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Le talent se polit dans leur société,

Acquiert plus d'agrément et plus d'urbanité,

Ce tact heureux et fin, ce ton, cet art de plaire,
Aux mœurs comme à l'esprit parure nécessaire.
La Feuillade et Vendôme, et Chaulieu vieillissant,
Présidoient aux essais de Voltaire naissant.
Le héros de Denain, l'enfant de la victoire,
Aimoit à le couvrir des rayons de sa gloire;
Il goûtoit leurs leçons, et ces maîtres choisis,
Le formoient au bon goût du siècle de Louis.
Il est, il est encor d'aussi parfaits modèles
Du jugement exquis, des gràces naturelles.
Attire leurs regards sur tes heureux essais;
Mérite enfin qu'un jour, honorant tes succès,
Te donnant pour leçon leurs exemples à suivre,
Nivernois et Beauveau t'enseignent l'art de vivre.
C'est peu de posséder, il faut savoir jouir,
Il faut goûter en paix ce qu'on sut obtenir.
Aux palmes d'Hélicon il est beau de prétendre !
Des mains de l'amitié qu'il est doux de les prendre!
Pour moi, je puis encor, témoin de tes honneurs,
Je puis à ta couronne attacher quelques fleurs.
Apollon a reçu tes premiers sacrifices,

Ce dieu de mon printemps a reçu les prémices.
Cet amour des beaux arts est souvent séducteur;
Ils ne m'ont point trompé puisqu'ils font mon bonheur.
Ils enchantent mes jours, et leur riant cortége
Ecarte les soucis dont l'essaim nous assiége.
Je me sauve en leurs bras, j'y trouve le repos.
Le vieillard au front chauve, à l'inflexible faux,

De nous, à chaque instant, ravit quelque partie,
Il moissonne en courant les fleurs de notre vie;
L'esprit jouit encor quand les sens sont flétris,
C'est le dernier soutien de nos derniers débris.
Un jour mon œil éteint sous les voiles de l'âge,
Ne verra la beauté qu'à travers un nuage.
Les parfums du printemps, son éclat, ses couleurs,
Pour mes sens émoussés auront moins de douceurs;
Et des airs de Grétry l'aimable mélodie
Frappera foiblement mon oreille engourdie.

Alors, toujours sensible aux charmes des neuf sœurs,
Puissé-je encor goûter leurs dons consolateurs,
Rassembler avec joie autour de ma vieillesse,
Ces écrivains chéris qu'adora ma jeunesse ;
Relire et dévorer ces ouvrages charmans,
De la raison, de l'âme immortels alimens;
Me réchauffer encor de leur flamme divine,
Et retrouver mon cœur dans les vers de Racine !

(LA HARPE. Pièce qui a remporté le prix à
l'Académie françoise.)

CHAPITRE II.

POÉSIE ÉPIQUE,

Si un érudit venoit nous dire : le poëme épique est une longue fable, inventée pour enseigner une vérité mo— rale, et dans laquelle un héros achève une grande action, avec le secours des Dieux, dans l'espace d'une année; il faudroit lui répondre : votre définition est fausse; car, sans examiner si l'Iliade est d'accord avec elle, les Anglois ont un poëme épique, dont le héros bien loin de venir à bout d'une grande entreprise, par le secours du ciel, en une année, est trompé par le diable et par sa femme, en un jour, et est chassé du paradis terrestrc pour avoir désobéi à Dieu.

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Il faut, dans tous les arts, se donner bien de garde de ces définitions trompeuses, par lesquelles on ose proscrire les beautés qui nous sont inconnues, ou que l'habitude ne nous a pas rendues familières. Il n'en est pas des aris d'imagination, comme des ouvrages de la nature. On peut definir les métaux, les élémens, les animaux, parce qu'ils sont toujours les mêmes; mais les ouvrages de l'homme changent comme l'imagination qui les produit, Les coutumes, les langues et le goût des peuples varient

de siècle en siècle. Il y a autant de révolutions dans les arts, que dans les empires; ils changent de mille manières, tandis qu'on cherche à les fixer.

Quelle sera donc l'idée que nous devons nous former de la poésie épique? Le mot épique vient du grec épos, qui signifie récit. L'usage a particulièrement appliqué ce mot à des récits en vers, d'aventures héroïques.

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Que l'action soit simple ou compliquée, qu'elle s'achève dans un jour ou dans une année, que la scène se passe dans un seul endroit comme dans l'Iliade, que héros voyage de mers en mers comme dans l'Odyssée, qu'il soit furieux comme Achille ou pieux comme Énée, il n'importe, le poëme sera toujours un poëme épique, ou un poëme héroïque, à moins qu'on ne lui trouve un nouveau titre proportionné à son mérite. Ne disputons pas sur les mots : la carrière des arts est plus étendue qu'on ne pense.

Le point de la question est de savoir en quoi les nations polies s'accordent, et sur quoi elles diffèrent.

Un poëme épique doit partout être fondé sur le jugement, et embelli par l'imagination. Ce qui appartient au bon sens appartient également à toutes les nations. Toutes vous disent qu'une action, une et simple, qui se développe aisément et par degré, et qui ne coûte aucune fatigue à l'attention, leur plaira davantage qu'un ̧ amas confus d'aventures monstrueuses.

On souhaite généralement que cette unité si sage, soit ornée d'une variété d'épisodes, qui soient comme les membres d'un corps robuste et bien proportionné. Plus

l'action sera grande, plus elle plaira à tous les hommes dont la foiblesse est d'être séduits par tout ce qui est au—. de là de la vie commune. Il faudra surtout que cette action soit intéressante; car tous les coeurs veulent ètre émus, et un poëme, parfait d'ailleurs, s'il ne touchoit point, seroit insipide en tout temps, et en tout pays. Elle doit être entière, parce qu'il n'y a point d'homme raisonnable qui puisse être satisfait de ne recevoir qu'une partie du plaisir qu'on lui a promis tout entier.

Telles sont, à peu près, les règles générales sur lesquelles toutes les nations qui cultivent les lettres sont d'accord; mais le merveilleux, l'intervention du pouvoir céleste, la nature des épisodes, tout ce qui dépend de la tyrannie de la coutume et de cet instinct qu'on nomme goût, voilà sur quoi il y a mille opinions, et point de règles générales.

Nous devons admirer ce qui est universellement beau chez les anciens; nous devons nous prêter à ce qui étoit beau dans leur langue et dans leurs moeurs; mais ce seroit s'égarer.étrangement, que de vouloir toujours les suivre à la piste. Nous ne parlons pas la même langue, nous professons une religion différente, nos coutumes ne se ressemblent pas davantage, notre philosophie est presque en tout contraire à celle qu'ils enseignoient; pourquoi nous obstinerions-nous à les imiter servilement dans les arts 'd'imagination?

Qu'Homère nous représente ses dieux s'enivrant du nectar, et riant sans fin de la mauvaise grâce dont Vulcain leur sert à boire. Cela étoit bon de son temps, où

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