que vous êtes des Dieux, mais vous mourrez comme les autres

hommes.

Loin du sage ministre de la justice cette indigne alternative de grandeur et de bassesse, de vie et de mort; c'est en vain que l'on cherche à distinguer en lui la personne privée et la personne publique; un même esprit les anime, un même objet les réunit ; T'homme, le père de famille, le citoyen, tout est en

lui consacré à la gloire du magistrat. Sa vie privée nous cache un spectacle moins éclatant, mais non pas moins utile que celui que sa vie publique nous montre; et l'image de ses mœurs est aussi respectable que celle de sa justice.

Quel plaisir de le contempler, lorsqu'éloigné de cette foule de cliens qui l'environne presque toujours, déchargé du poids de ses fonctions publiques, et déposant, si l'on peut parler ainsi, les rayons de sa gloire, le magistrat nous laisse voir l'homme tout entier, et nous le montre dans cet état où il est véritablement lui-même.

Nous ne le trouverons point occupé à délibérer sérieusement sur le choix de ses plaisirs, ou à tracer laborieusement le plan de sa fortune. Renfermé audedans de lui-même, jouissant en paix de cette douce et innocente volupté que donne à l'homme de bien Je spectacle de son cœur, il cherche continuellement, non ce qui peut le faire paroître plus grand, mais ce qui doit le rendre meilleur; il cultive les semences de vertu que la nature lui a données; il arrache tous les jours ces épines malheureuses que la même nature fait croître tous les jours dans la terre la plus fertile, pour exercer la pénible industrie du laboureur.

Quelquefois s'élevant au-dessus de lui-même, il porte la sainte, la rapide audace de ses regards jusqu'au trône de la divinité, pour y contempler la justice dans la justice même, et pour former scs mœurs sur ce grand modèle.

Que ne lui est-il permis de demeurer dans ce séjour lumineux, et de se livrer à la douceur de cette haute spéculation! Mais la voix de la société le rappelle sur la terre, pour se dévouer dans une vie active et laborieuse, au salut de la république. Ses yeux accoutumés à contempler la justice dans sa piénitude, découvrent sans peine cette multitude infinie de devoirs que le magistrat impose à l'homme, et que l'homme à son tour exige du magistrat : il joint l'expérience aux préceptes, et l'usage à la raison. Peu content des exemples vivans, il cherche dans les mo

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