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admiration, eft devenu pour ce Prince le fujet d'une douleur qui ORAISON n'a point de bornes. PRINCESSE, le digne lien des deux plus grands FUNEBRE Rois du monde, pourquoi leur avez-vous été fitôt ravie? Ces ANNE D'AN- deux grands Rois fe connoiffent; c'eft l'effet des foins de MADAME: GLETERRE. ainfi leurs nobles inclinations concilieront leurs efprits, & la vertu

DE HENR.

Pfal.

XXXVIII. 6.

fera entr'eux une immortelle médiatrice. Mais fi leur union ne perd rien de fa fermeté, nous déplorerons éternellement qu'elle ait perdu fon agrément le plus doux; & qu'une Princesse si chérie de tout l'Univers ait été précipitée dans le tombeau, pendant que la confiance de deux fi grands Rois l'élevoit au comble de la grandeur & de la gloire.

La grandeur & la gloire ! Pouvons-nous encore entendre ces noms dans ce triomphe de la mort? Non, MESSIEURS, je ne puis plus foutenir ces grandes paroles, par lesquelles l'arrrogance hu maine tâche de s'étourdir elle-même, pour ne pas appercevoir fon néant. Ik eft tems de faire voir que tout ce qui eft mortel, quoi qu'on ajoûte par le dehors pour le faire paroître grand, eft par fon fond incapable d'élévation. Ecoutez à ce propos le profond raifonnement, non d'un Philofophe qui difpute dans une école, ou d'un Religieux qui médite dans un Cloître: je veux confondre le monde par ceux que le monde même révère le plus, par ceux qui le connoiffent le mieux, & ne lui veux donner pour le convaincre que des Docteurs affis fur le Thrône. O Dieu, dit le Roi Prophéte, vous avez fait mes jours mefurables,& ma subfance n'est rien devant vous. Il est ainfi, CHRETIENS: tout ce qui fe mefure finit, & tout ce qui eft né pour finir, n'eft pas tout-à fait forti du néant où il eft fi tôt replongé. Si notre être, fi notre substance n'est rien, tout ce que nous bâtiffons deffus, que peutil être? Ni l'édifice n'eft plus folide que le fondement, ni l'accident attaché à l'être, plus réel que l'être même. Pendant que la nature nous tient fi bas, que peut faire la fortune pour nous élever? Cherchez, imaginez parmi les hommes les différences les plus remarquables;, vous n'en trouverez point de mieux mar quée, ni qui vous paroiffe plus effective: que celle qui relève le victorieux, au-deffus des vaincus qu'il voit étendus à fes pieds. Cependant ce vainqueur enfié de fes titres, tombera lui-même à fon tour entre les mains de la mort. Alors ces malheureux vaincus rappelleront à leur compagnie leur fuperbe: triomphateur; & du creux de leur tombeau fortita cette voix qui foudroie toutes les I. XIV. 10. grandeurs: Vous voilà bleffé comme nous vous êtes devenu femblable

à nous. Que la fortune ne tente donc pas de nous tirer du néant, ni de forcer la baffeffe de notre nature.

ORAISON

FUNEBRE

Pf. CXLV.

Mais peut-être au defaut de la fortune, les qualités de l'efprit, DE HENR. les grands deffeins, les vaftes penfées pourront nous diftinguer ANNE D'ANdu refte des hommes. Gardez-vous bien de le croire, parce que GLETERRE. toutes nos pensées, qui n'ont pas Dieu pour objet, font du domaine de la mort. Ils mourront, dit le Roi Prophéte, & en ce jour periront toutes leurs penfées. C'est-à-dire, les penfées des Conquérans, 4. les pensées des Politiques qui auront imaginé dans leurs cabinets des deffeins où le monde entier fera compris. 1ls fe feront munis de tous côtés par des précautions infinies; enfin ils auront tout prévû, excepté leur mort qui emportera en un moment toutes feurs penfées. C'eft pour cela que l'Eccléfiafte, le Roi Salomon fils du Roi David, (car je fuis bien aife de vous faire voir la fucceffion de la même doctrine dans un même Thrône) c'eft, disje, pour cela que l'Eccléfiafte faifant le dénombrement des illufions qui travaillent les enfans des hommes, y comprend la fageffe même. Je me fuis, dit-il, appliqué à la fagesse, & j'ai vu que Eccl. II. 12 x c'étoit encore une vanité; parce qu'il y a une fauffe fageffe, qui fe 15. renfermant dans l'enceinte des chofes mortelles, s'enfevelit avec elles dans le néant. Ainfi je n'ai rien fait pour MADAME, quand je vous ai représenté tant de belles qualités qui la rendoient admirable au monde, & capable des plus hauts deffeins où une Prin ceffe puiffe s'élever. Jufqu'à ce que je commence à vous raconter 'ce qui l'unit à Dieu, une fi illuftre Princeffe ne paroîtra dans ce difcours, que comme un exemple le plus grand qu'on fe puiffe proposer, & le plus capable de perfuader aux ambitieux qu'ils n'ont aucun moyen de fe diftinguer, ni par leur naissance, ni par leur grandeur, ni par leur efprit; puifque la mort, qui égale tout, les domine de tous côtés avec tant d'empire, & que d'une main fi prompte & fi fouveraine elle renverfe les têtes les plus respectées.

,

Confidérez, MESSIEURS, ces grandes puiffances que nous regardons de fi bas. Pendant que nous tremblons fous leur main Dieu les frappe pour nous avertir. Leur élévation en eft la cause; & il les épargne fi peu, qu'il ne craint pas de les facrifier à l'inf truction du refte des hommes. CHRETIENS, ne murmurez pas fi MADAME a été choifie pour nous donner une telle instruction. Il n'y a rien ici de rude pour elle, puifque, comme vous le verrez dans la fuite, Dieu la fauve par le même coup qui nous inftruit.

FUNEBRE

Nous devrions être affez convaincus de notre néant: mais s'il ORAISON faut des coups de furprise à nos cœurs enchantés de l'amour du DE HENR. monde, celui-ci eft affez grand & affez terrible. O nuit défaftreufe! ANNE D'AN- Ô nuit effroyable, où retentit tout-à-coup comme un éclat de tonGLETERRE. nerre, cette étonnante nouvelle, MADAME fe meurt, MADAME eft

27.

morte! Qui de nous ne fe fentit frappé à ce coup, comme si quel que tragique accident avoit désolé fa famille ? Au premier bruit d'un mal fi étrange, on accourut à Saint Cloud de toutes parts; on trouve tout confterné, excepté le cœur de cette Princeffe. Par-tout on entend des cris; par-tout on voit la douleur & le défefpoir, & l'image de la mort. Le Roi, la Reine, Monfieur, toute la Cour, tout le Peuple, tout eft abattu, tout est désespéré; & il me femble que je vois l'accompliffement de cette parole du ProEzech. VII. Phéte: Le Roi pleurera, le Prince fera défolé, & les mains tomberont au Peuple de douleur & d'étonnement.

SAL.fr.

Mais, & les Princes & les Peuples gémiffoient en vain. En vain Monfieur, en vain le Roi même tenoit MADAME ferrée par de fi étroits embraffemens. Alors ils pouvoient dire l'un & l'autre Orat, de ob, avec faint Ambroife: Stringebam brachia, fed jam amiferam quam tenebam; je ferrois les bras, mais j'avois déja perdu ce que je tenois. La Princeffe leur échappoit parmi des embrassemens fi tendres, & la mort plus puiffante nous l'enlevoit entre ces Royales mains. Quoi donc, elle devoit périr si tôt ! Dans la plûpart des hommes les changemens fe font peu à peu, & la mort les prépare ordinairement à fon dernier coup. MADAME cependant a paffé du matin au foir, ainsi que l'herbe des champs. Le matin elle floriffoit, avec quelles graces, vous le fçavez : le foir nous la vîmes féchée, & ces fortes expreffions, par lesquelles l'Ecriture Sainte exagère l'inconftance des chofes humaines, devoient être pour cette Princeffe fi précises & fi littérales. Hélas! nous compofions fon Hiftoire de tout ce qu'on peut imaginer de plus glorieux. Le paffé & le préfent nous garantiffoit l'avenir, & on pouvoit tout attendre de tant d'excellentes qualités. Elle alloit s'acquérir deux puiffans Royaumes, par des moyens agréables: toujours douce, toujours paisible, autant que généreufe & bienfaifante, fon crédit n'y auroit jamais été odieux: on ne l'eût point vû s'attirer la gloire avec une ardeur inquiéte & précipitée; elle l'eût attendue fans impatience, comme fúre de la pofféder. Cet attachement qu'elle a montré fi fidéle pour le Roi jufqu'à la mort, lui en donnoit les moyens. Et certes, c'eft le bonheur de nos

jours,

pas

ORAISON

FUNEBRE

DE HENR.

jours, , que l'eftime fe puiffe joindre avec le devoir; & qu'on puiffe autant s'attacher au mérite & à la perfonne du Prince, qu'on en révère la puiffance & la majefté. Les inclinations de MADAME ne l'attachoient moins fortement à tous les autres devoirs. La ANNE D'ANpaffion qu'elle reffentoit pour la gloire de MONSIEUR, n'avoit point GLETERRE. de bornes. Pendant que ce grand Prince, marchant fur les pas de fon invincible frere, fecondoit avec tant de valeur & de fuccès fes grands & héroïques deffeins dans la Campagne de Flandres, la joie de cette Princeffe étoit incroyable. Ceft ainfi que fes généreufes inclinations la menoient à la gloire par les voies que le monde trouve les plus belles; & fi quelque chofe manquoit encore à fon bonheur, elle eût tout gagné par fa douceur & par fa conduite. Telle étoit l'agréable Hiftoire que nous faifions pour MADAME; & pour achever ces nobles projets, il n'y avoit que la durée de fa vie, dont nous ne croyions pas devoir être en peine. Car qui eût pû feulement penfer que les années euffent dû manquer à une jeuneffe qui fembloit fi vive? Toutefois c'eft par cet endroit que tout fe diffipe en un moment. Au lieu de l'Hiftoire d'une belle vie, nous fommes réduits à faire l'Hiftoire d'une admirable, mais trifte mort. A la vérité, MESSIEURS, rien n'a jamais égalé la fermeté de fon ame, ni ce courage paisible, qui fans faire effort pour s'élever, s'eft trouvé par fa naturelle fituation au-deffus des accidens les plus redoutables. Oui, Madame fut douce envers la mort, comme elle l'étoit envers tout le monde.. Son grand cœur ni ne s'aigrit, ni ne s'emporta contre elle. Elle ne la brave pas non plus avec fierté : contente de l'envifager fans émotion, & de la recevoir fans trouble. Trifte confolation, puifque, malgré ce grand courage, nous l'avons perdue ! C'eft la grande vanité des choses humaines. Après que par le dernier effet de notre courage nous avons, pour ainfi dire, furmonté la mort, elle éteint en nous jufqu'à ce courage par lequel nous femblions la défier. La voilà, malgré ce grand coeur, cette Princeffe fi admirée, & si chérie; la voilà telle que la mort nous l'a faite, encore ce refte, tel quel, va-t-il difparoître : cette ombre de gloire ya s'évanouir, & nous l'allons voir dépouillée même de cette trifte décoration. Elle va defcendre à ces fombres lieux, à ces demeures foûterraines, pour y dormir dans la pouffiere avec les Grands de la terre, comme parle Job; avec ces Rois & ces Princes anéantis, parmi lesquels à peine peut-on la placer, tant les Tome VIII. Fff

rangs y font preffés, tant la mort eft prompte à remplir ces places. ORAISON Mais ici notre imagination nous abuse encore. La mort ne nous FUNEBRE laiffe DE HENR. pas affez de corps pour occuper quelque place, & on ne ANNE D'AN Voit là que les tombeaux qui faffent quelque figure. Notre chair GLETERRE. change bientôt de nature: notre corps prend un autre nom : même Cadit in ori- celui de cadavre, dit Tertullien, parce qu'il nous montre encore ginem terram, quelque forme humaine, ne lui demeure pas long-tems: il demen, ex ifte vient un je ne fçai quoi, qui n'a plus de nom dans aucune lanquoque nomi- gue; tant il eft vrai que tout meurt en lui, jufqu'à ces termes fune peritura, nébres par lefquels on exprimoit fes malheureux reftes.

cadaveris

isto

in nullum in

de jam nomen,

vocabuli mor

de Refurr.

carnis.

C'eft ainfi que la Puiffance divine juftement irritée contre notre in omnis jam orgueil le pouffe jufqu'au néant, & que pour égaler à jamais les tem. Tertull. Conditions, elle ne fait de nous tous qu'une même cendre. Peuton bâtir fur ces ruines? Peut-on appuyer quelque grand dessein sur ces débris inévitables des chofes humaines? Mais quoi, MESSIEURS, tout eft-il donc défefpéré pour nous? Dieu qui foudroie toutes nos grandeurs, jufqu'à les réduire en poudre, ne nous laiffe-t-il aucune espérance? Lui aux yeux de qui rien ne fe perd, & qui fuit toutes les parcelles de nos corps, en quelque endroit écarté du monde que la corruption, ou le hazard les jette, verra-t-il périr fans reffource, ce qu'il a fait capable de le connoître & de l'aimer? Ici un nouvel ordre de choses se présente à moi : les ombres P. XV. 10. de la mort fe diffipent: Les voies me font ouvertes à la véritable vie. MADAME n'eft plus dans le tombeau ; la mort qui fembloit tout détruire, a tout établi : voici le fecret de l'Eccléfiafte, que je vous avois marqué dès le commencement de ce Difcours, & dont il faut maintenant découvrir le fond.

Il faut donc penfer, CHRETIENS, qu'outre le rapport que nous avons du côté du corps, avec la nature changeante & mortelle, nous avons d'un autre côté un rapport intime, & une secrette affinité avec Dieu, parce que Dieu même a mis quelque chofe en nous, qui peut confeffer la vérité de fon Etre, en adorer la perfection, en admirer la plénitude; quelque chofe qui peut fe fou mettre à fa fouveraine puiffance, s'abandonner à fa haute & incompréhensible fageffe, fe confier en fa bonté, craindre fa justice, efpérer fon éternité. De ce côté, MESSIEURS, fi l'homme croit avoir en lui de l'élévation, il ne fe trompera pas. Car comme il eft néceffaire que chaque chofe foit réunie à fon principe, & que c'eft pour cette raison, dit l'Eccléfiafte, Que le corps retourne à

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