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ORAISON

Dominus tecum virorum fortiffime...... Vade in FUNEBRE hac fortitudine tuâ.... Ego ero tecum.

Le Seigneur eft avec vous ô le plus courageux de tous les hommes. Allez avec ce courage dont vous êtes rempli. Je ferai avec vous. Aux Juges. VI. 12, 14, 16.

MONSEIGN

ONSEIGNEUR*;

Au moment que j'ouvre la bouche pour célébrer la gloire im→ mortelle de LOUIS DE BOURBON, PRINCE DE CONDE', je me fens également confondu, & par la grandeur du fujet, &, s'il m'eft permis de l'avouer, par l'inutilité du travail. Quelle partie du monde habitable n'a pas oui les victoires du Prince de Condé, & les merveilles de fa vie? On les raconte par-tout le François qui les vante, n'apprend rien à l'Etranger; & quoi que je puiffe aujourd'hui vous en rapporter, toujours prévenu par vos pensées j'aurai encore à répondre au fecret reproche que vous me ferez,

DE LOUIS
DE BOUR-
BON.

*M. le Prince

FUNEBRE

BON.

Prov, XXXI. 31.

d'être demeuré beaucoup au deffous. Nous ne pouvons rien, foiORAISON bles Orateurs, pour la gloire des ames extraordinaires : le Sage a raifon de dire, Que leurs feules actions les peuvent louer toute DE LOUIS DE BOUR- autre loüange languit auprès des grands noms ; & la feule fimplicité d'un récit fidéle pourroit foutenir la gloire du Prince de Condé. Mais en attendant que l'Hiftoire, qui doit ce récit aux fiécles futurs, le faffe paroître; il faut fatisfaire, comme nous pourrons, à la reconnoiffance publique, & aux ordres du plus grand de tous les Rois. Que ne doit point le Royaume à un Prince qui a honoré la Maison de France, tout le nom François, fon fiécle, &, pour ainfi dire, l'humanité toute entiere? LOUIS LE GRAND eft entré lui-même dans ces fentimens. Après avoir pleuré ce grand Homme, & lui avoir donné par fes larmes, au milieu de toute fa Cour, le plus glorieux éloge qu'il pût recevoir : il affemble dans un Temple fi célébre, ce que fon Royaume a de plus augufte pour y rendre les devoirs publics à la mémoire de ce Prince; & il veut que ma foible voix anime toutes ces triftes représentations & tout cet appareil funébre. Faifons donc cet effort fur notre douleur. Ici un plus grand objet, & plus digne de cetre Chaire, fe préfente à ma pensée. C'eft Dieu qui P.CXLIII, fait les Guerriers & les Conquérans. C'est vous, lui difoit David, qni avez infruit mes mains à combattre, & mes doigts à tenir l'épée. S'il infpire le courage, il ne donne pas moins les autres grandes qualités naturelles & furnaturelles, & du cœur & de l'efprit. Tout part de fa puiffante main : c'eft lui qui envoie du Ciel les généreux fentimens, les fages confeils, & toutes les bonnes penfées. Mais il veut que nous fçachions diftinguer entre les dons qu'il abandonne à fes ennemis, & ceux qu'il réferve à ses serviteurs. Ce qui diftingue fes amis d'avec tous les autres, c'est la piété jufqu'à ce qu'on ait reçu ce don du Ciel, tous les autres non-feulement ne font rien, mais encore tournent en ruine à ceux qui en font ornés. Sans ce don ineftimable de la piété, que seroit-ce que le Prince de Condé avec tout ce grand coeur & ce grand génie? Non, MES FRERES, fi la piété n'avoit comme confacré fes autres vertus, ni ces Princes ne trouveroient aucun adouciffement à leur douleur, hice religieux Pontife aucune confiance dans fes prieres, ni moi-même aucun foutien aux louanges que je dois à un fi grand Homme. Pouffons donc à bout la gloire humaine par cet exemple: détruifons l'idole des ambitieux: qu'elle tombe anéantie devant ces Autels. Mertons-en un aujourd'hui, car nous

I.

DE LOUIS
DE BOUR-

BON.

le pouvons dans un fi noble fujet, toutes les plus belles qualités d'une excellente nature; & à la gloire de la vérité, montrons dans ORAISON un Prince admiré de tout l'Univers, que ce qui fait les Héros, FUNEBRE ce qui porte la gloire du monde jufqu'au comble; valeur, magnanimité, bonté naturelle; voilà pour le cœur vivacité, pénétration, grandeur & fublimité de génie; voilà pour l'efprit : ne feroient qu'une illufion, fi la piété ne s'y étoit jointe : & enfin, que la piété eft le tout de l'homme. C'eft, MESSIEURS, cẹ que vous verrez dans la vie éternellement mémorable de TRESHAUT, ET TRES-PUISSANT PRINCE LOUIS DE BOURBON PRINCE DE CONDE', PREMIER PRINCE DU SANG.

Dan. VIII.

Dieu nous a révélé que lui feul il fait les Conquérans, & que feul il les fait fervir à fes deffeins. Quel autre a fait un Cyrus fi ce n'eft Dieu, qui l'avoit nommé deux cens ans avant fa naiffance dans les Oracles d'Ifaïe? Tu n'es pas encore, lui difoit-il, mais je te vois, & je t'ai nommé par ton nom: tu t'appelleras Cy Ifa. XLV. rus je marcherai devant toi dans les combats: à ton approche je 12, 3, 4, 7o mettrai les Rois en fuite: je briferai les portes d'airain: c'est moi qui étend les Cieux, qui foutiens la terre, qui nomme ce qui n'eft pas comme ce qui eft ; c'est-à-dire, c'est moi qui fais tout, & moi qui vois dès l'éternité tout ce que je fais. Quel autre a pû former un Alexandre, fi ce n'eft ce même Dieu, qui en a fait voir de fi loin & par des figures fi vives l'ardeur indomtable à son Prophéte Daniel? Le voyez-vous, dit-il, ce Conquérant; avec quelle rapi dité il s'élève de l'Occident comme par bonds, & ne touche pas à 5, 21. terre? Semblable dans fes fauts hardis & dans fa légère démarche à ces animaux vigoureux & bondiffans, il ne s'avance que vives & impétueufes faillies, & n'eft arrêté ni par montagnes, ni par précipices. Déja le Roi de Perfe eft entre fes mains: à fa 1bid. 6,7% vue il s'eft animé : efferatus eft in eum, dit le Prophéte; il l'abbat, 20. il le foule aux pieds: nul ne le peut defendre des coups qu'il lui pora te, ni lui arracher fa proie. A n'entendre que ces paroles de Da niel, qui croiriez-vous voir, MESSIEURS, fous cette figure, Aléxandre ou le Prince de Condé? Dieu donc lui avoit donné cette indomtable valeur pour le falut de la France durant la minorité d'un Roi de quatre ans. Laiffez-le croître ce Roi chéri du Ciel : tout cédera à fes exploits : fupérieur aux fiens comme aux ennemis, il fçaura tantôt fe fervir, tantôt fe paffer de fes plus fameux Capitaines; & feul fous la main de Dieu, qui fera continuelle

par

DE LOUIS

DE BOUR- deux ans,

BON.

ment à fon fecours, on le verra l'affûré rempart de fes Etats. Mais ORAISON Dieu avoit choisi le Duc d'Anguien pour le défendre dans son enFUNEBRE fance. Auffi vers les premiers jours de fon regne, à l'âge de vingtle Duc conçut un deffein où les Vieillards expérimentés ne peuvent atteindre: mais la victoire le juftifia devant Rocroy. L'armée ennemie eft plus forte, il eft vrai: elle eft compofée de ces vieilles bandes Valonnes, Italiennes & Efpagnoles, qu'on n'avoit pû rompre jufqu'alors. Mais pour combien falloit-il compter le courage qu'infpiroit à nos troupes le befoin preffant de l'Etat, les avantages paffés, & un jeune Prince du Sang qui portoit la victoire dans fes yeux ? Dom Francifco de Mellos l'attend de pied-ferme ; & fans pouvoir reculer, les deux Généraux & les deux armées femblent avoir voulu fe renfermer dans des bois & dans des marais pour décider leur querelle, comme deux braves, en champ clos. Alors, que ne vit-on pas? Le jeune Prince parut un autre homme. Touché d'un fi digne objet, fa grande ame fe déclara toute entiere: fon courage croiffoit avec les périls, & fes lumieres avec fon ardeur. A la nuit, qu'il fallut paffer en présence des Ennemis, comme un vigilant Capitaine il repofa le dernier: mais jamais il ne repofa plus paifiblement. A la veille d'un fi grand jour, & dès la premiere bataille, il eft tranquille; tant il fe trouve dans fon naturel : & on fçait que le lendemain à l'heure marquée il fallut réveiller d'un profond fommeil cet autre Alexandre. Le voyez-vous comme il vole, ou à la victoire, ou à la mort? Auffi-tôt qu'il eut porté de rang en rang l'ardeur dont il étoit animé, on le vir prefque en même tems pouffer l'aile droite des ennemis, foutenir la nôtre ébranlée, rallier le François à demi vaincu, & mettre en fuite l'Espagnol victorieux, porter par-tout la terreur, & étonner de ses regards étincelans ceux qui échappoient à fes coups. Reftoit cette redoutable Infanterie de l'armée d'Espagne, dont les gros bataillons ferrés, femblables à autant de tours, mais à des tours qui fçauroient réparer leurs bréches, demeuroient inébranlables au milieu de tout le refte en déroute, & lançoient des feux de toutes parts. Trois fois le jeune Vainqueur s'efforça de rompre ces intrépides combattans: trois fois il fut repouffé par le valeureux Comte de Fontaines, qu'on voyoit porté dans fa chaise, & malgré fes infirmités montrer qu'une ame guerriere eft maîtreffe du corps qu'elle anime. Mais enfin, il faut céder. C'eft en vain qu'à travers des bois avec fa cavalerie toute fraîche, Bek précipite fa

marche

FUNEBRE DE LOUIS

BON.

marche pour tomber fur nos foldats épuifés : le Prince l'a prévenu: les bataillons enfoncés demandent quartier : mais la victoire ORAISON va devenir plus terrible pour le Duc d'Anguien que le combat. Pendant qu'avec un air affûré il s'avance pour recevoir la parole DE BOURde ces braves gens, ceux-ci, toujours en garde, craignent la furprise de quelque nouvelle attaque: leur effroyable décharge met les nôtres en furie: on ne voit plus que carnage: le fang enivre le foldat, jusqu'à ce que le grand Prince, qui ne put voir égorger ces lions comme de timides brebis, calma les courages émûs, & joignit au plaifir de vaincre celui de pardonner. Quel fut alors l'étonnement de ces vieilles troupes & de leurs braves Officiers, lorfqu'ils virent qu'il n'y avoit plus de falut pour eux qu'entre les bras du vainqueur? De quels yeux regarderent-ils le jeune Prince, dont la victoire avoit relevé la haute contenance, à qui la clémence ajoûtoit de nouvelles graces? Qu'il eût encore volon tiers fauvé la vie au brave Comte de Fontaines ! Mais il fe trouva par terre, parmi ces milliers de morts dont l'Efpagne fent encore la perte. Elle ne fçavoit pas que le Prince, qui lui fit perdre tant de ses vieux Régimens à la journée de Rocroy, en devoit achever les reftes dans les plaines de Lens. Ainfi la premie-. re victoire fut le gage de beaucoup d'autres. Le Prince fléchit le genou, & dans le champ de bataille il rend au Dieu des armées la gloire qu'il lui envoyoit. Là on célébra Rocroy délivré, les menaces d'un redoutable ennemi tournées à fa honte, la Régence affermie, la France en repos ; & un regne qui devoit être fi beau, commencé par un fi heureux préfage. L'armée commença l'action de graces: toute la France fuivit on y élevoit jusqu'au Ciel le coup d'effai du Duc d'Anguien: c'en feroit affez pour illuftrer une autre vie que la fienne; mais pour lui, c'est le premier pas de fa course.

Dès cette premiere Campagne, après la prise de Thionville digne prix de la victoire de Rocroy, il paffa pour un Capitaine également redoutable dans les fiéges & dans les batailles. Mais voici dans un jeune Prince victorieux quelque chofe qui n'est pas moins beau que la victoire. La Cour qui lui préparoit à son arrivée les applaudiffemens qu'il méritoit, fut furprife de la maniere dont il les reçut. La Reine Régente lui a témoigné que le Roi étoit content de fes fervices. C'eft dans la bouche du Souverain la digne récompense de ses travaux. Si les autres ofoient le louer, il repouffoit leurs loüanges comme des offenTome VIII.

Sff

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